Le vent se lève (2013) | Miyazaki retourne à la réalité

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[Le vent se lève, il faut tenter de vivre.
– Paul Valéry]

J’ai beau avoir été refoulé à l’avant-première, complète, il ne m’aura pas fallu longtemps pour me rattraper et aller voir Le vent se lève (風立ちぬ) dernier né du studio Ghibli et sans doute dernier film d’Hayao Miyazaki. Malgré mon admiration inconditionnelle pour l’oeuvre du Maître nippon, je restais, en allant le voir, dans l’expectative.

Le film est réaliste, ce qui surprend au regard de l’oeuvre Miyazakienne. Les problématiques soulevées sont on ne peut plus réelles et la reproduction historique est parfaite. Le vent se lève est-il donc la conclusion plus adulte et plus mature de toute l’oeuvre du réalisateur célébrant l’enfance et l’onirisme ? Peut-être.

Le film raconte la vie de Jirō Horikoshi, ingénieur en aéronautique japonais entre les années 1920 et 1945. L’histoire s’articule en deux parties, deux aspects de la vie de Jirō, complémentaires comme les deux faces d’une même pièce. Premièrement, on suit la quête du personnage pour devenir ingénieur, puis pour concevoir le meilleur avion possible. Et parallèlement, on l’accompagne dans sa vie personnelle et spécialement dans son histoire d’amour avec Naoko Satomi.

Ainsi, le film explore d’un côté le contexte historique : le retard japonais dans le domaine industriel, la course mondiale à l’armement et la compétition entre les grandes puissances. De l’autre, il développe la vie intime des personnages, la relation entre Jirō et Naoko et leurs difficultés. Toujours en restant à un niveau très humain, Le vent se lève soulève plusieurs questions philosophiques. Le thème fondamental étant celui du rôle des créateurs vis-a-vis de la société. Sans jamais trancher sur le sujet du devoir moral de l’artiste, Miyazaki propose plusieurs pistes d’interprétation et de réflexion.

Au sortir de la séance, je ne pus réprimer une impression un peu étrange. Le film défendrait-il l’idée que l’artiste doive suivre ses rêves quitte à se compromettre ? Ou pire, faudrait-il y lire un message nationaliste ? Pas du tout. On connait Miyazaki pacifiste, comme en témoignent la plupart de ses films du Château dans le ciel à Princesse Mononoké. Dans Le vent se lève, il laisse de côté la symbolique au profit d’une situation purement réelle, où le rôle de chacun est complexe et où les notions de bien et de mal sont très abstraites. Finalement, le film développe très finement l’idée que dans le monde réel, tous les actes ont des conséquences. Et que même un rêveur, ingénieur de grand talent et amoureux transi, peut mettre son art au service de la mort, volontairement, par pure irresponsabilité.

Concrètement, les personnages savent parfaitement qu’ils travaillent à concevoir des avions de guerre. Ils n’en sont pas enchantés, mais ils fabriquent néanmoins pour le compte de l’armée, des machines à tuer. Idéaliste, le jeune Jirō ne cherche qu’à créer le meilleur avion possible, quitte à se compromettre moralement. Finalement le « Zéro » fut une merveille technologique de l’époque qui propulsa le Japon parmi les belligérants majeurs de la Seconde Guerre mondiale. Pour Jirō ce fut l’oeuvre d’une vie ; une oeuvre qui -comme prévu- fut utilisée pour tuer des milliers de gens, de Pearl Harbor aux opérations suicides des kamikazes.

Finalement, on ne nous montrera pas d’image de la guerre, ou presque. La destruction est juste évoquée, comme si pour Jirō les conséquences de ses actes n’étaient pas si importantes. Comme si le bain de sang ne lui semblait pas grand chose au regard du rêve accompli et de ses drames personnels (voir la fin du film). Sans jamais chercher à mal, le personnage principal si attachant finit par contribuer largement au massacre par égoïsme.

Autant que par ses thématiques, le film surprend par une esthétique inédite. Il aurait aussi bien pu être filmé en prise de vue réelle, bien qu’il n’aurait pas alors bénéficié du charme de l’animation. Pas question ici des créatures fantastiques ou des transformations qui font habituellement le style Miyazaki. Ils sont remplacés par une vraie précision technique qui laisse transparaître l’amour sincère de l’auteur pour les machineries en tous genres.

Le dessin est très documenté tant pour les objets mécaniques, les décors, que les personnages, ce qui participe à la reconstitution d’un Japon d’avant-guerre très crédible. L’auteur est visiblement passionné par les avions, mais aussi les locomotives, les voitures, et toutes les mécaniques qu’il dessine mouvantes, presque vivantes. En les intégrant dans la vie et l’environnement des personnages, il donne à son film tout entier une poésie très originale entre charme suranné et précision scientifique. Ce qui renforce d’autant la peinture d’une époque charnière de l’histoire du Japon, un pays plein de contradictions lors de son passage à l’ère moderne.

La beauté du dessin du studio Ghibli associée à la merveilleuse bande-son de Joe Hisaishi donnent au film une force poétique très intense. Contrairement à ce que je craignais au départ, le traitement réaliste de l’ensemble ne nuit pas à cette dimension poétique, remplaçant pour une fois l’onirisme par l’identification aux personnages principaux. La vie de Jirō, ses espoirs, ses amours et ses drames trouvent un écho vraiment universel puisqu’ils évoquent l’accomplissement personnel et la responsabilité de chacun face a ses actes.

En conclusion, Le vent se lève est un vrai grand film ; qui multiplie la force de son propos en évitant les discours moralisateurs et simplistes. Très clairement destiné à un public adulte, il s’éloigne sensiblement des canons Miyazakiens sans rien trahir de l’oeuvre passée du Maître. A l’heure ou certains génies d’antan se répètent en boucle comme de vieux disques rayés, j’applaudis à cette révérence parfaitement cohérente. Une révérence qui sonne, après tant de chef-d’œuvres oniriques et enfantins, comme une forme de retour à la réalité. Peut-être aussi comme un magnifique mea culpa de l’artiste par rapport à ses propres fautes ? Et certainement comme un superbe rappel au spectateur que la vie est faite pour accomplir ses rêves, mais qu’il est illusoire de s’imaginer se soustraire à la dure réalité du monde.

-Saint Epondyle-

13 Commentaires

  1. Grand Dieu !
    J’ai toujours été un ardent pourfendeurs de la « Miyazaki mania ». Je n’ai jamais vraiment aimé son oeuvre et pour être franc je n’ai jamais réussi à regarder un de ses films en entier. Mais je comprends que l’on puisse apprécié son style. Ce qui m’insupportait, c’était bien sur les ralliements tardifs de tout ceux, qui suiveurs dans l’âme, déclaraient « avoir toujours aimé Miyazaki » parce qu’il était devenu « trendy ».
    Bref, au dela de l’oeuvre, ce film particulièrement pourrait me faire changer d’avis. Visiblement moins fantastique, plus austère dans le dessin il se pourrait bien que sur sa fin Miyazaki me convainc et j’ai presque envie de dire que j’en serait ravie. Je verrais ce Miyazaki et je pense – j’espère- qu’il me plaira.

  2. Merci pour cet article qui m’a donné envie de voir le film,
    Et je ne peux pas dire que j’ai été déçue ! Plus réaliste que ces précédents films, « le vent se lève » ne perd pas pour autant en poésie. Et je trouve très belle l’idée de partager ses rêves (au sens littérale) avec son maître à penser. Je suis aussi très admiratrice de la réalisation des dessins, d’une esthétique parfaite, qui nous plonge une fois de plus cet univers si particulier, emblématique du réalisateur.
    Quant à l’histoire, elle m’a un peu moins accrochée que d’autres, mais je trouve intéressant de montrer cette dualité entre réaliser son rêve – construire un avion – et l’objectif sous-jacent – faire la guerre et tuer des gens. Un dilemme que notre héros semble éluder au profit de ses deux passions l’amour et l’avion.
    Elo

    • Content de voir que le film t’a plu, surtout si j’ai pu te convaincre d’aller le voir. Effectivement, le ton est différent et c’est pas plus mal en l’occurrence.

      Un mot sur l’esthétique : j’ai été un peu perturbé au long du film par le côté un peu saccadé des images. Forcément, lorsqu’on dessine tout à la main, le nombre d’images par seconde doit être entièrement réalisé artisanalement, par opposition aux images numériques de Pixar ou des films en HD actuels.
      Vous avez ressenti ça aussi ?
      Si oui, j’en conclue que notre oeil s’est habitué à la haute définition, et que l’animation traditionnelle en 24 poses nous semble saccadée alors qu’elle ne l’était pas auparavant.

  3. Après visionnage, je trouve effectivement que les images sont saccadées. Sinon, je trouve que tu dérive très vite sur la vision qu’a Miyasaki de l’art et de l’artiste, alors que pour moi il n’a jamais été question d’art dans le film, d’ailleurs le héros n’est jamais présenté comme tel mais plutôt comme un scientifique pur et dur, toujours la tête dans des calculs, et s’il dessine, c’est uniquement de la géométrie.

    Le film en soi est très contemplatif, et je trouve justement que la guerre mondiale est vraiment reléguée au second plan. Même si on sent que cela participe à un effet de prise au piège du héros et de déresponsabilisation, l’accent est clairement mis sur la réussite professionnelle et sentimentale du héros, et ce de manière très classique (en mode paladin loyal bon self-made man qui a une femme fragile…).

    ça reste un film poétique, mais qui selon moi s’attarde trop sur ces points classiques à défaut de développer la réflexion du personnage sur le paradoxe que représente son rêve et sa réalisation effective qui sert d’instrument de guerre. En l’occurrence, il ne pense qu’à sa femme, son avion, et basta…

    • A mon avis, l’ingénierie est clairement hissée au rang d’art par l’auteur. L’idée d’un maître qui enseigne de créer selon son cœur, la dévotion à son travail bien plus qu’au un simple métier etc. m’ont en tous cas donné cette impression.
      Concernant les points classiques, n’oublions pas que l’histoire est basée sur la vie réelle du personnage. Difficile de reprocher le personnage de la femme par exemple, dans ces conditions.
      Tu n’as pas aimé ?

  4. Je n’ai pas pas aimé, mais disons que l’aspect contemplatif biographique ne m’a pas fait accrocher, et le background historique est trop anecdotique pour rehausser le tout.

    • Effectivement, peut-être ma tendance à voir de la philo dans tous ce que je regarde m’a un peu emballé. Il n’empêche, j’en garde un très bon souvenir quand même. Mais si je ne me trompe pas, tu n’es pas très fan de Miyazaki en général si ?

  5. Je ne suis pas un fan, mais j’ai beaucoup aimé Chihiro, Mononoké, Nausicaa, et mon préféré est le château dans le ciel. Le château ambulant et Le vent se lève m’ont laissé un peu perplexes, encore que le château ambulant est lui pour le coup vraiment poétique.

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