
The Circle est un film passé totalement inaperçu lors de sa sortie en salles à l’été 2017. Et la notoriété de ses deux têtes d’affiche, Emma Watson et Tom Hanks n’y aura rien changé. Le film propose pourtant plusieurs pistes de réflexion dans une sorte de « SF-pas-SF », un genre en cours d’apparition où l’on trouve déjà les excellents Snowden, The Social Network et dans une moindre mesure, Nerve.
Sans s’étendre sur sa mise en scène assez basique et le déroulé de son récit (trop rapide, trop facile), c’est surtout pour sa thématique centrale que le film me semble intéressant : la transparence permise par les nouvelles technologies, prônée au sein même des firmes qui les conçoivent. The Circle donc, est le Google fictif qui donne son nom au film, un GAFA parmi d’autres, même pas déguisé, une multinationale du numérique présidée par un self-made-man charismatique. Toute ressemblance avec un personnage ayant réellement existé étant, bien sûr, totalement fortuite.
Entrons dans le détail.
Attention, vous entrez dans une zone spoiler.
Les maladresses de mise en scène de The Circle laissent planer le doute sur ce que le film cherche à nous dire. En effet, tous les ingrédients sont là pour une histoire classique de révolte d’une jeune employée lambda, embrigadée jusqu’au cou dans l’idéologie contestable de son entreprise, prenant conscience des risques et s’en insurgeant jusqu’à renverser la vapeur à la fin du récit par un coup d’éclat public. A la fin, en effet, Mae triomphe en dévoilant l’hypocrisie de son patron Eamon et dit en substance « The Circle sera ce que nous en ferons ! » sous les acclamations de ses collègues. En ne regardant pas trop les détails, on pourrait s’en tenir là.
Il est intéressant de noter comme le film fait monter la mayonnaise de sa thématique au fur et à mesure. Au départ un peu dubitative quant au flicage constant des employés de The Circle, l’espionnage de son poste de travail et la notation continue dont elle fait l’objet, Mae se laisse finalement prendre au jeu du « cool corporate » et de l’ambiance apparemment bon-enfant de ses collègues très fiers de n’avoir « rien à cacher » et de changer le monde… jusqu’à devenir elle-même la première personne à diffuser en direct l’intégralité de sa vie, et devenir l’héroïne d’un reality-show de transparence absolue, sorte de Stakhanov 2.0, plus royaliste que le roi Eamon. Le film ne laisse pas d’ambiguïté sur ce qu’il en pense, et met en scène de façon glaçante le discours d’entreprise à la limite du sectaire de la société, et ses arguments en faveurs de la surveillance de chacun envers chacun (et envers soi-même) – géré par une foule de dispositifs numériques plus ou moins facultatifs, de quantification, de sociabilisation, de notation etc. Un thème classique de la science-fiction dystopique, ici mis en scène dans un contexte contemporain tout à fait crédible. De la « vraie démocratie » de surveillance prônée par The Circle jsuqu’au transhumanisme latent de ses dirigeants, tout y passe. Et parmi les fervents admirateurs du patron technoprophète, aucun ne semble remarquer que cette « vraie démocratie » concentre tout le pouvoir dans les seules mains d’une unique entreprise privée.
En suivant le déroulé classique d’un film de ce genre, on s’attendrait donc à ce que Mae se révolte et que soit ses patrons la contraignent à rentrer dans le rang, soit qu’elle réussisse à inverser la vapeur en une profession de foi naïve et toute hollywoodienne dans le pouvoir de l’individu de changer le monde. Sauf que non. Et c’est là tout l’intérêt d’un film. La révolte de Mae consiste au contraire à dévoiler les secrets cachés des dirigeants de The Circle, et leur imposer la SeeChange (webcam portative diffusant leur vie en continu). Bref : elle les contraint à passer à la transparence totale et, ce faisant, conforte leur propre logique sans jamais la remettre en cause.
Contrairement à ce que son naïf climax laisse entendre, The Circle ne sera pas « ce que nous en ferons ». Il s’agit d’une entreprise privée dont Mae n’est absolument pas à la tête – et qui ne changera pas de stratégie parce que ses dirigeants diffusent leur vie « en toute transparence ». L’intérêt du récit vient du fait qu’en dépit de ses doutes initiaux, en dépit du dévoilement en live de l’intimité de ses parents et de la mort de son ami d’enfance (!), Mae ne remet pas en cause le culte de la transparence absolue basé sur la devise d’Eamon « Secrets are lies ». Elle la corrobore.
Mae dénonce l’hypocrisie de ses patrons et pas le système en lui-même. Elle fait sauter la dernière frontière, celle que les concepteurs de The Circle s’autorisaient à garder pour leurs propres vies privées – et démontre ce faisant qu’elle est encore plus radicale qu’eux.
On ne saura pas ce qu’en pense Ty, le concepteur initial de TruYou (simili Facebook) pour qui le réseau n’avait pas vocation à espionner ses utilisateurs. Vu la conclusion du film, et malgré l’aide qu’il apporte à Mae dans le hack des systèmes de The Circle, il ne peut que se sentir trahit par le coup d’éclat de la jeune femme. Pour lui, il aurait fallu révéler les secrets d’Eamon et Tom – pour appeler ensuite à la nécessité d’une certaine vie privée.
C’est finalement ça que je retiendrai de The Circle : Eamon et Tom sont (je cite) « so fucked » parce qu’ils voient leurs petites cachotteries dévoilées (en même temps que leurs magouilles politiques), mais surtout parce qu’ils voient leur création leur échapper, et les règles qu’ils imposent au monde s’imposer à eux-mêmes. Le monstre de Frankenstein à dépassé le créateur, et plus personne n’est aux commandes.
Si The Circle est à retenir, malgré ses défauts, c’est pour ce message : plus que les GAFA qui fabriquent les technologies de contrôle, ce sont les utilisateurs qui en sont demandeurs. Qu’ils soient conçus à des fins purement mercantiles, politiques, sociales ou autres, les grands discours des technoprophètes infusent dans une société hyper demandeuse de dispositifs de contrôle et de surveillance panoptique en tous genre. Sans nier leur responsabilité quant à leur absence d’éthique technologique, on ne devrait pas pour autant oublier l’importance du terreau dans lequel ils s’enracinent.
~ Antoine St. Epondyle
Après des siècles à lutter pour nos libertés et nos droits, les gens ont de plus en plus envie de s’auto-controler… C’est assez déprimant. Pourtant, les lois évoluent aussi, et parfois en bien, notamment avec le RGPD qui encadre la protection de données personnelles (très strict à ce sujet, il impose par exemple de minimiser les données personelles collectées, sans quoi tu es déjà « hors cadre », pour toutes les données des membres de l’Union Européenne. Cela concerne les entreprises établies sur le sol des membres de l’UE mais aussi les autres entreprises, hors UE, qui utilisent des données de citoyens dans l’UE. Autrement dit, fb et consorts sont hors la loi sur pas mal de choses maintenant, quand ils vendent nos données sans notre consentement, et collectent sans nous informer, et beaucoup plus de données que nécessaires… bien qu’ils utilisent la liberté individuelle pour justifier qu’ils sont « innocents » et que les gens donnent leurs datas volontairement). C’est assez révoltant de voir que la conscience individuelle a pris le pas sur la collective, quite à sabrer la liberté. Une jour nous nous réveillerons et nous aurons bien la gueule de bois – je pense aux pauvre peuple chinois qui est suivi à la trace comme dans un épisode de Black Mirror.
Certes. Je suppose qu’on a, collectivement, ce qu’on mérite.
Bonjour, merci pour cet article.
J’ai un vague souvenir du film à sa sortie, le livre m’a un peu plus marqué. L’héroïne y est moins naïve et la fin beaucoup plus pessimiste.
Dans le livre les dirigeants sont volontaires pour montrer l’intégralité de leur vie et cela ne change pas leurs habitudes. Ils ont intégrés ce contre pouvoir et cela ne les gènes pas.
A lire pour mettre en perspective la naïveté du film…