« Ils prétendent s’acharner à bâtir un paradis,
et voici que leur paradis est peuplé d’horreurs. »

Watchmen

Et demain ?

Il est frappant de voir combien les fondements du cyberpunk trouvent écho dans l’évolution du monde d’aujourd’hui. A mon sens, l’explosion démographique et urbaine, l’artificialisation des corps et des âmes, le règne des corporations et du mensonge, achèvent de consommer le divorce entre l’humanité et la nature.

Mais qu’est-ce-que la nature ? Elle est multiple. Bien sûr, on pense d’abord à la biosphère, malmenée par une crise écologique de plus en plus irréversible qui provoque l’appauvrissement des sols et des mers et le réchauffement climatique global. Trois espèces animales ou végétales disparaissent de la surface de la Terre, chaque jour [1]. Mais sans minimiser ces aspects, la nature au sens large ne s’arrête pas là.

Car la nature englobe également la nature humaine ; à la fois notre appartenance au règne animal et ce qui nous en distingue. Nous oublions trop souvent que nous sommes des mammifères comme les autres, à la démesure de notre prétention près. Et nous appliquons pourtant toujours la maxime proposée en 1637 par Descartes dans son Discours de la Méthode, où il exhortait les hommes à « se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » [2] Or, l’impact de cette logique sur l’environnement n’est plus négligeable aujourd’hui comme il l’était au XVIIe siècle ; nous ne saurions encore nier l’interdépendance de l’humanité à son unique cadre de vie. Le fétichisme de la maîtrise technique, jumelé au culte de la performance économique, nous aveugle au point de chercher à devenir des machines. [3]

De cette double déconnexion entre l’homme et la nature résulte la civilisation hors-sol d’une humanité privée de toute référence à ses racines [4]. En ignorant l’impact de la nature sur sa vie, à commencer par le rythme des saisons ou l’alternance entre le jour et la nuit, il n’est pas étonnant que l’homme perde de vue son appartenance au cycle global et sa place dans l’écosystème, pillant les ressources écologiques sans mesure. Or, plus nous nous coupons des contingences naturelles inhérentes à la vie sur Terre (la seule planète vivable connue à ce jour, faut-il le rappeler ?) et plus nous nous enfermons dans un monde artificiel en subissant des retours de flammes de plus en plus violents : changements climatiques, accidents nucléaires, pollution irréversible des espaces de vie, abrutissement général…

Un chef-d’œuvre majeur du cyberpunk traite de ce problème sous un angle intéressant. C’est dans Matrix, que l’agent Smith compare l’humanité à un virus, ravageant le monde jusqu’à épuisement avant de s’exiler ailleurs pour y reproduire le même processus. Ironie ultime, Smith incarne la société des machines combattue par les héros et son alternative à l’épuisement des ressources est un enfer mécanique, géré certes très rationnellement par la civilisation robotique, mais au prix de l’asservissement total de l’humanité. Le choix est sensiblement le même que celui proposé par le film Transcendance de Wally Pfister, où un scientifique transformé en super-intelligence artificielle cherche à asservir l’humanité pour son bien. La suppression du libre arbitre au profit de la rationalité de la machine est alors la condition pour accéder à une société « parfaite », dénuée de maladie, de souffrance, et où les hommes sont immortels. Pour se protéger d’elle-même, l’humanité devra-t-elle s’aliéner à une société rationalisée au maximum ? Notre monde actuel tend vers ce choix entre la peste et le choléra.

La littérature d’anticipation aurait-elle vu juste ? Le cyberpunk est le genre préapocalyptique par excellence, il décrit la décadence et les aberrations du monde postmoderne. Bien sûr, ces dystopies nous paraissent encore éloignées du monde d’aujourd’hui et de notre quotidien dépourvu de vaisseaux spatiaux, de robots et de lenseflare. Pourtant, sous couvert d’exotisme, les auteurs de science-fiction dystopique transmettent eux aussi un discours sur les dérives de l’époque, comme Voltaire et La Fontaine en leur temps. Derrière son esthétique à grand spectacle, le genre porte dans ses gènes la tradition de l’engagement.

Jacques Chambon dans sa préface à Fahrenheit 451, pose la question suivante :

« Est-ce que parce que 1984 n’a pas été comme 1984,  nous devons en conclure qu’Orwell avait tort ? »

Elargissons : sous prétexte que la science-fiction dystopique est toujours une fiction, devons-nous ignorer son message et nous précipiter vers un avenir lui donnant raison ? Bien entendu la question est rhétorique. Pour contrecarrer la concrétisation même partielle ou indirecte de ces univers cauchemardesques, la guerre est déclarée.

C’est à nouveau de la trilogie Matrix que nous vient un début d’alternative. Informaticiens, hackers, les héros de la fiction résistent à la Matrice en la piratant de l’intérieur. Ils en connaissent tout, le code, les clefs, ils ne combattent pas dans le « monde réel » mais directement de l’intérieur de la prison numérique.

Internet est l’outil nouveau du capitalisme, qui ouvre en grand la porte à un avenir de contrôle total et à un asservissement du citoyen consommateur. Pourtant, c’est aussi le lieu de naissance de nouvelles utopies, l’agora où s’échangent de nouvelles idées, une révolution technologique comparable à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. A la manière des hackers de Matrix, il appartient aux internautes citoyens de s’emparer des outils offerts par ce nouveau médium pour se libérer des anciens et nouveaux carcans. Plutôt que le fuir ou le brider, il faut détourner le système pour abolir la toute-puissance du contrôle. L’avenir de nos sociétés passe par la conquête du sixième continent.

Tout n’est pas perdu, non.
Tout n’est pas perdu.

Edgar Morin voit dans la mondialisation le dénominateur commun des évolutions mondiales actuelles. Il en propose une vision ambivalente dans son livre au titre évocateur, La Voie : Pour l’avenir de l’humanité.

« Ainsi, effectivement, la mondialisation est à la fois le meilleur (la possibilité d’émergence d’un monde nouveau) et le pire (la possibilité d’autodestruction de l’humanité). Elle porte en elle des périls inouïs ; elle porte aussi en elle des chances inouïes. Elle porte en elle la probable catastrophe ; elle porte aussi en elle l’improbable mais donc possible espérance.

[…] Il existe déjà, sur tous les continents, en toutes les nations, des bouillonnements créatifs, une multitude d’initiatives locales dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou existentielle. Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres, nulle administration ne les dénombre, nul parti n’en prend connaissance. Mais elles sont le vivier du futur. Il s’agit de les reconnaître, de les recenser, de les collationner, de les répertorier afin d’ouvrir une pluralité de chemins réformateurs. […] Le salut a commencé par la base. » [5]

De même, les mouvements de résistance indépendants à la « cyberpunkisation » sont multiples. La « déconnexion volontaire » qu’elle soit ponctuelle ou totale, permet de lutter contre l’injonction d’être joignable en continu et l’irruption du professionnel dans la sphère privée. Bien souvent limitée par la pression sociale ou la dépendance à la technologie, cette tendance prend néanmoins de l’ampleur [6]. Dans un autre domaine, pour lutter contre la société panoptique les techniques de camouflage se réinventent à destination des particuliers. De nombreux créateurs imaginent des looks furtifs ou des vêtements de brouillage stylisés, pour semer les nouveaux moyens de traçage et de reconnaissance biométrique. On peut citer le projet « URME Surveillance » de Leo Selvaggio [7], un masque ultraréaliste capable de leurrer les systèmes de reconnaissance faciale ; ou le « CV Dazzle » d’Adam Harvey [8], véritable look furtif inspiré de l’esthétique cyberpunk rendant le visage illisible aux systèmes électroniques. A l’exemple des vêtements brouillés du roman Substance Mort (adapté au cinéma sous le titre A scanner darkly) de Philip K. Dick, le masque du XXIe siècle se fait numérique. [9]

Loin de refuser les réseaux et les (r)évolutions technologiques, de nouveaux utopistes se connectent, communiquent au-delà des frontières, entreprennent et se fédèrent autour de nouvelles idéologies. Je les appelle les nouveaux hippies.

Ils sont les internautes mobilisés contre la surveillance et pour le libre accès à la culture, les défenseurs de modèles économiques alternatifs que sont le revenu de base inconditionnel [10] et le prix libre, les hacktivistes à la recherche de la transparence et de la démocratie réelle…Inspirées du logiciel libre et de la philosophie de l’open source, ces idées neuves quittent le domaine de la culture pour gagner en universalité.

Un certain nombre d’idées peuvent être éprouvées immédiatement. Internet permet de tester des concepts grandeur nature, au sein d’un dialogue international. Les idées s’échangent dans des proportions jamais égalées, favorisant l’émergence de communautés collaboratives à travers le monde. Les licences Creative Commons [11] prennent de l’ampleur et fédèrent de plus en plus de créateurs ; les succès mondiaux des fondations Wikimedia [12] et Mozilla [13] sont les preuves vivantes que des solutions alternatives peuvent exister.

Petit à petit se forment des groupes de discussion, de coopération et d’action, la plupart du temps en ligne, souvent transnationaux, qui fédèrent les initiatives personnelles au sein d’une vision plus globale de la société. Sans rejeter le système en bloc, et spécialement la mondialisation, ces acteurs en font partie intégrante. Ils redéfinissent des valeurs comme le travail, l’accomplissement personnel, le défi, le do-it-yourself et bien sûr le libre-échange.

Bien qu’elles doivent encore faire leurs preuves à grande échelle, ces alternatives ont le mérite de braquer le projecteur sur les enjeux importants et de proposer des alternatives pour fissurer, un pas après l’autre, l’inébranlable inertie générale. Utopiques à n’en pas douter, peut-être irréalisables, elles ont le mérite indéniable d’exister. Exister, c’est déjà servir à quelque chose.

Impossible de dire de quoi demain sera fait. Peut-être les changements actuels portent-ils déjà les germes d’une nouvelle civilisation, capable de plier totalement l’environnement et la nature humaine à sa volonté dans le cadre d’une exploitation rationnelle ? Ou au contraire, les avancées technologiques pourront-elles provoquer une prise de conscience écologique et humaniste globale ? Qui sait si les pouvoirs transhumains dont nous nous dotons déjà en échange de nos libertés ne nous permettront pas de les reconquérir plus tard ? A l’inverse, les réseaux qui ressemblaient à une utopie réalisée il y a quelques années risquent-ils de devenir un cyber-cauchemar, outil parfait de contrôle et d’aliénation au service du Dieu Pognon ? Autant de questions dont devront s’emparer les auteurs de science-fiction, mais surtout les citoyens de demain.

Jusqu’ici, la science-fiction dystopique nous aura bien divertis et fait rêver à de sombres ailleurs. C’est aussi, sans-doute en premier lieu son objectif. Mais lorsqu’éclateront les prochaines guerres du gaz, de l’eau et du pétrole ; que le gouffre entre les maîtres transhumains et les masses esclaves deviendra génétiquement infranchissable ; lorsque le fascisme renaîtra au pouvoir en abolissant sous couvert de sécurité la notion même de liberté individuelle ; lorsque le rêve littéraire deviendra un trop concret cauchemar, nous ne pourrons pas dire que nous n’avions pas été prévenus.

 « Vi Veri Veniversum Vivus Vici. »
« Par le pouvoir de la vérité, j’ai, de mon vivant, conquis l’univers. »

– JW von Goethe, Faust

-Saint Epondyle-
Version augmentée, janvier 2015.

Références
[1] TESSON Sylvain. Petit traité sur l’immensité du monde. Editions des Equateurs, 2005.
[2] LACROIX Alexandre. Sauvegardez votre vie (pour l’éternité) ! Philosophie Magazine, octobre 2014.
[3] Lire le chapitre bonus Le temps des transhumains
[4] RABHI Pierre. Vers la sobriété heureuse. Actes Sud, 2010.
[5] MORIN Edgar. La Voie : Pour l’avenir de l’humanité. Éditions Fayard. 2011.
[6] LOUART Carina. Les déconnectés volontaires. lejournal.cnrs.fr, 2014.
[7] Voir le site : urmesurveillance.com
[8] Voir le site : cvdazzle.com
[9] LECHNER Marie. Le nouvel âge d’or du camouflage. next.liberation.fr, juillet 2014.
[10] Voir le site : revenudebase.info
[11] Voir le site : creativecommons.org
[12] Voir le site : wikimedia.org
[13] Voir le site : mozilla.org

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12 Commentaires

  1. Pas très joyeux ce futur…
    Je suis un fanatique de Philip K Dick et bien que je sois plus optimiste et moins paranoïaque que lui, je trouve que ce monde tend à ressembler de plus en plus à ses romans ou nouvelles.

  2. Il me semble important de dire que finalement, il est normal que nous tentions de vivre « hors sol ». Jusqu’à présent la principale préoccupation de l’homme était la survie face à l’extérieur, à la Nature. Les premiers progrès, le feu, l’agriculture n »étaient que des manières de limiter la force la Nature sur nous. Et nous avons progresser jusqu’à oublier quasiment la Nature de nos vies. On s’étonne aujourd’hui des possibles inondations et des conséquences des tempêtes. Seulement comme d’habitude nous sommes aller trop loin. Il va falloir être plus méfiant. Mais nous trouverons probablement comme souvent une solution.

    J’ai toutefois une confiance relative dans les nouveaux groupes autoproclamés « vigiles », « gardiens » ou « protecteurs » des libertés, de nos consciences. De la même manière je me méfie aussi des « révolutionnaires » de tous poils. La glorieuse révolution anglaise, la grande révolution Française et celle d’Octobre ont prouvés que même les plus belles idées pouvaient être mises au service d’un petit nombre pour l’asservissement des masses. Attention de ne pas tomber d’une dictature à une autre. Evidemment je ne suis pas contre l’alternance surtout avec de nouveaux venus, mais gardons une réserve de bon aloi. Le Mouvement 5 étoiles voulaient changer la politique italienne en la rendant plus démocratique, il vire à l’autocratie et à la purge sous le débonnaire Grillo.

    • @Timetraveler > Pastrès joyeux sans doute, et pourtant j’ai tenté d’être le plus réaliste possible. Du moins selon un certain prisme, celui du cyberpunk…
      Merci de ton passage par ici. :)

      @Alexander > En citant à nouveau (de tête) l’idée de Pierre Rabhi, j’ajouterai pour te répondre que les peuples anciens, de l’antiquité à la Révolution Industrielle en gros, arrivaient à faire coexister une utilisation de la technique [assez] rationnelle et un rapport intelligent à l’environnement. En tous cas pour une large majorité d’entre eux, bien que certains peuples ont effectivement détruit leur habitat.
      L’empreinte écologique de l’humanité a été quasi négligeable pendant des siècles ; puis s’est enflammée d’un seul coup et nous nous sommes mis -depuis la machine à vapeur- a polluer et épuiser les ressources.
      Comme tu dis, nous sommes allés trop loin. Mais malheureusement, j’ai l’impression que nous sommes embarqués dans une dynamique instoppable qui nous entraînera (qui a déjà commencé à nous entraîner) vers l’irréversible.
      Les espèces animales disparues ne réapparaîtront jamais, et elles sont de plus en plus nombreuses.
      Peut-être l’humanité survivra-t-elle à elle-même. Sans doute, vu sa capacité d’adaptation. Mais peut-être au prix d’une civilisation rationalisée à l’extrême devant, pour sa survie, annihiler chimiquement les sentiments comme dans Equilibrium, ou asservir les hommes comme dans Matrix.
      Ces visions sont extrêmes bien sûr, ce sont celles de cinéma SF. Mais ne peut-on pas en voir les prémisses dans une société comme la nôtre, dédiée toute entière à la puissance économique ? où l’école forme des agents économiques plutôt que des citoyens ? où l’argent et la célébrité sont portés en objectifs de vie plutôt qu’en moyen et conséquence de l’accomplissement humain ?

      Je ne sais pas, je questionne.

      Merci de ton commentaire en tous cas.

  3. Sur le dernier paragraphe et selon moi :

    Lorsque les guerre de l’eau, du gaz et du pétrole éclateront, le vrai fossé sera celui qui séparera les possesseurs d’eau, de gaz et de pétrole, pas de smartphones. La technophilie transhumaniste n’aura pas grand rôle à jouer à ce stade, selon moi.
    Le gouffre entre transhumains et masses esclaves, ne sera rien d’autre qu’un gouffre de possession matériel et de richesse. C’est un gouffre qui a toujours existé et a toujours été génétiquement infranchissable. Un smartphone étant aussi indispensable à un nanti de 2014 qu’un cheval à un nanti de 1515 (tellement pratique qu’on ne s’en séparerait pour rien au monde), je ne vois pas la nouveauté du phénomène.
    Le fascisme n’a pas attendu la technologie pour restreindre les libertés individuelles, les humains font très bien ce genre de choses à la base. La technologie permet plus de facilité, plus d’ampleur, mais ce n’est pas la cause.
    Le genre littéraire n’est pas mis à mal par la technologie. Twitter, Facebook, certes, sont bourrés de fautes, et pleins d’un langage peu châtié. Mais je rejoins la thèse selon laquelle l’impression de dénaturation de la langue est un biais d’observation : la démocratisation du langage parlé sur nos écrans pixelisés rend nos fautes plus visibles, mais pas plus nombreuses. Les écrivains ne sont pas moins talentueux depuis Twitter et FacebooK.

    Sur les commentaires, et toujours selon moi :

    L’utilisation des ressources avant la révolution industrielle n’avait aucune raison d’être rationnelle. Dans le passé encore plus qu’aujourd’hui, la notion de ressources infinies était bien plus palpable, c’est juste que les moyens d’extraction de ressources étaient d’ampleur seulement locale.
    Les espèces animales disparues n’est pas un phénomène nouveau dû à l’être humain. La technologie et la pollution n’ont fait qu’accélérer un phénomène déjà propre à la nature. D’ailleurs, si l’on ne fait pas la distinction (purement subjective) entre activité humaine et nature, l’homme est seulement un prédateur redoutablement efficace, parfois malgré lui.
    Je ne pense pas que notre société soit entièrement dévouée à la puissance économique, que l’école forme des agents économiques, et que l’argent et la célébrité soit portés en objectifs de vie. C’est une image assez caricaturale, fortement véhiculée par la télé, mais pas aussi représentative de la population qu’on le croît. Je rappelle qu’au moins en France, le président a été élu en criant sur tous les toits qu’il était l’ennemi de la finance… Je pense que justement les crises économiques ont plutôt nourri un rejet de cette vision caricaturale plus qu’un attrait augmenté.

    Sur le contenu :

    La technologie rend l’être humain bien plus puissant, et je pense que la différence ne se fait pas dans la technophilie bobo/branchée/cool, mais bien plus au niveau industrielle. Certes la production de smartphone pollue un peu, mais de manière négligeable face aux industries agricoles et lourdes. En cela, je pense que ce sont les nations qui jouent avec le feu, plus que les individus. Je ne crois pas à un fossé entre individus, mais plus à l’échelle étatique, mais là encore ce n’est pas un phénomène nouveau. En fait, je pense que le grand responsable des déviances que tu évoques c’est encore est toujours l’humain au pouvoir, plus que la technologie.
    Enfin, je pense aussi que si la technologie maximise les conséquences néfastes sur l’environnement, c’est aussi avec la technologie qu’on peut tenter de ralentir la tendance. Enfin, l’utilisation à outrance des ressources planétaires ne se stoppera jamais, quelque soit la puissance technologique, à moins que : 1/ soit la démographie globale stagne à un niveau permettant à l’écosystème de se renouveler plus vite qu’il n’est consommé, 2/ soit il faut agrandir l’eco-système.

    Pour ma part, les deux possibilités me semblent impossibles.

    • Salut Funky,
      Merci de ton grand commentaire, je vais essayer d’éclairer un peu mon opinion sur certains des points que tu soulève.

      Sur le dernier paragraphe :
      C’est vrai, la plupart de ces phénomènes (inégalités, épuisement des ressources etc.) peuvent avoir été déjà observées par le passé. Ceci dit, je pense que la situation actuelle de ces différents sujets dépasse de loin les niveaux observés jusque là.
      Concernant les outils de communication modernes, ils ne sont pas à blâmer en tant que tels. Ils ne sont que des outils. De plus, je ne m’inquiète pas du niveau littéraire des écrivains, mais en réhabilitant l’écrit dans des proportions jamais égalées, on produit des quantités de texte de -très- mauvaise qualité, qui pourraient à terme avoir des répercussions en appauvrissant la langue.
      Si c’est évident que les langues évoluent depuis toujours, elles n’ont jamais été confrontées à ce genre de changement. On peut donc s’interroger (à défaut de s’inquiéter) sur son avenir.

      Sur les commentaires :
      Comme tu dis, le phénomène propre à la nature a été amplifié par l’être humain ; prédateur malgré lui et redoutablement efficace. Il fout en l’air l’écosystème dans des proportions et à une vitesse bien plus importante, ne laissant pas le temps à la nature de reconstituer ses stocks de ressources et d’espèces animales et végétales.
      Concernant le fait que la société est dévouée à l’argent, je pense que les efforts déployés par le gouvernement du même président dont tu parles pour attirer/retenir/draguer les industriels et les corporations privées prouve de lui-même que la guerre contre la finance n’a pas lieu. Si effectivement les citoyens ont voté en majorité pour un discours anti-finance, je pense que c’était avant tout de la démagogie.

      Sur le contenu :
      Je ne rend pas la technologie responsable en tant que telle. Et je suis donc d’accord sur le fait que l’humain aux commandes est responsable. Pourtant, il n’y a pas UN responsable, toute l’humanité l’est. Ce sont les comportements observables à un niveau macro qui ont un impact, pas la micro-aliénation ou la micro-écologie.
      Peut-être sortirons-nous de l’impasse par la technologie et le progrès. Mon esprit pessimiste n’y crois pas trop.
      Comme tu le dis en 1/ la population peut éventuellement stagner. C’est le phénomène de transition démographique dont me parlait Alexander il y a quelques temps : les peuples croissent puis le nombre des naissances décroit et le nombre d’individus finit par se stabiliser à un niveau adéquat.

      Personnellement, je pense qu’une ou plusieurs ruptures majeures, écologiques, politiques ou autres, risque de survenir avant que nous n’arrivions à cette transition démographique. Le changement se fera dans la douleur.
      Encore une fois, je ne suis pas précisément optimiste. L’avenir n’est pas certain, c’est peut-être aussi bien comme ça.

  4. Yep, pour le côté démago du président nous sommes d’accord, mais le fait que cela ait fonctionné révèle justement que la population rejette cette vision economico-centrée.

    Je suis aussi d’accord sur le caractère violent d’une éventuelle future transition démographique : si le salut de l’humanité réside dans la stabilité démographique, il n’est pas exclus que cela passe par la guerre (de l’eau ou du pétrole par exemple, qui consiste à réduire le nombre d’humains pour l’adapter à la taille du système qu’il exploite), la maladie ou la famine. Autant de facteurs chaotiques et incontrôlables qui, je pense, ne seront jamais résolus par de la technologie « bien intentionnée », transformant le tout en une bonne grosse cocotte-minute.

    En fait, je pense (je me trompe peut-être), que le côté cyberpunk est une évolution naturelle de l’homme et de ses comportements, plus que de son pouvoir technologique. La question est de savoir s’il est possible de distinguer l’évolution de l’homme de celle de sa technologie. En définitive, ne sommes-nous pas simplement des singes qui savent faire du feu ?

  5. Salut
    Passionné par le thème cyberpunk depuis les années 90, j’ai lu avec avidité l’ensemble de tes articles sur le sujet ainsi que les différents commentaires postés.
    Bravo pour ton travail de synthèse et ton analyse.

    Selon moi, nous vivons d’ores et déjà dans une société cyberpunk.
    Prémices du transhumanisme de masse que sont les smartphones,
    Une idéologie néo libérale mondialisée avec d’un côté, des multinationales toujours plus puissantes, plus tentaculaires et plus obscures (par opposition à la transparence), de l’autre une poperisation de la masse.
    Des processeurs de plus en plus puissants et de plus en plus miniaturisés permettant l’élaboration d’algorithmes prédictifs touchant des domaines de plus en plus variés, qui ont pour vocation d’analyser les bigs datas et de prédire les comportements humains pour mieux les commercialiser.
    Les attaques insidieuses menées contre la vie privée et les libertés individuelles au prétexte de la sécurité.

    Comme l’a dit Funky, le cyberpunk n’est que l’évolution « naturelle » de l homme depuis que celui ci a domestiqué le feu.
    Et nous vivons une époque charnière où l’on peut encore éviter de sombrer dans un futur distopique.

    Comme tu le dis, je pense que notre unique chance d’éviter ce futur, est dans la diffusion de l idéologie hacker.
    sharing economy, do it your self, fab lab, décentralisation de la production énergétique, court circuitage des réseaux de grande distribution (la ruche qui dit oui) et enfin démocratie directe.

    un livre que je te conseille:
    Hackers d’ amaelle guiton

    A+

    • Salut Niko,
      Merci pour ton enthousiasme ! N’hésites pas à donner ton avis sur les sujets qui t’intéressent. Comme tu l’as lu, je partage ton opinion concernant la « cyberpunkisation » de nos sociétés. Quand à savoir si la démocratie directe, le do-it-yourself etc. dont tu parles est une idéologie « hacker », c’est sans doute celle des Partis Pirates, mais j’ai peine encore à tout mettre dans le même sac (droits d’auteurs, transparence, protection de la vie privée sont des sujets assez différents…).

      As tu un lien qui présenterai le livre dont tu me parles ? j’imagine qu’il va plus en détails sur ce sujet ?

      • http://www.hentati.tn/Amaelle%20Guiton_Hackers.pdf ou tu peux l’acheter sur les sites traditionnels.

        Si le sujet t’intéresse (ce qui visiblement bien le cas), tu devrais te régaler.
        Elle parle d’ailleurs des partis pirates.

        Effectivement il faut se méfier de ne pas mettre dans le même sac tout est n’importe quoi, toutefois quand on observe ce qui se passe dans tous les domaines tant scientifiques (et toutes les applications de ces nouvelles technologies: IA, génétique, miniaturisation…), que législatifs (des lois toujours plus sécuritaires…) ou même culturel (l’abrutissement qu’est la télé réalité)… On arrive assez facilement à se faire une image globale de notre futur proche.
        Et même si je ne suis pas conspirationniste pour un sou, le monde qui se dessine actuellement m’effraie un peu (si demain un Hittler pointait le bout de son nez, avec les moyens technologiques d’aujourd’hui voire de demain, nous irions droit vers « 1984 »).
        J’essaie donc de voir aussi les bons côtés des choses (sharing eco…) et cela me donne de l’espoir.

        C’est pour cela que je pense réellement que nous sommes à une période charnière dont l’aboutissement n’est dépendant que de notre éveil et de notre volonté.

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