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Véritable tarte à la crème de l’imaginaire cybersexuel, on trouve des robots sexuels dans une grande variété d’œuvres de science-fiction ; permettant souvent de marquer au fer rouge de la damnation prostitutionnelle le robot conçu comme un être inférieur… afin de préparer narrativement le récit de son émancipation. Quel pire esclavagisme que la prostitution forcée ?

Pour les users, le robot sexuel est souvent présenté comme plein d’avantages : infatigabilité, absence d’émotions encombrantes pour la relation, docilité, etc. Un robot programmé pour vous satisfaire ne dira jamais non. Mais malgré la créativité de la littérature, cette image éculée du robot sexuel pourrait bien rester à l’état de fantasme ringard.

Qu’est-ce qu’un robot sexuel ?

Figure anthropomorphe, et même gynomorphe dans la plupart des cas, le robot sexuel est généralement présenté comme un « être » robotique à part entière.

Si un dispositif de stimulation sexuelle n’est qu’un sextoy, et si un corps artificiel n’est qu’une poupée, alors le robot sexuel serait la combinaison des deux : un corps artificiel capable de créer de l’empathie adjoint d’un dispositif de stimulation sexuelle permettant d’avoir des rapports avec lui. Dans une hypothèse courante en science-fiction, on pourrait également y ajouter une brique « IA » pour rendre aussi crédible que possible la relation, et permettre au robot d’apprendre et de s’adapter à son public. Joi dans Blade Runner 2049 (Ana de Armas) ou Samantha dans Her (Scarlett Johansson) sont exactement ce genre d’IA, auxquelles ne manquent plus qu’un corps pour devenir des êtres sexués. Dans un cas comme dans l’autre, cette absence de corps provoque des frustrations pour elles, qui se découvrent machines-désirantes, et pour leur partenaires masculins, la clientèle-cible.

Robot sexuel blade runner 2049
Blade Runner 2049

Un robot sexuel serait alors composé :

  • D’un corps anthropo- ou gynomorphe, interface émotionnelle,
  • d’un dispositif de stimulation sexuelle,
  • et d’une IA permettant un minimum d’autonomie et d’adaptabilité.

Autant dire que, malgré quelques effets d’annonces et polémiques sordides régulières, la mise en circulation effective et fonctionnelle de ces robots ne semble pas à l’ordre du jour.

Le robot sexuel est en fait, dans la science-fiction, à peu près l’équivalent des droïdes de protocoles de Star Wars, des réplicants de Blade Runner (Pris [Daryl Hannah] est d’ailleurs un robot militaire et sexuel) et des robots assassins de Terminator. Comme eux, il semble partager une incohérence majeure : pourquoi s’embarrasser de donner une apparence humaine et réaliste à des objets supposés remplir des fonctions aussi simples que la traduction (C3PO), l’excavation minière (Baty et ses amis), le meurtre (T1000) ou la stimulation sexuelle ? En matière de sexe, pourquoi s’embarrasser de poupées siliconées ultraréalistes et autres avatars de l’uncanny valley lorsqu’on peut utiliser directement des sextoys beaucoup plus « efficaces », discrets, et beaucoup moins chers que ne le seraient des robots incarnés dans des corps entier ? Si le design est le fait de donner une forme à une fonction précise, il y a ici un paradoxe de design assez saisissant. Sauf à considérer que l’objet de ces êtres robotiques est ailleurs : narratif, dans le cas de ces films, ou émotionnel dans le cas d’un robot sexuel réel.

Empathie artificielle

Comme le notait la chercheuse Camille Habault dans sa communication Genre robotiques et cyborgs troublants (2021) le visage humain du robot ou de l’IA est avant tout un facilitateur du contact humain. Une interface, qui permet la projection émotionnelle plus que ne le ferait un vulgaire godemiché par exemple. Là où Terminator n’a pas réellement besoin d’être un Schwarzenegger bodybuildé (pléonasme) pour accomplir sa mission, le robot sexuel est en premier lieu un support d’empathie artificielle. C’est en tout cas ce qu’en disent les utilisateurs de poupées de compagnie, ancêtre low tech du sexbot inventé au Japon et timidement exporté depuis. Dans les quelques études qui leur sont consacrées, les utilisateurs de dolls semblent demandeurs moins d’efficacité mécanique (X vibrations par minute) que de projection sensible (un visage amical et non-jugeant vers lequel se tourner). Ils projettent des sentiments, une relation sur ces objets, en parfaite connaissance de leur artificialité.

Exactement comme les robots de compagnie pour personnes âgées ou les voix amicales de certains bots conversationnels, ces dispositifs cherchent à créer un lien empathique avec l’utilisateur pour lui pomper ses données personnelles le mettre à l’aise et permettre leur utilisation.

Tou.te.s en concurrence

L’imaginaire du robot sexuel, principalement porté par la science-fiction, admet comme relativement probable le remplacement futur des relations sexuelles entre humains par des relations humains/robots. Ou suppose souvent que les relations actuelles s’apprêteraient à être bouleversées par l’arrivée massive de la robotique dans les chambres à coucher, chacun.e se trouvant à terme « mis en concurrence » avec des machines sexuelles que l’on suppose ultra performantes, dociles, disponible, mais aussi authentiquement aimantes et capables de créer l’empathie – comme dans la série suédoise Real Humans – mieux que n’importe quel être humain car sans autre but ou désir que de le faire. Un.e amant.e entièrement dédié.e au fait de l’être. Le « rêve ».

L’imaginaire sexuel se confond ici avec celui du travail et de la productivité. Dans le Grand Remplacement de l’humain par la machine, prophétisé depuis Thomas Mortimer (1801)[1], le robot mécano des usines automobiles ne fait pas grève et ne demande pas d’augmentation de salaire ; comme lui, le sexbot n’a pas d’exigence ni de caractère particulier. L’un comme l’autre sont des objets qui accomplissent les fonctions qu’on leur demande d’accomplir.

Ce rapprochement entre travail et sexualité a de quoi laisser songeur, et de fait il s’impose au regard des impératifs de performance et de disponibilité avec lesquels la plupart des sextoys sont aujourd’hui conçus, infusant jusque dans les relations intimes des logiques de tracking et de performance et ringardisant des concepts écultés comme la tendresse, le partage et la compréhension mutuelle. L’application « Nice » de tracking des performances sexuelles, avec notation à la clé, est un cas d’école de cette logique.

nice tracker
L’application « Nice ».

Lorsque de telles logiques président et hiérarchisent ce qu’on attend de ses relations sexuelles – et humaines en général – il n’est pas étonnant qu’on se retrouve paniqué à l’idée d’être mis en concurrence par une machine, fût-elle aussi stupide qu’un vibromasseur sur pattes.

Pour l’artiste Yann Minh, d’ailleurs, les relations sexuelles avec un dispositif artificiel même sophistiqué et personnalisé ne vaudraient pas les relations entre humains, même à distance. Le problème ne viendrait pas seulement de l’émetteur (la machine) qu’il s’agirait d’améliorer pour la rendre « plus humaine », moins prévisible, plus empathique ou ressemblante, mais de la psyché de l’humain récepteur. Le stimulus offert par la machine ne contenterait pas le cerveau, premier de tous les organes sexuels, contrairement à l’interaction réelle. L’avenir serait donc aux applications cybersexuelles entre individus, la machine ne faisant que le lien entre eux.

(Que l’intuition soit juste ou pas, on peut postuler que les interactions à distance entre personnes ont de beaux jours devant elles, qu’importe l’échec ou le succès par ailleurs des stimulations par IA ou robots sexuels. Si des sources existent sur d’éventuels blocages du cerveau face à une stimulation artificielle, je suis preneur.)

Le robot sexuel n’aura pas lieu

Quoiqu’il en soit, malgré les expérimentations et la commercialisation bien réelle de poupées ultraréalistes, le boom annoncé des robots sexuels n’a pas lieu. Comme toutes les prophéties sciences-fictionnelles des années 80, métavers en tête, la concrétisation tarde à venir. Concernant les dolls, leurs utilisateurs restent marginaux et il y a fort à parier que l’intégration de fonctionnalités d’IA n’améliorerait pas vraiment leur acceptabilité sociale. Le sexbot se fait attendre, les poupées en silicone ne conquièrent rien et restent – pour l’heure – cantonnées aux rubriques « weird » de nos magazines putaclics préférés.

realdoll poupée sexuelle
Les poupées ultra-réalistes « Realdoll ».

Au-delà des effets d’annonce pourtant, et comme dans bien d’autres domaines industriels d’ailleurs, l’attente prophétique du robot capable de révolutionner définitivement la vie ne ressemble qu’à un épouvantail de plus, permettant de masquer des industries basées sur le digital labor. Dans son essai En attendant les robots, Antonio A. Casilli en fait la démonstration : rien ne sert d’attendre les robots promis quand le monde s’équipe déjà très largement de petites mains, humaines, d’autant plus corvéables que mises en concurrence entre elles et dressées à obéir par plateformes interposées.

En science-fiction l’intérêt de se préoccuper des robots est souvent de comprendre ce qu’il y a d’ores et déjà de robotique dans nos façons de vivre, dans les systèmes et sociétés qui mécanisent nos corps, nos actes et nos esprits en nous enfermant dans des logiques de production et de performance, au détriment de sentiments humains trop humains, pourtant indissociables de l’expérience sexuelle – vitale en fait. Pendant que les sexbots continuent d’alimenter les fantasmes technophiles et autres cauchemars cyberpunk, de promettre la fin de la prostitution et de la pornographie, l’industrie du X se marre et industrialise le digital labor cybersexuel.

~ Antoine St. Epondyle

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Un grand merci à Brian K. pour sa relecture avisée !

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[1] Lire Antonio A. Casilli, En attendant les robots, Seuil, 2019.

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