Transhumanisme : les critiques que je ne ferai pas

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transhumanisme cyberpunk
Crédit photo inconnu.

Ce n’est pas parce qu’on cherche à questionner la technique et les nouvelles idée(ologie)s qui émergent avec ses innovations, qu’il faut verser dans la mauvaise foi. Le sujet du transhumanisme est foncièrement politique, car il touche à la vie de demain, mais ce n’est pas une raison pour devenir politicien et utiliser des arguments bancals pour chercher à avoir raison à tout prix.

Voici un florilège d’arguments fallacieux – souvent entendus dans les débats sur le transhumanisme – et quelques propositions de réponse.

1/ « L’augmentation des capacités humaines est impossible. » 

Savoir si les technologies d’augmentation de la longévité et des capacités humaines sont possibles, scientifiquement, n’est pas mon combat. Je ne m’intéresse pas à la technologie en tant que telle, rien ne m’indiffère plus que de comparer la résolution des derniers écrans HD ou la nouvelle technique de greffe à la mode dans les canards scientifiques.

Je laisse volontiers le débat de la faisabilité aux scientifiques – dont je ne suis pas. Mon combat à moi, vise la théorie et la « souhaitabilité » de telles « augmentations ». De quelle volonté sous-jacente relèvent-elles ? De quelle civilisation en devenir sont-elles révélatrices ? Quels en seraient les impacts ? Je suis convaincu que de nombreuses évolutions techniques sont déjà et seront de plus en plus accessibles ; et c’est pour ça qu’il me paraît important de faire l’hypothèse de leur futur pour les questionner. C’est de la science-fiction, au sens premier du terme.

2/ « La volonté de parfaire l’humain rappelle les pires heures de notre histoire™. »

#PointGodwin

Oui, mais non. Premièrement, traiter les transhumanistes de nazis en puissance n’a jamais fait avancer le débat. Deuxièmement, il n’y a aucune volonté de sélection ethnique dans le transhumanisme qui – au contraire – promeut volontiers (et naïvement) l’égalité d’accès aux technologies d’augmentation. Le problème, c’est que l’inégalité de fait que provoqueraient de telles évolutions (discrimination par l’argent) risque de créer en bout de course une hiérarchie humaine. Ou plutôt humaine / transhumaine.

Pour les transhumanistes que je connais, la volonté d’améliorer l’humain découle toujours d’une ambition sincère d’améliorer la vie. Supprimer les maladies, allonger la vie en bonne santé etc… C’est naïf et passablement irresponsable, peut-être, mais ça à plus à voir avec les progrès de la médecine et des techniques (qui ont toujours existé) qu’avec la désignation de boucs-émissaires sur fond de nationalisme ethnique nauséabond.

Le véritable risque réside dans l’apologie de l’eugénisme perpétrée par certains transhumanistes. Vidé de l’idéologie de hiérarchie des « races » propre au nazisme, l’eugénisme reste éminemment problématique. Bien-sûr les transhumanistes ne promeuvent pas la production à la chaîne de bons Aryens, mais on peut imaginer qu’elle adviendrait plus ou moins quand même si elle était rendue possible. En effet, l’idéal humain normé qu’on nous vend aujourd’hui comporte beaucoup de points communs avec l’idéal fascisant de « l’homme parfait ». Et les parents seraient probablement prompt à « optimiser » les chances de réussir dans la vie de leurs enfants en levant les barrières liées à de possibles discriminations futures. Si nous pouvons choisir que nos enfants répondent aux normes de la société pour leur donner les pleines chances de succès, nous le ferons.

Dans ce cas prospectif (encore que…), la hiérarchisation de l’espèce (humain / transhumain) et la sélection artificielle des individus serait alors une conséquence à long terme des possibilités techniques et de l’uniformisation des attentes sociales, pas une volonté de sélection nazifiante à la base.

3/ « C’est contre nature. »

Je ne sais pas ce qu’est la « nature humaine », et qui brandit cet argument à intérêt à pouvoir la démontrer. Nos vies sont irriguées de pratiques « contre nature » si l’on s’en tient à la stricte grille de lecture des défenseurs de la façon « naturelle » de vivre. Invoquer un état de nature qu’il nous faudrait retrouver ou les premiers hommes dont nous devrions nous inspirer, pour pourfendre le transhumanisme est une posture réactionnaire qui s’accommode en général difficilement de la question de la frontière. A partir de quel moment une technologie est-elle « contre nature » ?

L’idée de « contre nature » est une facilité intellectuelle, souvent un premier réflexe aux nouveautés qui nous choquent et nous font peur à tort ou à raison. Il faut savoir s’en défaire. Qu’on creuse un peu, et ce genre d’argument « Manif pour tous » dévoile sa seconde partie :

4/ « Les transhumanistes se prennent pour Dieu. »

Je ne sais pas si Dieu existe. A priori non. Quoiqu’il en soit, il me semble légitime que l’humanité s’empare de ce qu’elle a sous la main pour améliorer sa vie. La question est donc de savoir si le transhumanisme améliorera la vie.

L’argument prométhéen qui consiste à accuser les hommes d’utiliser un pouvoir qui ne leur serait pas destiné est un obscurantisme. Si Dieu existe et s’Il a créé le monde, Il n’a pas laissé de consigne très précise pour nous empêcher d’user à notre guise des lois qui le régissent. Les nouvelles technologies touchent à notre façon de vivre, de percevoir le monde et d’agir sur lui, elles touchent au corps, au cerveau et donc à l’intime de nos êtres, et à ce titre elles ont de quoi faire peur. Les barrières civilisationnelles sont parfois énormes et c’est sans doute, parfois, une bonne chose. Mais c’était déjà « se prendre pour Dieu » que de disséquer les morts pour comprendre leur fonctionnement, que de domestiquer l’électricité, la vapeur, le nucléaire, et ainsi de suite.

Même si le monde est une création divine, qui relève de Sa volonté, nous n’avons pas de barrière nette et indiscutable à ce que nous pouvons faire de cette création. Il me semble compréhensible et légitime que les humains veuille agir sur cette création puisqu’ils le font depuis elle. En d’autres termes, si Dieu trouve quelque-chose à y redire, qu’Il vienne le dire lui-même.

~ Antoine St. Epondyle

A lire :

Auteur et journaliste SF, fondateur de Cosmo Orbüs

Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.

14 Commentaires

  1. Je suis un peu déçu par ta réponse au procès de nazisme. On a l’impression que pour toi, les transhumanistes ont des bonnes intentions, mais que quand même en pratique, la technologie va bien diviser la société en une caste supérieure et une inférieure.

    J’ai l’impression que les transhumanistes comme leurs détracteurs, sont persuadés que le futur verra naître une sorte de singularité, où tout s’accélérera et sera irréversible, déchirant la société en 2 ou plus de morceaux. Pour moi c’est clairement un fantasme.

    Prenons l’exemple des lunettes, des médicaments et des smartphones. Tous sont des améliorations de notre corps, tous sont payants, tous sont des bijoux de technologie. Et pourtant, il n’y a pas une frange de la société qui se les soit accaparés, au détriment d’une autre. Ces trois exemples sont même quasiment universellement détenus dans notre société. Les smartphones, qui eux ne sont pas remboursés par la SECU, sont même plus uniformément distribués que les deux premiers !

    Du coup, je ne comprends vraiment pas pourquoi la technologie devrait forcément impliquer un saut d’inégalité, une classe de dominants et de dominés, qui finirait inexorablement (penser le contraire serait naïf, selon toi, à deux reprises dans le texte) par la notion d’homme parfait, et d’homme à jeter. Le fait de bien voir pouvait sembler inutile il y a 300 ans quand personne n’avait besoin de lire. Maintenant c’est indispensable et c’est même considéré un problème de santé publique. Où est l’inégalité là-dedant ? Et si demain apparaît un problème de santé publique que l’on ne soupçonne même pas aujourd’hui, devient notre nouveau modèle d’homme « normal » (plus que parfait), où est le problème ? Si c’est vraiment quelque chose d’indispensable à l’égalité des êtres humains, pourquoi n’y aurait-il pas l’émergence d’un nouveau remède ou objet qui serait accessible à tous, par exemple par une politique de santé publique ? Les lunettes et les médicaments fonctionnent exactement comme ça. Mais ça doit être naïf…

    Sinon, je suis plutôt d’accord avec le reste.

    • Intéressante l’idée sous-jacente de rembourser les smartphones par la Sécu. Je me vois bien écrire une histoire où le héros, un peu déviant, refuse d’utiliser le nouveau smartphone que la Sécu lui envoie. Un peu comme les vieux qui s’illusionnent sur leur look et refusent de porter des lunettes pour rester jeunes. Et en plus, j’en connais de ces réfractaires…Merci Funkyboun et désolé pour la tonalité un peu méprisante que j’ai employée hier pour commenter tes remarques sur le lien entre apprentissage et intelligence. Cordialement.

  2. Il est parfait ton article Antoine. Tu résumes bien les enjeux de la réalité augmentée. Sans diabolisation et sans…( je m’apprêtais à écrire  » sans concession  » mais ce n’est pas le terme qui convient ) en balayant complètement le champ d’application des nouvelles technologies. Merci pour ton acuité intellectuelle. Mais, dis-moi, tu n’aurais pas bénéficié d’une implantation neuronale ? Ou pour le dire autrement, combien es-tu payé par Ray Kurzweil pour sonder l’état de l’opinion sur les préceptes du transhumanisme ?

  3. Je pense que le débat transhumaniste agité par Kurzweil de Google, Zuckerberg de Facebook, Musk de Space X, etc. est un faux-nez pour nous convaincre de fournir nos données de santé. Ca permettra sans doute d’augmenter la longévité et de prévenir des maladies, mais ça leur permettra surtout d’étendre leur champ de business sur le terrain public. Un peu prosaïque mon commentaire :-)

  4. « Si Dieu existe et s’Il a créé le monde, Il n’a pas laissé de consigne très précise pour nous empêcher d’user à notre guise des lois qui le régissent. »

    « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. » Matthieu 7:12

    Après, c’est à toi de voir ce que tu veux… ou pas…

    Très bon site, très bons articles.
    Bonne continuation…

    • Mouais, enfin je ne considère pas les évangiles comme parole de Dieu. Voir ici. D’autant que ta citation me semble imparfaitement coller à la thématique ici.

      On va rentrer dans la théologie, mais il me semble que la meilleure chose à considérer comme message divin, c’est la nature même du monde, de ce qui y est possible ou impossible. Du moins si l’on veut vraiment croire en Dieu.

      Merci pour les encouragements en tous cas. :)

  5. Bonjour Saint Epondyle.

    Je réagis sur ton 3ème et 4ème point.
    Je suis étonné que tu ne saches pas ce qu’est la nature humaine. Au du moins quelles seraient certaines de ses caractéristiques.
    Ton billet qui traite de la chute de Rome (ou quelque chose comme ça) laisse penser que tu en as une certaine intuition.
    Pour ton 3ème point :
    Se poser la question sur la nature humaine c’est se poser la question miroir sur la condition humaine.
    L’humain est un être qui a conscience de ses 2 finitudes : sa mort et son sexe. Les animaux n’en ont pas conscience, seul l’instinct les anime.
    L’humain sait qu’il mourra forcement un jour et il sait aussi qu’il est soit du sexe mâle soit du sexe femelle (c’est un peu long à développer mais l’existence de personnes non différenciées sexuellement n’est pas contraire à la conscience de cette finitude)
    Le transhumanisme « veut » jouer avec cela. C’est pour ça que l’on dit de façon très général que c’est contre-nature.
    De ce qui est dit précédemment, (la condition humaine), découle la Morale qui édicte des lois et limites qu’il ne faut pas franchir (Mythologie grecques, Anciens testament, Nouveaux testament, Coran, Mahabarata,…). Les seuls qui peuvent se permettre d’aller contre la Morale (sans trop de conséquences) sont les dieux.
    Morale et religion sont liées.
    Pour que la morale soit justifiable et ne dérive pas il lui faut des ancres dans le ciel.
    Donc pas de Morale sans Dieu sinon cela ne marche pas (Nietzsche à essayer mais c’est pas convaincant)
    Voilà pour le quatrième point.
    En espérant avoir était clair sur un sujet qui occupe l’humanité depuis ses débuts.
    Et merci pour ton site

    • Salut à toi Irtenieff !

      Merci pour ces billes intéressantes !
      En effet mes Echos sur la chute de Rome collectionnent des signes que je suppose plus ou moins annonciateurs de la fin d’une civilisation. L’occident post-WWII. Mais n’allons pas confondre avec une nature humaine qui serait universelle, je ne crois pas à l’universalisme à ce niveau.
      Merci néanmoins pour tes pistes de réflexion, même si je suis plus convaincu par Nietzsche que toi visiblement. :)

      A bientôt j’espère.

  6. Bonjour Saint Epondyle,

    Dans tes Échos sur la chute de Rome tu évoques le clonage humain comme un signe annonciateur de la chute de notre civilisation.
    Le clonage humain est une technique qui permettrait à certains de s’affranchir de la mort (on peut en discuter) mais aussi de la reproduction sexuée.
    Voilà pourquoi dans mon commentaire je faisais référence à ton post sur « la chute de Rome ». Je m’en servais pour tenter d’introduire une définition de la nature humaine et répondre à ta remarque consistant à dire que tu ne savais pas ce qu’était la nature humaine.
    J’ai ensuite défini l’une des caractéristiques de la nature humaine comme la capacité à avoir conscience de sa mort et de son sexe.
    Puis j’ai rapidement expliqué que, par leur projet, les transhumanistes désiraient s’affranchir des 2 finitudes précédemment définies.

    Je suis convaincu de l’universalité de la nature humaine.
    En d’autres termes, la nature humaine est la même en tout lieu et en tout temps.
    À moins que l’on prouve le contraire, un être humain est un être ayant conscience de ses 2 finitudes (la mort et le sexe). L’être humain est le seul à avoir cette capacité.

    A-t-on déjà vu un chimpanzé se suicider par dépit amoureux ?

    La conscience de la mort implique la capacité au suicide mais également … le désir de devenir immortel.

    Un être humain né il y a 5 000 ans en Asie est tout aussi humain que moi ou que (je l’espère) les humains qui naîtront dans 500 ans.
    En revanche, un être qui serait quasi-immortel et qui aurait la capacité innée de se reproduire sans l’aide d’un autre de sexe opposé, je pense que nous ne pourrons pas l’appeler humain et il s’agira pour le coup d’un être dénaturé.
    Tu remarqueras que je ne nie pas sa sensibilité, ni son intelligence. Je nie son caractère humain.
    D’ailleurs le chimpanzé est aussi un être sensible et intelligent….

    Il est important de vouloir définir la nature humaine. Sans une définition de cette dernière, il n’est pas possible de questionner le transhumanisme.
    Cette définition partielle de la nature humaine mise en face du désir transhumaniste amène une autre question plus essentielle.
    Est-ce bien ou mal de vouloir s’affranchir de sa condition humaine ?

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