« C’est comme ça qu’on gouverne le monde.
Par la pensée… par la culture. Qui forge une vision.
C’est pas compliqué quand même. »
Succès récent de la bande-dessinée française, Quai d’Orsay : chroniques diplomatiques a été plus que remarqué lors de sa sortie entre 2010 et 2011. Dessiné par le célèbre Christophe Blain (auteur de Gus et Isaac le pirate) et scénarisé par un certain Abel Lanzac, le diptyque retrace l’expérience de ce dernier en tant que conseiller au ministère des Affaires étrangères.
Au service direct du ministre Alexandre Taillard de Vorms, Arthur Vlaminck découvre la machine diplomatique française en tant que responsable des « langages », c’est à dire des discours officiels. On découvre à sa suite la vie haletante de l’équipe rapprochée du ministre, remplissant au quotidien une tâche herculéenne. Ils sont une douzaine à ramer vingt-quatre heures par jour pour porter la voix de la France en toutes occasions : tensions en Afrique, interventions au Parlement Européen, négociations transatlantiques, « guerre de l’anchois » entre pêcheurs espagnols et français… Les sujets sur le feu sont innombrables, et nécessitent tous une veille constante ou une réaction urgente de la part du ministère. Les conseillers montent au créneau, enchaînent les déplacements, réécrivent intégralement les discours cinq, six, dix fois de suite, s’engueulent, se font des crasses, et finissent par mener le navire à bon port.
La politique est finalement assez loin et des dossiers de fond on ne saura pratiquement rien. Il faut dire que la place des Affaires étrangères est par définition extérieure au pays et au gouvernement. Le ministère doit tenir un cap cohérent sur la scène internationale et devant les alliés. Taillard de Vorms – le ministre – est directement inspiré de Dominique de Villepin, qui fut le patron d’Abel Lanzac dans les mêmes circonstances. Peu importe en réalité ce qu’on pense de cette figure anciennement incontournable, tant le portrait qui en est fait porte sur le caractère et le rayonnement personnel. Et d’ailleurs si le trait est grossi, la caricature est subtile de ce titan un peu cinglé, portant haut et fort la voix de la République dans le Monde. Homme de convictions et de culture, Taillard de Vorms met un point d’honneur à utiliser les préceptes de Héraclite ou Démocrite au quotidien (« Tout est là« ). Stabilo en main, il élargit sans cesse les horizons pour ne jamais parler de cas particuliers au profit de grands principes, et par-là même écrire l’histoire. Malgré le chaos apparent, la ligne de ses convictions est toujours ferme et claire dans l’esprit du ministre. Le dernier épisode du diptyque retrace son intervention à l’ONU contre la guerre en Irak au royaume du Lousdem, soupçonné de cacher des armes de destruction massive. Une intervention visionnaire et quasi unanimement saluée aujourd’hui, face à la brutalité de l’action étasunienne.
Sur seulement deux volumes, les différentes personnalités sont dépeintes avec beaucoup de charisme. On rencontre rapidement les personnages centraux du cabinet, son directeur imperturbable, les conseillers à bout de nerfs, et toute une brochette de diplomates. Au milieu de la tornade intellectuelle d’un ministre hyperactif en mouvement permanent, ses conseillers courent dans tous les sens pour transformer les idées directrices en actions concrètes. Les revirements perpétuels imposés par le ministre, ses explications très longues et incompréhensibles (« tac tac tac ! ») et l’évolution constante des situations ne les aide évidemment pas. Face aux autres pays la négociation est toujours serrée, les marges de manœuvre restreintes et les discours piégés. On termine d’écrire les allocutions dans l’avion, on commence les réunions à quatre heures du matin, on compose comme on peut avec les amis du ministre, poètes ou philosophes, venus mettre leur grain de sel sur sa demande. « Au fait Alexandre, tu as des nouvelles de ma légion d’honneur ? Tu sais pour moi ça n’a aucune importance. Je demande juste comme ça, pour savoir. »
Au service de ce texte, de ces personnages, de cet univers incroyablement riches, le trait de Christophe Blain est parfait dans un style caricatural et racé au croisement entre Joann Sfar et Guy Delisle. L’ambiance austère du ministère devient très dynamique et drôle, comme l’état d’esprit des différents personnages et les bureaux au bord du chaos, grâce à un graphisme nerveux, coloré et parfaitement adapté. Taillard de Vorms, le vrai personnage principal, est représenté immense, épaules carrées, environné de courants d’air, faisant rapetisser ses interlocuteurs et voler les piles de dossiers posées sur les tables.
Récompensé par le Fauve d’or : prix du meilleur album au festival d’Angoulême 2013, Quai d’Orsay est une exception dans le paysage dessiné actuel. Rare album de politique contemporaine qui ne tombe pas dans la caricature grossière, c’est une oeuvre aussi drôle qu’intelligente. On s’immerge immédiatement à la suite d’Arthur, le jeune normalien un peu naïf jeté dans la cage aux lions, et qui verra sa vie entière accaparée par son travail. Le regard parfois dur des auteurs n’exclut pas l’admiration et la tendresse à l’égard de ces individus entièrement dévolus à leur tâche sacrée. Car plus qu’un simple retour d’expérience romancé ou qu’une caricature douce-amère, Quai d’Orsay sonne comme un vrai bel hommage à la mission diplomatique et à ceux qui la mènent à bien.
-Saint Epondyle-
Il faut faire en sorte que des individus, qui ne sont pas préparés à ça, acceptent de consacrer 20 heures de leur vie par jour pendant deux ans, trois ans, quatre ans, au service de l’intérêt général. […] Ils le font par affection pour quelqu’un qu’ils estiment, et surtout qu’ils ne comprennent pas, qui échappe à toute rationalité. […] Pour être franc, la BD est même un coup en dessous de la réalité.
– Dominique de Villepin (source)
j’adore cette série, vraiment excellente.
ça je sens que ça va être ma prochaine lecture BD après Fauve !!
heuu Sambre ;)
Yeap ! Merci de vos commentaires. :)
hello
j’avais déjà lu cette BD mais je suis content que tu en parles, très très bonne BD !
Plaisir partagé. :)