Corps est âme

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Feather Armour, par Charlotte Epstein. En savoir +
Le transhumanisme promeut la réparation et « l’amélioration » du corps humain en vue de prolonger la longévité… jusqu’à l’immortalité ? En tous cas jusqu’à l’amortalité : « l’allongement radical de la vie en bonne santé ».

Ma viande et moi

Le transhumanisme suppose la triple déconnexion entre le corps, l’âme et le monde. Que l’idée soit clairement exprimée ou pas, on revient toujours à un présupposé de base : l’homme serait constitué d’un pur esprit – ou âme – qui serait le siège de la réflexion, de la mémoire et de l’identité, bref du « moi » ; lié à un corps mécanique et donc réparable. Non content d’avoir ses humeurs incontrôlables, ce corps biologique pousserait le mauvais goût jusqu’à vieillir et mourir, nous privant de toutes les choses que nous voulons faire de nos vies. L’âme quant à elle, voudrait « naturellement » vivre plus longtemps selon le vieux principe de l’instinct de survie.

La « révolution transhumaniste » se veut celle d’une âme définitivement émancipée d’un corps que les plus hardcore de l’école américaine appellent « la viande ». Dans cette perspective, il lui semble légitime de prôner l’abolition des contraintes physiques en extrayant notre âme de son enveloppe pour l’intégrer par exemple dans un corps androïde, un super-ordinateur ou un clone de nous-même (plus jeune, plus beau, débarrassé de nos prédispositions génétiques encombrantes…).

Les découvertes et les avancées scientifiques sont l’une des pierres angulaires de l’argumentaire transhumaniste (qui se voudrait hautement rationnel). Sauf que voilà : pour la science en général, et les neurosciences en particulier, l’âme n’existe pas. Ou en tous cas elle n’existe pas en dehors du corps. Toute notre expérience du monde prend racine et se déploie dans le prisme de nos capacités perceptives et cognitives. On ne sait rien du monde hors de ce que notre corps en perçoit, enregistre et traite, via le cerveau. Une fois ma conscience chargée sur un disque dur, un support numérique ou cybernétique fabriqué en série, serais-je encore moi ? Philip K. Dick, Nietzsche et HP Lovecraft auraient-ils été les mêmes (et donc enfantés leurs œuvres) s’ils n’avaient été malades physiquement et mentalement toutes leurs vies ?

Il n’est d’être humain que corporel. Nous ne savons rien, nous ne faisons rien, nous ne sommes rien en dehors de nos corps. Notre cerveau, notre moelle épinière, nos mains, notre visage et nos organes internes sont le siège de notre identité. Je n’ai pas un corps : je suis ce corps. 

Notre mère la Terre

Poursuivant cette logique, le programme transhumaniste invoque les « dangers de la nature » contre lesquels nous devrions nous protéger. Il parle à l’envie de l’homme des cavernes agitant son feu devant les loups sauvages, et taillant son épieu pour combattre le mammouth du quartier. Cette lutte millénaire se poursuit, dit-il, dans tous les aspects de nos civilisations, par exemple en désinfectant les aiguilles chirurgicales pour tuer les microbes qui infectent nos plaies. Bref : la nature est une garce et nous devons nous prémunir de ses dangers grâce à la maîtrise technique qui, à défaut d’être neutre, est au moins de notre côté. Ça fait longtemps qu’entre le loup et le paysan, c’est le loup qui court.

Sauf que cette nature n’existe plus.

La Terre entière est impactée par notre activité et nos modes de vies. Des quantités massives d’espèces animales ont déjà disparu par notre faute, déséquilibrant de fait leurs écosystèmes. La composition chimique de l’atmosphère est modifiée, provoquant un réchauffement climatique global. Nous impactons à ce point notre environnement que nous avons donné notre nom à l’ère géologique que nous habitons : l’anthropocène.

Considérer que la nature nous inflige des « défis » est oublier un peu facilement que nous nous les sommes infligés tout seuls. Nous ne sommes pas une forme de vie hors-sol, pas plus que notre âme n’est décorporée comme si on l’avait mise « dans le cloud » (qui en fait, est salement physique). Tout est matériel, ce sont les transhumanistes eux-mêmes qui le disent en voulant remplacer le corps comme on change les pièces d’une machine. Imaginer qu’on réglera les problèmes causés par la technique avec celle-là même est au mieux une aimable expérience de pensée, au pire une dangereuse fuite en avant. Dans le jargon on appelle ça un forçage technologique.

De gros retours de flammes ont déjà commencé à nous tomber dessus : Tchernobyl et Fukushima, les trous de la couche d’ozone, la raréfaction de l’eau non polluée dans certaines zones du globe, la désertification et la déforestation, la dévastation des fonds marins, le réchauffement climatique et la montée des eaux. Selon l’OMS, les bactéries représenteront bientôt une menace plus importante que les cancers à force de nous gaver (et nos animaux d’élevage surtout) d’antibiotiques qui les rendent plus résistantes. Nos problèmes, nous nous les sommes créés tout seuls en voulant, à la suite de Descartes, nous rendre « maîtres et possesseurs de la nature ». On ne règle pas un problème en persistant dans l’attitude qui en est la cause.

Nous ne sommes pas hors du monde. Le monde nous traverse et nous constitue.
Le monde, c’est nous et ce que nous en faisons.

~ Antoine St Epondyle

A voir :

A propos
transhumanisme-bioéthiqueLe 31 janvier 2017, je suis intervenu au Forum Européen de Bioéthique de Strasbourg. Autour du thème « Le transhumanisme est-il un nouvel humanisme ? », j’ai pu y développer mes idées face à l’asso transhumaniste Technoprog. Cet article est une partie de mon argumentaire.

Vidéo complète et sommaire

7 Commentaires

  1. Les transhumanistes sont majoritairement monistes et matérialistes : tout est fait d’atomes et de particules, et notre conscience est un phénomène émergent (en autre !) des signaux électriques de notre cerveau. A aucun moment il n’est question d' »âme » comme entité magique extérieure au corps ! Bien au contraire. C’est amusant, parce que d’habitude, on reproche au transhumanisme de nier l’âme, justement :)

    Lorsqu’il est question de « mind uploading », l’objectif n’est bien sûr par de simuler un cerveau seul dans le noir pour l’éternité : il interagit toujours avec un « corps » et avec un « monde ». Mais où commence et finit notre corps ? Ce n’est pas clair. Si je saisis un marteau, fait-il partie de mon corps ? Idem pour notre identité, qui n’est pas fixe et évolue en permanence.

    Bien entendu, le corps façonne notre personnalité. Mais rien ne dit que cela doit forcémenet être un corps biologique d’homo sapiens de l’an 2016.

    Le but du transhumanisme n’est pas de se « venger » de la nature (qui est aujourd’hui plus menacée par l’homme que l’inverse), simplement d’atteindre des objectifs que les humains peuvent souhaiter. Et non, heureusement, la technologie ne fait pas que résoudre des problème qu’elle a elle-même créé. Par exemple, elle n’a pas créé le « problème » du vieillissement ;-) (si on considère que c’en est un)

    A en croire cet article, la technologie ne fait que dégrader nos conditions de vie depuis des siècles. Pas du tout d’accord. A quelle époque antérieur supposément plus douce aurais-tu souhaité vivre ? Nous sommes biaisés par les médias, qui privilégient les infos spectaculaires et donc cataclysmiques : pollution, cancers, épidémies… Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. Voir le site « Gapminder » à ce sujet, une très bonne base de donnée sur l’évolution du monde (dont le fondateur Hans Rosling vient de mourir, RIP).

    • Bonjour Alexandre.

      Franchement !
      Le marteau que je tiens au bout de mon bras, fait-il partie de mon corps ?
      Il faudrait que je demande à ma mère, si tel est le cas elle devrait s’en souvenir.
      Je comprends qu’en se posant ce genre de question puis en y répondant par l’affirmative, alors absolument tout peut être relativisé.
      Ne pas voir que le système technicien est aujourd’hui source de nombreux problèmes, ça aussi c’est drôle.
      Il faudrait l’expliquer aux habitants de Fukushima ou aux employés de Foxconn qui se suicident.
      Appeler ces choses de simples arbres qui cachent la forêt cela s’appelle un euphémisme.
      Enfin, concernant l’observation de « l’évolution du monde » au travers de bases de données, je pense que c’est cela le plus drôle (ou le plus tragique). Cela me fait penser à ces statisticiens de l’éducation nationale qui nous expliquent, chiffres à l’appui, que le niveau des écoliers monte.
      Les objectifs du millénaire pour le développement de l’ONU (relayé par Gapminder) devraient être analysés avec beaucoup de scepticisme. On pourrait en dire beaucoup aussi.
      Mais bon, la technique n’est pas le transhumanisme.
      Je retiens de ton message une chose intéressante ; pour les transhumanistes (majoritairement), l’Homme est simplement de la matière de laquelle émerge une conscience issue des signaux électriques produit par cette matière.
      Bon ! OK
      Et bien en fait, philosophiquement, les transhumanistes (majoritairement) vivent toujours au XVIII siècle voir même bien avant encore
      C’est quand même marrant pour des personnes qui vivent au XXI siècle et qui accusent leurs contradicteurs de vouloir revenir dans le passé, d’y être coincés eux-même.
      J’essentialise beaucoup bien sûr mais l’un des problèmes du transhumanisme ( et il y en a beaucoup) est celui de sa conception de l’Homme. Elle est erronée.
      En ai-je une correcte à te proposer ? Non
      Comment sais-je alors que la conception qu’ont les transhumanistes de l’Homme est erronée ? Parce-que toutes les idéologies (le transhumanisme en est une) fondées sur l’axiome que l’Homme est simplement de la matière (accessoirement de même substance que le reste de l’univers – ça c’est pour le monisme) finissent par s’effondrer. Elles ne marchent pas. Le communisme en est un exemple. Le néo-capitalisme en prend le chemin et justement à cause de ce biais.
      Je suis convaincu que le projet transhumaniste n’est pas assez subtil ou profond pour marcher. Chaque époque à ses hérésies. Le XXI siècle à la sienne.

  2. Pour paraphraser Alexandre, si je prends un marteau et que j’en donne un bon coup sur la tête à mon voisin, eh bien, son âme s’il en a une ne fait plus partie de son corps. Bon, c’était juste une blague. Plus sérieusement à propos du transhumanisme, prolongement ou non de l’humanisme.? il faudrait peut-être interroger le concept fourre-tout de l’humanisme. C’est un peu comme Dieu. Il est employé à toutes les sauces y compris les piquantes. Qu’est-ce qu’on cache derrière ce concept velouté ? Nos pulsions?notre culpabilité par rapport à notre héritage civilisationnel qui depuis 500 ans s’efforce de faire rentrer l’humanisme occidental dans la tête de tous ces indigènes ? notre a-humanisme primordial ? L’humanisme ne serait-il pas l’héritier honteux du Religieux.

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