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L’arrivée du toucher dans les échanges cybersexuels, en plus d’être un fantasme classique de la science-fiction, permettrait de gagner une nouvelle dimension dans les rapports sexuels en ligne, en dépassant les capacités actuelles des échanges numériques (texte, images, vidéos, paiements, activations limitées de toys, etc.)

En augmentant d’un sens (et pas des moindres) les possibilités du cybersexe, les innovations du genre préfigurent peut-être un changement radical de la donne actuelle – surtout si elle venait à être combinée à des dispositifs immersifs liés aux technologies dites de « métavers » (jeux vidéo, espaces en VR, cinéma immersif, etc.). Et bien entendu la remarque s’entendrait également pour d’autres sens mobilisés pendant un rapport sexuel comme l’odorat, le goût ou la thermoception – quoique ces sens-là fassent l’objet de moins de recherche et développement, et moins de fantasmes science-fictionnels semble-t-il.

En termes hardware, les dispositifs de sexe connecté actuels n’ont pas nécessairement besoin d’être aussi lourds à utiliser que les robots sexuels, les combinaisons haptiques intégrales et les autres fantasmes cyberpunk. La « télédildonique » existe déjà sous la forme (limitée) des bracelets connectés et d’autres accessoires – ainsi bien-sûr que des ceintures de chasteté connectées et des sex toys télécommandés à distance (livrés avec les risques de fuites et de hacking assortis). L’expiration en 2018 d’un brevet bloquant sur la télédildonique et les progrès technologiques notamment dans le domaine des interfaces laissent peut-être entrevoir un futur proche plein de ces nouveaux gadgets connectés, et peut-être aussi d’innovations de fond capables de créer de nouvelles formes d’échanges cybersexuels.

Explorons quelques implications de ces technologies actuelles et futures.

Branchons-nous

Concrètement, la technologie cybersexuelle d’aujourd’hui permet déjà à un nombre illimité de users[1] de se connecter à une interface logicielle (software) commune (comme un jeu vidéo en ligne) ou individuelle (comme un jeu vidéo en local) par l’intermédiaire de dispositifs physiques (hardware) de son choix : sextoys connectés, combinaisons haptiques, pinces crocodiles, etc.

Pour résumer :

  • Le user utilise son corps pour envoyer des stimuli à son hardware.
  • Le hardware traduit ses stimuli en inputs informatiques et les envoie au software.
  • Le software réceptionne les inputs et en calcule les conséquences avant de les renvoyer au user émetteur (cybersexe local, solo) ou aux autres users sur le réseau (cybsersexe connecté) sous formes de nouveaux inputs.
  • Dans ce deuxième cas, les inputs sont traduits par le hardware des récipiendaires en stimuli physiques à destination de leur corps (vibration, son, image, que sais-je).

C’est déjà ce qui arrive lorsque l’on visite un site pornographique (software) avec un ordinateur doté d’une souris et d’un clavier (hardware) même si les possibilités sensibles du dispositif sont alors très pauvres et mettent très peu en jeu le corps des users de part et d’autre.

En appliquant cette idée au schéma de la communication de Roman Jakobson, on arriverait à quelque-chose comme :

cybersexe schéma

Gardons bien en tête que ce dispositif vaut pour presque toutes les interactions de communication en ligne. Appliqué au cybersexe, elles recouvrent toujours une grande variété de situations. Quelques exemples :

Cam. L’émetteur se filme (stimulus) avec un smartphone (hardware), envoyant images et sons (inputs) sur un site Internet (software partagé) ; auquel un récepteur accède via un abonnement éventuel pour regarder le live sur son écran (input) lui permettant de ressentir de l’excitation (stimulus). Ses réactions, likes, micropaiements (tips), émojis ou réactions en live constituent un feedback reçu en live par l’émetteur.

Remote sex. Un user utilise une application (software) sur son mobile (hardware) pour activer un sextoy connecté, œuf ou vibromasseur par exemple (hardware) qui, selon le réglage (input) provoquera divers stimulus au user receveur.

Sexe connecté ou sexe virtuel en VR. Des users se connectent simultanément à un « métavers », univers immersif persistant (software), grâce à leurs combinaisons haptiques intégrales et multisensorielles (hardware) en vue d’échanger des principalement des caresses (inputs) renvoyés à la combinaison des autres (stimuli). L’échange, totalement hypothétique et aujourd’hui expérimental, est alors simultané (en fonction de la vitesse de connexion) et symétrique, une rareté permettant de vivre une cybersexualité « comme dans la vraie vie. »

L’idée de se brancher physiquement à la machine pour échanger des stimuli plus variés n’est pas neuve et inspire les expérimentations plus ou moins abouties, comme en témoigne cette couverture vintage de la revue canadienne Future Sex (1992, disponible ici) avec ses harnais connectés au look bien rétro.

cybersex revue

Un tel dispositif permettrait de s’affranchir des interactions directes induites par une relation sexuelle en chair et en os. Chacun.e des users devient dès lors libre d’intervenir sur son dispositif pour paramétrer les stimuli qu’il ou elle émet, et la façon dont il ou elle reçoit les stimuli envoyés par les autres. Les users garderaient alors la main sur la traduction du signal qu’ils ou elles reçoivent par leur hardware. En d’autres termes, et contrairement à une relation sexuelle « en présentiel » (selon le terme à la mode) l’expérience sexuelle devient contrôlable et personnalisable par les récipiendaires dans la mesure où ils et elles contrôlent et personnalisent leurs softwares et hardwares de réception.

L’un.e pourra s’en tenir au plus classique alors que d’autres choisiraient des stimulations inhabituelles, par exemple. (C’est d’ailleurs déjà le cas avec pas mal de sextoys actuels, dont certains ne s’inspirent plus du tout de quelque organe ou type de stimulation « naturelle » que ce soit, et font preuve de plus de créativité.)

Asymétrie technique

Cette liberté permise par le sexe connecté comporte au moins trois implications.

1/ Premièrement les users deviennent acteur.ices de leur expérience, et des barrières qu’ils ou elles se donnent. Au point que le ou la ou les partenaires n’ont aucun accès réellement physique à eux, et que les users décident toujours techniquement quels dispositifs physiques utiliser et comment les paramétrer. Ils et elles prennent la main sur les stimuli qu’ils et elles acceptent de recevoir, et lesquels ils interdisent… indépendamment des actions de leur.s partenaires. (Je me débranche quand je veux, j’utilise les toys que je veux.) Il devient impossible de forcer physiquement un contact non désiré (ce qui est très positif), et les users restent en capacité technique de cesser l’expérience à tout instant, ce qui devrait évidemment être la norme dans les rapports physiques. Cette première remarque va donc dans le sens de rapports plus sécurisés, à même d’éviter les agressions et autres contacts indésirés puisque le user consent à chaque instant à l’usage de tel ou tel dispositif, qu’il ou elle utilise ou pas. Contrairement à un contact physique qui implique la confiance envers son ou sa partenaire, ici elle n’est plus forcément nécessaire au moins à ce niveau puisque le dispositif est contrôlé par la personne qui reçoit les stimuli.

(Cette première remarque est toutefois à prendre avec des pincettes puisqu’elle se borne au strict aspect technique, alors qu’on sait que les rapports cybersexuels comprennent largement leur part de relations et, dans le cas des nudes ou sextos par exemple, d’effets d’entrainement ou de chantage affectif, contraignant le choix des users d’y participer ou pas. Il n’y a pas de raison de croire que les échanges sexuels dans des « métavers » en seraient exempts.)

2/ Deuxièmement, la personnalisation de l’expérience induit une isolation possible des participant.es. De la même manière que des users de jeu en ligne ne vivent pas la même partie en fonction de leur équipement (puissance de la machine, qualité de la connexion, précision du matériel etc.) les users d’interfaces cybersexuelles n’ont pas la même expérience selon les dispositifs utilisés. Entre le simple godemiché vibrant et une combinaison haptique doublée d’un casque VR, il y a un monde en termes d’immersion, impliquant que ces relations cybersexuelles sont donc toujours asymétriques. Corolaire immédiat : il devient plus difficile d’explorer des possibilités non prévues dans les paramétrages du hardware. Par exemple : un simple toy n’aura jamais les capacités d’une combinaison haptique complète, ce qui exclut la surprise ou le changement de programme – on se retrouve aussi limité.e.s physiquement que si l’on voulait « aller plus loin » au cours d’un échange de sextos par exemple.

Déjà aujourd’hui, la symétrie des rapports est très loin d’être la norme dans les rapports cybersexuels. (Et même dans les rapports tout court, la relation hétérosexuelle typique étant un cas d’école d’asymétrie où les femmes sont en moyenne très largement moins satisfaites que les hommes.) Dans la plupart des cas l’un(e) produit du contenu, des stimuli, bref des « inputs (ou signaux), que les autres consomment avant de renvoyer en échange des commentaires, paiements, likes etc. C’est le modèle de base des sites pornos à l’ancienne, dont les utilisateurs n’étaient pas invités à participer au-delà de souscrire un abonnement, faire un don éventuel selon mille modèles de financement plus ou moins opaques, ou de cliquer sur des publicités. (C’était avant l’irruption du digital labor sexuel, auquel on reviendra.)

Une arrivée massive des technologies haptiques dans nos usages ne devrait pas modifier cette asymétrie profonde des rapports : chacun(e) envoyant ses inputs (s’il ou elle le souhaite) et recevant (de même) de la manière qu’il ou elle le décide, différents types de stimuli. La réception d’un input (donnée informatique) est retraduite par le hardware du user en divers stimuli permis par la gamme des outils dont il ou elle dispose (vibrations, chaleur, caresses, sons, images, etc.). A titre d’illustration,  on peut citer cette expérience de Yann Minh, le « nooscaphe-cybersexuel », un scaphandre sexuel intégral.

« Vous ne manipulerez plus la manette de jeu, désormais ce sera la manette de jeu qui vous manipulera. »

Nooscaphe-X, Cybersex immersion engine.
NooscapheX1. © yann minh- http://www.yannminh.com/french/CtNooScaphCybSx.html
1994- 19/06/2001 – NooScaphe-X1 Cybersex Immersion Engine.

(Plusieurs démos du NooScaphe-X1 plus ou moins fictionnelles ou prototypées sont disponibles à cette adresse. Attention lien interdit aux -18 et NSFW.)

A partir de ce constat technique, tout l’intérêt de la technologie, à considérer qu’elle continue dans une logique cybernétique comme c’est le cas actuellement (on y reviendra), réside dans l’élargissement de la gamme des stimuli transmissibles par le hardware (goût, odorat, caresses avancées, textures, etc.). Et l’innovation n’a aucune raison de s’arrêter à des stimuli existants « dans la nature » ou « réalistes ». Un champ des possibles potentiellement immense pourrait être à inventer. Le software quant à lui se chargera de la communication entre users, de l’immersion (VR, graphismes, sons, etc.) et du transfert des inputs. De quoi éveiller la créativité des fabricants.

Asymétrie relationnelle et consentement

Tout l’intérêt d’un dispositif de ce genre est donc brancher des corps réels sur un ordinateur – capable de retraduire tous les inputs qu’il reçoit en stimuli sexuels potentiels via son hardware. Et l’interface numérique n’a aucun besoin d’être explicitement cybersexuelle pour être reliée à des accessoires dédiés : un headshot reçu sur Fortnite, un like sur Facebook, un  retweet ou autres pourraient aussi bien être utilisés comme déclencheurs, puisqu’ils sont autant d’inputs potentiels.

Que se passerait-il alors si les users utilisaient des interfaces cybersexuelle dans des cadres non prévus à cet effet et possiblement sans l’aval des personnes avec lesquelles ils et elles correspondent ? On pourrait utiliser un sextoy ou équivalent connecté à un jeu vidéo quelconque, pour recevoir des stimuli sexuels à partir des inputs émis par le jeu. Qu’en est-il de jouer avec une personne qui en profite pour se stimuler sexuellement sans avoir à demander un accord ? La question du consentement devrait alors se poser.

Personne ne peut dire comment sont utilisés les paquets de données qu’il ou elle envoie sur le réseau, ni d’ailleurs de ce qui est fait de ses photos et vidéos publiées en ligne. Rappelons que déjà aujourd’hui des prédateurs sexuels sévissent de moins en moins discrètement sur les réseaux fréquentés par les adolescents et les enfants, Instagram et Tik Tok en tête, détournant des images et vidéos de mineurs pour alimenter des fantasmes pédophiles… et peuvent inciter des utilisateurs naïfs et/ou trop jeunes pour se méfier à des comportements suggestifs (« soft porn » infantile, sexualisation de mineurs) ou explicites (pédopornographie). Cela changerait-il quelque-chose si ces prédateurs disposaient de hardware de stimulation sexuel capable de traduire le moindre paquet de données reçu en stimulus sexuel ? Impossible de le dire, mais la réponse ne va certainement pas dans le sens d’une meilleure protection des mineurs – ni des femmes quotidiennement harcelées en ligne, d’ailleurs.

Cette question se pose, et elle n’a absolument rien d’anecdotique, lorsque l’alpha et l’oméga de la relation sexuelle (même atypique, même tarifée, même en ligne) devrait toujours être le consentement des participant.es. La distance et l’opacité induites par ces dispositifs pourrait poser problème en masquant la nature réelle de la relation entretenue entre les personnes.

D’un côté le sexe connecté permet de rematérialiser la relation par l’ajout de dimensions sensuelles et physiques sous-utilisées jusqu’alors. De l’autre il permet de développer une activité sexuelle en-dehors des capacités de réception des corps respectifs des participant.es, entraînant une chaine de conséquences sur le plan éthique et du consentement.

Le sexe sans le corps

Pourquoi devrait-on être limité.es par les capacités sensibles de nos corps physiques ? Si le cybersexe dans les « métavers » obéit à des règles, ce sont probablement d’abord celles, implicites et mouvantes, qui régissent le cyberespace. Tout y est plus ou moins possible, dans la limitation inhérente au programme (Code is law) à commencer par l’incarnation virtuelle sous la forme d’un avatar. Les imaginaires sexuels et fantasmatiques qui se développent en ligne depuis des années ont d’ailleurs aboli, depuis longtemps, certaines limitations et barrières liées à la morphologie humaines, au moins sur le papier. On pensera à l’imaginaire des furries sexuels (tous les furries ne sont pas sexualisés), qui correspond sans doute à la plus grande communauté constituée autour de fantasmes sexuels de cet ordre. D’ailleurs, les sensations produites par un vibromasseur classique n’existent pas dans la nature et sont inaccessibles telles qu’elles dans une relation classique (la vibration intense et rapide n’est pas reproductible telle qu’elle par le corps humain).

Dans la prolongation de cette idée, dans le sexe connecté via un software partagé (métavers, jeu vidéo sexuel, etc.) l’incarnation « virtuelle » n’a pas besoin d’être liée aux sensations reçues par le corps physique. Il est déjà possible d’utiliser le numérique pour disposer d’un corps autre que le sien, en changer à loisir, s’incarner en humain, en furry, en robot, en personne d’un autre genre ou d’aucun genre et s’adonner à n’importe quel type de pratiques que des réticences physiques, morales, de bienséance et d’accessibilité – justifiées ou non – rendent difficiles dans la « vraie vie ».

A l’exact opposé des objets sexuels ultraréalistes comme les poupées de la marque Real Doll (en pleine uncanny valley) qui cherchent à produire un effet de réel, le sexe connecté dans un cyberespace immersif peut chercher au contraire à casser les codes du « réalisme ». De ce point de vue, le cybersexe peut aussi être envisagé comme un moyen de vivre une sexualité différente de ce à quoi les corps physiques contraignent… dans une certaine mesure. La réception du stimulus en dernière étape reste traduite par les organes perceptifs de la personne – « interface » ultime avant les nerfs et le cerveau, toujours selon une vision cybernétique du corps humain, typique en recherche cybersexuelle et dans la tech de manière générale. Les quelques errements recensés à ce jour, comme cet improbable sextoy supposé faire ressentir un orgasme féminin aux hommes cis, ont de quoi laisser sceptique. D’autant qu’ils réussissent à essentialiser « le plaisir des femmes » et « le plaisir des hommes » en même temps, comme s’il n’en existait pas d’innombrables variations. Bref.

Cette limitation existera probablement tant qu’il ne sera pas possible de reconfigurer nos cerveaux pour recevoir des sensations interdites par nos organes physiques (ressentir une érection pour une femme cisgenre, une pénétration vaginale pour un homme cisgenre, par exemple), la fluidité cybersexuelle totale telle qu’imaginée par Ursula K. Le Guin dans La main gauche de la nuit (ou les humains sont alternativement mâles et femelles) restera, d’ici là, du domaine de la science-fiction.

Il n’empêche, sans aller jusqu’à se planter des électrodes dans le c… cerveau, la fluidité typique des identités numériques pourrait, dans le cadre du cybersexe, continuer à être un terrain de jeu puissant et émancipateur pour permettre au plus grand nombre de tester autre chose que les possibilités de la vie AFK. Par le passé, Internet a déjà joué ce rôle émancipatoire en permettant à des communautés auparavant invisibles de se regrouper et de se rencontrer, et dans une moindre mesure en contribuant à libérer pratiques et conceptions du couple auparavant minoritaires, en leur donnant des cyberespaces où s’illustrer, s’exprimer, se vivre et finalement se réaliser.

Le sexe connecté est politique

L’énorme consommation de X sur Internet dénote peut-être un besoin ou une envie de vivre une sexualité différente de celle à laquelle la « vraie vie » donne accès, pour de multiples raisons. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on sait à quel point la sexualité peut jouer un rôle important dans la construction de soi à divers âges de la vie. Vu les perspectives offertes, et d’un point de vue théorique, le cybersexe pourrait peut-être devenir un vecteur d’accès à la sexualité qui soit plus porteur d’émancipation que d’oppression. Un moyen permettant à tout le monde de vivre sa sexualité sous les traits de son choix, avec une parfaite maîtrise des sensations et des limites qu’il ou elle souhaite poser ou explorer.

J’entends déjà d’ici les discours alarmistes et passablement simplistes prétendant qu’il n’y aurait de relation sexuelle que physique et directe (au mépris d’un grand nombre de pratiques actuelles d’ailleurs). Et si je peux comprendre leurs réticences (je les aurais écrites moi-même il y a quelques années), je pense que le sujet mérite que l’on reste à l’écoute de ses possibilités sans les rejeter en bloc – au premier rang de celles-ci : la possibilité offerte par le « virtuel » de dépasser son propre corps pour un soir ou plus.

La bataille menace toutefois d’être rude tant l’état actuel des milieu du jeu vidéo, de la pornographie, et de la tech de manière générale témoignent de logiques cybernétiques et d’une vision du monde largement américaine réduisant le corps à l’état de machine aux performances variables – mais toujours à « améliorer » et à monétiser. L’évolution de ces milieux laisse entrevoir le futur probable qu’ils nous préparent si le sexe connecté continuait sa folle démocratisation, un futur plein de blockbusters mainstream standardisés (mais personnalisables), d’add-ons et de DLC, de free-to-play et d’autres logiques d’abonnements permettant d’améliorer les sensations et « performances » des consommateurs et consommatrices. Sans compter les foules invisibles du travail cybersexuel qui existent déjà sous une myriade de modèles économiques différents (du digital labor à la prostitution en passant par les revenus publicitaires…), et dont les perspectives technologiques du cybersexe ne peuvent que provoquer l’explosion. Rien de très utopique ou libérateur, donc.

Comme toujours en matière de technologies, l’enjeu du sexe connecté est d’abord celui des pratiques qu’il induit et qui l’accompagnent, du développement de ses outils et des modèles économiques qu’ils incarnent, irriguent et rendent possibles. Attention à ce que les possibilités du cybersexe, aujourd’hui massivement pratiqué dans ses versions actuelles et piloté par les industries, ne devienne pas la caisse de résonance des pires fantasmes masculinistes, racistes et marchands déjà hégémoniques das le porno, et un vecteur supplémentaire des pires imaginaires et pratiques oppressives.

Pour l’éviter, il s’agit de faire tendre les possibilités du cybersexe vers de nouvelles émancipations. De s’emparer des usages, relations et identités permises par ces technologies sans se laisser piéger par elles – tout en bâtissant de nouveaux outils. A nous de la faire tendre, en acceptant, détournant ou refusant les technologies, vers de nouvelles dimensions sociales, sensuelles et émotionnelles qui permettront à toutes et tous de vivre pleinement sa sexualité et sa vie plus généralement. A nous de déjouer le « cyber- » pour privilégier le « -sexe », la relation plutôt que la performance.

~ Antoine St. Epondyle

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Image de couverture : Miss Marilyn et Daisy Love dans Automaton, A four chambered heart, photo par BLSSM.

Un grand merci à Brian K. pour sa relecture avisée !

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[1] Je prends ici le terme anglais pour « utilisateur » et « utilisatrice », non-genré.

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