Mein Kampf se vend bien, et c’est une bonne chose

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Et en plus la couverture est dégueulasse.

Mein Kampf est une saloperie, un brûlot nazi qui servit de base idéologique à l’assassinat de millions de personnes, un crime contre l’humanité inexcusable. Je n’ai pas lu le bouquin en question mais je sais pour l’avoir appris, à peu près ce qu’il contient. Comme vous, j’imagine.

Et donc ; ce torchon est un succès de librairie en Allemagne où il vient d’être réédité, accompagné de la polémique qu’on imagine. Malgré la douleur des familles de victimes du nazisme, malgré les « plus jamais ça » et le travail de mémoire qui a été fait (l’est encore) autour de l’horreur antisémite que théorise ce bouquin, malgré le respect qui est dû à ceux qui furent massacrés sans raison par un pays devenu dément, malgré tout je crois que c’est une bonne chose que ce livre se vende.

L’édition allemande (à ce jour la seule parue), est un livre d’histoire, un texte commenté et documenté d’un « appareil critique » de plusieurs milliers de notes sensées démonter, décortiquer et abattre les idées développées par Hitler. Bref, cette édition est loin d’être un texte brut laissé à l’appréciation de chacun. C’est un discours engagé, orienté vers la déconstruction du discours, dans le but de le remettre en contexte.

L’horreur dont se sont rendus coupable Hitler et ses sbires est inexcusable, pas inexplicable. Ne laissons personne nous dire qu’il est impossible de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Ne riez pas, c’est ce qu’on nous sort régulièrement (voir cette vidéo édifiante d’Usul). Il faut expliquer, comprendre les mécanismes derrières l’atrocité. De la même manière qu’il n’est pas condamnable « d’humaniser » Hitler comme ce fut reproché au film La Chute par exemple. Il n’y a pas à « humaniser » les nazis, les terroristes et les bourreaux en tous genres : ils sont aussi humains que nous. Faire d’eux des monstres incompréhensibles et inhumains, des vampires, des entités diaboliques foncièrement différentes de nous, c’est s’imposer des œillères pour ne pas voir la réalité.

Cette réalité c’est que des individus normaux, ni plus stupides, ni plus violents, ni plus ceci ni plus cela, pas des sociopathes, pas des psychopathes, des gens comme vous et moi, ces individus peuvent se faire endoctriner et commettre les pires atrocités auxquelles l’histoire nous a dramatiquement habitués. Dire le contraire, c’est risquer de se croire à l’abri de devenir comme eux. (La banalité du mal, vous vous souvenez ?) Comme je le disais plus haut, je n’ai pas lu Mein Kampf et, sûrement, vous non plus. Nous avons simplement écouté ce qu’on nous en a dit jusqu’ici, pour nous en faire une opinion. Bien sûr que lire ce livre ne fera pas de nous des nazis, cette idéologie néfaste est (quasi) unanimement condamnée aujourd’hui. Pas la stigmatisation d’autres populations. Il suffit d’allumer la télé pour le voir ; et c’est de pire en pire.

A une époque où Internet pourvoit à l’essentiel des informations, et tellement imparfaitement, où le texte intégral de Mein Kampf est – de toute façons – en libre accès depuis longtemps… nous avons plus besoin d’un cerveau pour penser par nous-même que d’interdictions ou de censures.

La réédition de Mein Kampf est d’utilité publique. Vraiment. Personne n’est obligé de le lire – je n’irai pas me taper 2 000 pages d’éructations nazies écrites avec les pieds – et heureusement. Mais s’opposer à sa réédition c’est mettre un mur entre une analyse documentée, historique et rigoureuse, et ceux qui veulent comprendre les mécanismes idéologiques et rhétoriques qui ont mené au pire cataclysme de l’histoire européenne à ce jour. A ce jour.

Se cacher les yeux devant son ennemi, c’est le meilleur moyen de ne pas savoir le reconnaître lorsqu’on en aura besoin.

~ Antoine St Epondyle

16 Commentaires

  1. J’ai trop peu de choses à dire en commentaire, parce que je souscris pleinement, totalement à ton propos !

    C’est effectivement essentiel de se rappeler que ce furent des humains, des dérives profondément humaines (la haine, la peur, l’exclusion, etc.) qui ont permis tout ça. Reprendre le bouquin, avec commentaires, est un travail nécessaire et utile. Je ne l’ai pas lu, mais il faut que je le fasse un jour. Et ce genre d’éditions est vraiment important car elles permettent de rappeler un « détail » terrible : à l’époque, ça ne choquait pas grand monde d’en vouloir aux juifs.

    Un peu comme les musulmans aujourd’hui…

    D’où l’urgence de contextualiser, de détruire le mythe, de remettre en perspective.

    Merci !

    • Putain, ça c’est du cours d’histoire…
      En même temps cet histoire d’appareil critique me laisse un peu songeur. C’est clairement positif mais ne même temps foncièrement orienté, alors qu’idéalement il ne faudrait pas en avoir besoin pour décrypter soi-même l’aberration des thèses défendues. J’aime pas trop qu’on me dise quoi penser.

  2. Complètement d’accords. D’ailleurs c’est une des choses qui m’énerve le plus avec notre manière de traiter le nazisme : le nazisme n’est pas terrifiant car ce serait des monstres qui auraient fait des horreurs, mais car ce sont des personnes tout à fait normales qui les ont faites. Tant qu’on aura pas compris ça…

    Et de toutes manières « Mein Kampf » n’est pas le livre le plus dangereux de cette période, je me méfierai bien d’avantage des « Protocoles des Sages de Sion » pour le coup, surtout quand je vois l’antisémitisme de l’Alt-right aujourd’hui.

      • Je partage l’avis de NicoC sur la dangerosité des Protocoles (en vrai, c’est même de la dynamite).

        Mein Kampf est beaucoup moins « évident » que, par exemple, Bagatelle pour un massacre de Céline. Bagatelle, c’est facile : impossible de ne pas remarquer que c’est une éructation raciste sortie du cerveau d’un barjo. Dans Mein Kampf, même si la haine du Juif court tout le long des pages, c’est une haine dirigée contre le Juif en tant que représentant du capitalisme apatride et accomplisseur du monde désincarné de la technique (cf Heidegger), qui coupe le lien entre l’homme et le cosmos… c’est à dire des problématiques dont on nous rebat encore les oreilles aujourd’hui, même si, aujourd’hui, on les a plus ou moins déconnectées des Juifs (sauf dans le milieu underground soralien, où cette rhétorique est utilisée sans complexes).

        Et c’est encore bien pire pour les Protocoles des sages de Sion. Les Protocoles, c’est comme ces sites web complotistes qui te disent que les Américains ne sont pas allés sur la Lune : tu visites en te croyant très malin et en te disant que tu vas bien te marrer, et puis une heure plus tard, t’es toujours dessus et tu te dis « putain mais c’est vrai qu’il y a des trucs chelous ». Même chose dans les Protocoles : ce sont des problématiques hyper contemporaines, avec des détails très précis dont il est très simple de trouver des équivalents aujourd’hui, et qui, dans le livre, sont toutes reliées aux Juifs. La seule différence avec aujourd’hui, c’est que ce lien n’est plus fait. Mais je te jure que parfois, tu entends Mélanchon parler, et dans son discours tu remplaces « les riches » par « les Juifs », tu n’es pas loin de retrouver des trucs écrits dans Mein Kampf ou dans Les Protocoles. Ca fait longtemps que cette proximité me fait flipper.

        • Oui donc, je termine ma réponse : d’où, pour moi, l’importance cruciale non seulement d’avoir un texte annoté et bien annoté, et d’autre part, de se renseigner pas mal aussi, avant d’approcher Mein Kampf, sur la pensée Völkisch et le romantisme allemand, la contre-révolution, qui renseignent pas mal sur la façon dont les mentalités ont pu évoluer à la fin du XIXe début du XXe jusqu’à permettre que Hitler prenne les commandes. C’est d’ailleurs assez terrifiant en soi.

          • Merci pour l’ajout. :)
            En effet je pense que Mein Kampf est relativement « désamorcé » aujourd’hui tant son auteur, son idéologie et ses actes sont unanimement reconnus comme abjects. Et en effet, d’autres ouvrages ou mouvement de pensée peuvent en partager beaucoup d’aspects sans avoir le même bagage de méfiance de la part des lecteurs.

  3. Tous ses commentaires auxquels on ne peut qu’adhérer ( comme les braves gens ont adhéré à l’idéologie nazie ) rassurent l’homme civilisé qui veille en chacun de nous ( c’est son tour de garde ) tandis que l’autre, le sauvage sommeille. Expliquer, bien sûr que c’est nécessaire mais cela risque de ne pas être suffisant. Les hommes ont la mémoire courte. Il faut dire que la vie l’est aussi. De là à penser avec les transhumanistes que l’on résoudra cette myopie avec l’allongement de la vie, il y a un pas que l’on est quelques-uns à ne pas franchir. L’homme  » augmenté  » ressemble furieusement au délire national-socialiste et l’eugénisme prôné par ce brave Adolf a peut-être de beaux jours devant lui. Ainsi vont ce que Sloterdijk appelle les  » grandes civilisations »

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