
« J’ignore combien d’obus ont volé au-dessus de nos têtes. Combien ont explosé.
Je ne peux pas m’empêcher de songer, vu le nombre, qu’il y en a sans doute un pour moi. »
– Léon Vivien, 22 mai 1915
C’est totalement par hasard que je suis un jour arrivé sur la page de Léon. Un poilu sur Facebook, qui l’eût cru ? On nous avait déjà fait le coup des pages fictives plus ou moins subtiles, mais voilà : Léon est à part. Léon Vivien est un anonyme, un instituteur envoyé dans les tranchées pour défendre son pays contre l’envahisseur allemand. Mobilisé dès 1914 où il commença à publier ses nouvelles quotidiennement sur sa page Facebook, il y combattit pendant dix mois. Le 23 mai 1915, Léon est mort au champ d’honneur, laissant derrière lui sa femme Madeleine et son fils Aimé.
Léon1914 est un projet totalement innovant, initié par l’agence DDB pour Le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux. L’idée : utiliser Facebook pour faire vivre la vie de Léon et de ses camarades de tranchée au quotidien, depuis sa mobilisation jusqu’à sa mort sous les drapeaux. Au-delà de la simple expérience narrative, le projet a permis de sensibiliser les internautes en leur permettant de suivre la vie quotidienne dans les tranchées. Extrêmement populaire, la page de Léon avait déjà regroupé près de 20 000 fans dès les premières quarante-huit heures. Mais plus qu’une simple nouveauté publicitaire, le projet Léon Vivien incarne une nouvelle manière de raconter des histoires (et en l’occurrence de raconter l’Histoire) au plus près du quotidien. A la fin du projet, ce sont plus de 55 000 amis de Léon qui ont pleuré sa mort. Moi-même en apprenant la nouvelle le soir du 23 mai dernier, je n’ai pu réprimer un petit pincement au coeur, bien réel.
En rôliste convaincu, je me suis pas mal intéressé à l’utilisation des nouveaux médias comme supports narratifs. Le succès de Léon Vivien sur Facebook est la preuve que les blogs et les réseaux sociaux peuvent s’avérer de puissants vecteurs narratifs. Pour en savoir un peu plus sur le dessous des cartes, j’ai contacté le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux et sollicité une petite interview.
Voici donc le compte-rendu de ma rencontre avec Michel Rouger, directeur du musée et responsable du projet Léon1914.
Saint Epondyle : Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet Léon Vivien ?
Michel Rouger : Il faut rendre à César ce qui est à César, le projet nous a été proposé par l’agence DDB comme un mécénat, à titre gracieux donc. Nous sommes un jeune musée avec seulement dix-huit mois d’existence, et nous sommes intéressés par les outils qui permettent de créer de l’intérêt autour du sujet de la Grande Guerre. Surtout lorsqu’il s’agit de médias qui permettent de valoriser le contenu de nos collections.
C’est pour ça que nous avons décidé de créer ce personnage de Léon.
Léon est donc un personnage purement fictif ?
Oui, ça a été une question importante. Techniquement nous disposons au musée de carnets et de journaux de poilus que nous aurions pu utiliser. Mais d’un point de vue déontologique nous ne pouvions pas réutiliser un personnage réel et lui créer des amis, une famille… D’autre part nous voulions aborder beaucoup de thèmes différents. Et les carnets n’offrent pas une si grande diversité de thématiques.
Nous avons créé Léon de toutes pièces pour parler de thèmes variés, valoriser les collections et les archives du musée et se dégager des problèmes créés par la reconstitution de la vie d’un personnage historique. On peut dire que Léon a été le premier poilu connecté à Facebook, on supposait alors qu’il avait les moyens de publier quotidiennement sur le réseau. Mais à part cet anachronisme évident tout le reste est rigoureusement historique.
A ma connaissance cette initiative n’a pas d’équivalent.
Je ne crois pas qu’un projet de ce type existe ailleurs. A part peut-être en Pologne mais je n’ai jamais retrouvé la trace d’un autre Léon et je n’en suis pas sûr. En tous cas nous avons été le premier musée français à monter une opération de ce genre.
Ce n’est d’ailleurs pas un coup médiatique. Le but est de rendre l’Histoire vivante, c’est cohérent avec la démarche que nous avons d’habitude au musée. Ça rentre dans notre mission de service public, et si ça donne envie aux gens de venir au musée ça serait très bien. D’où l’idée d’utiliser nos collections.
D’où vient l’idée d’utiliser Facebook plutôt qu’un autre support, un blog par exemple ?
C’était beaucoup plus facile et moins couteux d’utiliser une structure existante plutôt que de créer un site en dur. Et puis Facebook est un média très grand public et simple à utiliser.
En plus, c’est un réseau hyper participatif qui permet une vraie richesse dans le contenu. Twitter par exemple n’est pas aussi riche et pratique pour diffuser des photos. Le but étant aussi de valoriser les collections de manière originale, Facebook était idéal.
Quel travail préparatoire a nécessité cette opération ?
Plus de trois mois de travail en amont pour un mois et demi de présence en ligne. Car si les dates des publications sont étalées sur dix mois (de Juin 1914 à Mai 1915), nous avons en réalité publié le tout en un peu plus d’un mois seulement. Le début de l’opération date du mois d’avril 2013.
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, nous ne pouvions pas faire durer l’opération réellement sur plusieurs mois et encore moins sur les quatre années de 1914 à 1918. Déjà sur le mois et demi de l’opération, le projet s’est avéré très chronophage et a mobilisé énormément des ressources du musée. Sans compter que l’agence travaille gratuitement sur le projet, on ne pouvait pas en abuser.
Et je crois que si nous avions duré plus longtemps, nous aurions fini par lasser les gens. Ici les publications ont été très concentrées et donc plus intenses. D’où également l’idée de faire mourir Léon brutalement, ce qui traduit aussi la violence de la guerre.
Combien de personnes ont travaillé sur le projet finalement ?
Il y a eu Lyse Hautecoeur, notre webmaster, une personne de la conservation, une des archives, et moi. Plus l’agence DDB bien sûr.
Qu’attendiez-vous de cette opération ?
On n’attendait rien, on ne savait pas du tout ce qui allait se passer. Si ça avait raté nous n’en aurions pas fait un drame, c’était une expérimentation dont les résultats étaient imprévisibles.
Mais dès la conférence de presse du 10 avril, on était partout. On n’avait pas prévu que des magazines comme Grazia par exemple parlent de nous, ce n’est pas le genre de journaux ou on parle souvent de la Première Guerre Mondiale… J’ai fait beaucoup de radios, y compris en Suisse et en Belgique. Le projet Léon1914 nous a permis d’être connus et reconnus. Le mieux serait qu’un musée étranger fasse son propre avatar, comme ça Léon aurait des amis bien réels sur le réseau !
L’impact le plus touchant est l’appropriation par les gens et leurs contributions sur la page Facebook. Beaucoup d’internautes ont apporté leur pierre à l’édifice en racontant leurs propres anecdotes et histoires familiales. Nous avons réussi à donner la parole aux gens via la page de Léon, et pas seulement en France. Les plus beaux commentaires que nous avons reçus sont ceux qui disent « On aurait jamais ouvert un livre d’Histoire, mais on attendait les nouvelles de Léon tous les jours. »
On a pu rendre l’histoire de Léon vivante, y compris pour de nouveaux publics, et c’était l’objectif. Maintenant nous espérons que le projet aura donné envie aux gens de venir visiter le musée, qu’on n’aura pas l’image d’une institution vieillotte et poussiéreuse.
A ce niveau nous avons eu un gros transfert des fans de Léon sur la page du musée. Ça nous permet de faire connaitre notre travail et nos autres initiatives.
Le succès de Léon a été au-delà de nos espérances les plus folles.
Qui ont été les amis de Léon sur Facebook ?
Les fans de Léon ont le profil type des utilisateurs de Facebook. C’est-à-dire entre 30 et 40 ans ainsi que des plus jeunes. C’est une nouvelle génération de public pour un musée comme le nôtre.
Après la mort de Léon, beaucoup de fans ont été choqués. Quel message voudriez-vous leur adresser ?
Ça traduit la violence de la guerre il y a cent ans, et encore maintenant. D’un jour à l’autre un soldat peut-être tué, comme ça, sans préavis. Le coté brutal de la mort de Léon représente la brutalité de la guerre, c’est malheureusement réaliste.
On nous aurait reproché le happy-end. Au niveau des familles de poilus, le quotidien était l’appréhension permanente de la mort d’un proche. Le scénario était écrit depuis le départ et nous avons fait attention à bien garder le secret, cette mort violente est cohérente historiquement et humainement. Elle dépeint la violence de la perte d’un proche pour les familles restées à l’arrière.
Que retirez-vous personnellement de cette expérience ?
J’ai parfois été bouleversé par les posts des internautes. L’histoire fictive que nous avons imaginé avec l’agence de communication a suscité énormément d’émotion auprès du public.
Un réalisateur de films ne voit pas les réactions des spectateurs, mais moi si. L’instantanéité de Facebook fait que derrière mon écran au quotidien, j’ai pu lire des commentaires parfois très émouvants postés par les gens. Même si l’histoire de Léon est fictive, la sincérité des réactions que nous avons suscitées chez les gens m’a beaucoup ému.
On a prouvé qu’un média comme Facebook qui est utilisé surtout pour parler de ses vacances à ses amis pouvait servir à raconter des histoires et toucher les gens.
Le mot de la fin ?
Simplement merci à tous les internautes de leur confiance et d’avoir suivi les aventures de Léon. Le projet que nous avons monté au départ nous a échappé et tout le monde se l’est approprié.
Notre objectif était de faire découvrir le musée, pour venir récolter les graines semées par Léon. On verra bien les retours dans les prochains mois.
Merci à vous de m’avoir accordé cette interview.
-Propos recueillis par Saint Epondyle- 31.05.2013
Mes remerciements à Michel Rouger et Lyse Hautecoeur pour m’avoir reçu. Et à toute l’équipe communication du Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux pour nous avoir fait vibrer aux côtés de Léon.
Super cette interview !! Moi qui ai suivi Léon du début à la fin, je trouve ça très plaisant de pouvoir en apprendre un peu plus sur un des initiateurs de ce projet. Et apprendre que DDB a fait cela gracieusement, rend l’aventure encore plus enrichissante : enfin un projet historique, culturel qui aura réussi à rassembler des milliers de gens, venus de tous horizons.
En tout cas, merci pour cette interview, te voilà donc endosser une nouvelle casquette qui te va plutôt bien !
Très intéressante cette interview et bien menée. :)
J’ai regardé de loin cette initiative mais clairement, le format est inédit. Moi qui ne suis pas férue d’Histoire, ça m’a donné envie d’en savoir plus. Bravo aux organisateurs de l’événement et à l’interviewer !
J’ai suivi avec assiduité l’histoire de Leon, je ne l’ai pas suivi dés le début car je n’etait pas au courant de cette initiative, mais dés que j’en ai eu vent, chaque jour j’attendais des nouvelles du front^^ cette interview me permet de voir l’autre coté du miroir, etant graphiste, et touchant a la communication je trouve cela super de la part de l’agence DDB. Encore Merci pour ce travail , qui je suppose, a du étre titanesque au niveau de la recherche, des archives et tout le reste, encore merci ;-)
J’ai aimé cette histoire …. j’ai été très triste de cette fin tragique …. j’aurai aimé qu’Aimé retrouve son papa Léon …. MERCI car j’adore l’histoire et j’ai encore beaucoup appris ….
Merci à tous de vos commentaires !
Pour info : grâce à la diffusion de l’article sur la page Facebook du musée, le record d’audience du site à été battu hier. Aujourd’hui il s’établit donc à 1038 pages vues. :)
C’était aussi magique qu’émouvant d’avoir des nouvelles du front par ce média moderne comme si le temps s’était dilaté pour nous faire rencontrer Léon, sa famille et ses camarades. Cela nous rappelle aussi s’il le faut que le bout d’un fusil n’est pas et ne sera malheureusement jamais la place d’une fleur.
Merci beaucoup.
Merci à vous. Et bienvenue sur Cosmo Orbüs.