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« Mes histoires d’amour m’ont montré que j’aime la solitude.
J’ai toujours été fasciné par l’absence, tant la présence m’ennuie.
Allez expliquer ça à la femme que vous aimez. »
Tout en y allant à reculons, j’ai beaucoup aimé l’adaptation au cinéma du Combat ordinaire de Manu Larcenet. Entre absence totale de médiatisation et mauvaises critiques aperçues sur Internet, je me suis rendu au cinéma dans la chaleur caniculaire de l’été, prêt à subir le saccage en règle de l’une des BD qui marqua ma vie. Et bah non.
Le Combat ordinaire, c’est un peu le film français intello par excellence. Un film intello qui bénéficierait du meilleur script possible dans son genre. Or, ce qui faisait l’originalité et la puissance de l’œuvre dessinée risquait fort d’être amoindrie par un passage à l’écran trop paresseux. Adapter un chef-d’œuvre n’est pas facile ! Et l’on risquait fort de se retrouver avec un film français basique, avec reniflements dans le micro et Sandrine Kiberlain. Le réalisateur Laurent Tuel échappe pourtant aux écueils habituels de l’exercice, et en respectant profondément l’œuvre originale (qui n’a d’ailleurs pas attendu le film pour être une ratonnade psychologique belle à chialer), et y apporte une touche personnelle discrète mais intéressante.

Au départ, ça choque. Car si Le Combat ordinaire de Larcenet est si puissant, c’est grâce à une alchimie subtile entre un dessin stylisé, presque naïf, des thématiques lourdes et des dialogues simples mais extrêmement bien écrits. C’est la maestria dans la simplicité, tellement à propos pour parler de la vie « normale », celle de tout un chacun. Dans les premières minutes, j’ai été dérangé par ce Nicolas Duvauchelle marqué par la vie – tatouages, gueule tordue et cernes crevassées – et par cette Maud Wyler qui incarne une Émilie un peu trop superbe dans sa stature d’actrice. Avec des acteurs aussi réels, le film semblait perdre en universalité pour entrer dans le cas particulier. Et les acteurs ont beau être excellents, leur respect biblique des dialogues originaux ressemblait un peu à une mauvaise farce.
Sans doute que les questionnements existentiels de la BD m’incitèrent à mal vivre – personnellement – leur adaptation filmique. Et puis peu à peu, ce sont ces mêmes thématiques personnelles qui à m’arracher une émotion presque comparable à celle de l’œuvre originale. Tremblements et larme à l’œil.
Malgré tout, je reste incapable de juger le film pour lui-même. Je ne peux pas me dépouiller d’une BD que j’admire et dans laquelle je me reconnais à ce point. D’autant qu’un film d’une heure quarante ne peut pas dire autant qu’un quadriptyque dessiné, il en réduit donc le propos à la substantifique moelle : la relation entre Marco et Émilie, sa difficulté à se projeter dans une relation durable, ses démons et la mort de son père. Sans doute qu’un œil nouveau pourrait avoir du mal à suivre le (trop ?) grand nombre de sujets d’un film (trop ?) rapide. Et le style « tranche de vie » laissera sans doute pas mal de spectateurs sur leur faim. Mais si les thématiques peuvent paraître trop nombreuses pour un film unique, cet ensemble de situations et de relations complexes dresse pourtant un tableau réaliste de la fuite du temps, et de la sensation de trop plein face aux défis de l’existence. Malgré les efforts de Marco pour figer le temps dans ses photos, celui-ci avance inexorablement. Comme un supertanker.

En réduisant le propos de Larcenet à sa plus simple expression, le film me paraît également plus violent et n’ouvre que de manière très incertaine la voie de la rémission. Alors que le Marco de la BD semble finalement conquérir la sérénité via sa vie familiale, on peine à imaginer celui de Nicolas Duvauchelle dans la même situation. Le réalisateur Laurent Tuell fait ici le choix de couper la fin de l’histoire (l’enfance de Maude), supprimant ainsi l’éclaircie finale du récit. Rien ne permet donc de dire si la sortie de Marco de son tunnel de névroses est possible, et si la naissance de sa fille lui ouvrira un avenir moins torturé.
Cette fin manque cruellement d’une mise en contexte un peu affirmée (même différent du récit d’origine), et je comprends d’autant moins ce choix de réalisation que c’est l’une des seules divergences par rapport à la trame d’origine. Les bonnes idées de réalisation relèvent d’ailleurs plus de la transcription que de l’invention cinématographique. Je pense par exemple aux planches sépia, traduites par des portraits vivants des différents personnages en noir et blanc. Idem avec l’icônisation de la nature, un classique chez Larcenet, rendue par de beaux plans contemplatifs entre deux descentes aux enfers.
Sans doute faut-il reconnaître au réalisateur l’ingratitude du travail de découpe/reconstruction pour le passage à l’écran. Il n’empêche, Le combat ordinaire dans sa version filmée est une réussite qui rattrape par une photographie léchée, une musique envoutante et un respect absolu de la BD son côté un peu trop littéral.
-Saint Epondyle-
Antoine Daer
Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.
Du coup j’ai – enfin – regardé le film ce week-end… Plutôt déçu de mon côté. Je me suis clairement ennuyé et j’ai trouvé le montage maladroit. Je conviens que l’adaptation est loin d’être facile, on part de loin et l’ambiance est difficilement transposable. Et du tout, ça ne m’a pas transposé. Par contre je me suis replongé dans la BD, c’est déjà pas mal.
C’est vrai qu’avec le recul le film ne me laisse pas un souvenir impérissable non plus.