La survie de l’espèce, Paul Jorion & Grégory Maklès

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La couverture du bouquin.

Bande-dessinée pédagogique et sans concession, La survie de l’espèce est un essai graphique de Paul Jorion et Grégory Maklès. Très clair et bien ficelé, le bouquin décline avec pas mal de cynisme, d’humour et un bon supplément de vitriol les concepts fondamentaux du capitalisme, et notamment les interrelations entre ses acteurs.

Et pour tout dire, ça fait un peu mal au cul.

On entend beaucoup de choses sur ce fameux « capitalisme ». Et notamment pas mal de conneries tant le concept est confondu avec la société de consommation, le régime salarial, voire les inégalités de traitement entre les acteurs économiques. Abordant le sujet à la base, La survie de l’espèce est un ouvrage de référence qui reprend exactement – à grand coups de métaphores bien senties – la définition de ce qu’est, précisément, le capitalisme. A savoir le fait que des individus détenteurs de capitaux (que les auteurs n’appellent pas « actionnaires » mais « capitalistes ») louent la force de travail d’autres individus (majoritaires) en échange d’un salaire. Et pour chapeauter les masses productives qu’ils emploient, ils font appel à des kapos patrons.

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La fabrique du consentement : c’est Ranran qui prend. Image depuis le blog de Paul Jorion.

Au programme des réjouissances : un tour d’horizon complet de la sinistrose du XXIème siècle telle que ressentie par un petit salarié Lego™ culpabilisé parmi d’autres. Sous ses yeux, et ceux d’un jeune fils de riche au cours de son initiation, prend forme la magie du capital, qu’on nous expliquera grâce à des courses de chevaux, quelques traders psychopathes, Terminator™, Barack le barman et un affreux journaliste gauchisant. Plus concrètement, La survie de l’espèce est construit en deux parties et une conclusion. Le sommaire est le suivant.

  1. Le surplus, pourquoi et comment l’on créé plus que ce que l’on consomme.
  2. Ce qu’il advient du surplus, comment ceux qui ont tout mettent la main sur le peu qui reste.
  3. Le démenti par les faits ; quand même ceux-là commencent à douter, on est sacrément dans la merde.

A travers ces trois chapitres dont les intitulés ne laissent pas soupçonner la richesse du propos, les auteurs font un tour d’horizon du rôle de leurs deux personnages principaux : le salarié Lego™ et le capitaliste en haut-de-forme. A noter que le patron initié à l’art subtil du management (« Va falloir se sortir les mains du cul avant que ça cimente »), n’est pas si important qu’on le croit. Il n’est qu’un salarié converti à la beauté du capital par l’usage habile de stock-options qui le font passer, l’air de rien, du côté des actionnaires.

Si la conclusion du bouquin est une forme d’ouverture quasi-optimiste par la prise de conscience (les Lego™ deviennent humains), elle peine pourtant à convaincre sur l’issue positive d’une telle situation. En fait, je suis convaincu que Paul Jorion n’est pas optimiste du tout quand au futur de l’humanité. Peut-être pour contrecarrer les discours politiques simplistes et le solutionnisme à tout crin, l’auteur enchaîne d’ailleurs les titres crépusculaires comme Nous avons lancé le processus de deuil de notre propre espèce, ou son dernier ouvrage en date Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Ambiance.

Qu’on souscrive ou pas à cette vision (argumentée) des choses, je pense qu’on ne peut que profiter de La survie de l’espèce pour nous apporter un discours subversif, profondément contestataire et absolument inaudible dans le discours ambiant. Découvrir qu’un système qu’on nous présente depuis toujours comme le seul viable (ah ah : viable !) fonctionne de manière aussi aberrante, ça a de quoi faire peur. Ceci dit on s’en doutait, non ?

-Saint Epondyle-

Quelques couvertures alternatives pêchées sur le blog de Paul Jorion.

Antoine Daer
Auteur et journaliste SF | Website

Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.

4 Commentaires

  1. Enfin une chronique de cette petite merveille. Cette bombe atomique absolument franco-belge et inexorablement critique. Ce morceau de cerveau disponible qu’on vous rend augmenté, instruit et amusé en même temps. Saint-ep, il faudra définitivement que tu viennes faire un tour chez Ars industrialis un de ces jours, aller plus loin dans les idées de Paul Jorion, et d’autres.

    Merci pour ce retour.

    • Putain, ton commentaire est mieux écrit que ma chronique ! T’es en forme en ce moment toi, non ?
      Merci pour le prêt de cette BD, c’est un bijou caustique.

      Pour Ars Industrialis, je n’attends que ton invitation mon gars. :D

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