Introduction à la vie éternelle (Cryogénie 1/4)

Dossier "cryogénie" (1/4)

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cryogénie
Sigourney Weaver, Alien 3.

Vous pouvez, pour environ 200 000 dollars américains, mandater une entreprise pour conserver votre corps dans un état pré-mortem à basse température. Pourquoi faire ? Mais pour revenir à la vie plus tard bien sûr, lorsque la science du futur pourra vous guérir de toutes vos maladies, réparer ou remplacer les organes défaillants et vous offrir une nouvelle jeunesse. Ces entreprises se nomment Alcor ou Cryonics Institute et non, ça n’est pas une blague.

Ceci étant les chiffres divergent entre les miens (source plus bas) et ceux de Laurent Courau qui dédie un dossier spéciale sur La Spirale, et qui annonce un tarif plus avantageux à seulement 120 000 dollars. Lire Une introduction à la cryonie.

Cryogénie et science-fiction

Dans son article, Laurent Courau synthétise l’histoire de la cryogénie :

« L’idée de conserver dans la glace le corps d’un être humain dans l’espoir d’une réanimation ultérieure apparut pour la première fois dans une nouvelle de l’écrivain de science-fiction Neil R. Jones, The Jameson Satellite, publiée par le magazine Amazing Stories en 1930. Il fallut néanmoins attendre 1964 et la publication de The Prospect of Immortality, livre dans lequel Robert C. W. Ettinger, professeur de sciences physiques, pour qu’on envisage sérieusement pour la première fois de congeler des êtres humains en vue d’une future réanimation. »

Depuis sa première apparition, le fantasme de la cryogénie est devenu un classique de SF. Le procédé est généralement utilisé dans la littérature comme une capsule temporelle capable de conserver le corps de son « voyageur » pendant des siècles. Dans de nombreuses œuvres la cryogénie est utilisée pour les voyages spatiaux au long cours lors desquels le voyage est à la fois temporel et géographique, car il faut beaucoup de temps pour couvrir une grande distance. Les personnages sont plongés dans un état de stase qui empêche leur vieillissement et peuvent ainsi patienter des années, parfois des siècles, en attendant d’arriver à bon port. L’image du cercueil cryogénique en plexiglas emportant un équipage de vaisseau est ancrée dans l’imaginaire collectif, au point qu’un bon nombre d’œuvres qui l’utilisent éludent son aspect essentiel, à savoir qu’à l’extérieur de la capsule le temps passe normalement. Mis à part plusieurs films comme Interstellar ou Passengers qui en font un argument narratif à part entière, la littérature à tendance à oublier le sujet : les personnages ne semblent pas faire grand cas du fait que le reste du monde, à commencer par la Terre, continue à vivre sans eux et que leur mission s’en trouve donc extrêmement impliquante. La cryogénie est alors réduite à un moyen de transport qui oublie sa vocation première : passer le temps, littéralement. D’autant plus lorsqu’elle est combinée à la relativité du temps dans l’espace appliquée au récit science-fictionnel, et que des années s’écoulent au point A pendant que quelques heures sont ressenties au point B, comme dans Interstellar à nouveau, ou l’excellente BD d’Emile Bravo L’imparfait du futur.

Plus rarement en SF, la cryogénie est présentée comme un moyen de conserver les presque-morts en vue d’une nouvelle jeunesse hypothétique dans le futur. L’un des exemples les plus connus vient du roman Ubik de Philip K. Dick, dans lequel les morts congelés peuvent communiquer avec leurs descendants, épisodiquement, sur une sorte d’écran depuis un funérarium. Un détail qui n’en est pas un toutefois, dans Ubik les morts sont morts et n’espèrent pas revenir un jour parmi les vivants. Une fois leurs dernières ressources consommées, ils seront bel et bien terminés.

L’idée fait pourtant son chemin dans notre monde à nous, jusqu’à inspirer les premiers essais en conditions réelles. Conserver un corps vivant dans le froid n’est plus de la science-fiction depuis les années 1970, puisqu’on estime à environ 400 le nombre d’individus actuellement « suspendus » dans ce type de stase (Roland Portiche, Le retour des momies).

retour des momies portiche
Aux éditions Stock

Dans son excellent bouquin Le retour des momies, Roland Portiche compare les différentes formes de momification historiques aux procédés de cryoconservation actuels, après un large panorama de l’histoire de la momification à travers les âges et les aires culturelles. Le rapprochement est amusant mais soulève plusieurs questions et doit être précisé.

Le cryogénisé est-il une momie ?

Je limiterais ici, à la suite de Roland Portiche, ma comparaison aux momies de l’Égypte Antique, plus connues, plus documentées, plus longuement comparées à la suspension cryogénique dans Le retour des momies. Contrairement aux momies des toundras norvégiennes ou des tourbières écossaises, accidentés conservés par hasard, par les conditions naturelles, la momification égyptienne antique est un fait social élevé au rang d’art religieux – et un sort considéré comme souhaitable pour les personnes momifiées. A tel point que ce traitement post-mortem, au départ réservé aux rois et reines, fut étendu aux notables par la suite. De la même manière que les clients d’Alcor qui se font cryogéniser aujourd’hui, les anciens égyptiens voulaient être momifiés. Or, c’est l’un des seuls points communs.

La différence fondamentale entre une momie classique et un « cryoconservé », c’est que la momie est morte. Il s’agit d’ailleurs d’un prérequis pour toutes les attentes transcendantales de type « vie après la mort ». Les pharaons et autres notables momifiés attendaient bel et bien de passer dans un monde spirituel où ils pourraient vivre aux côtés des dieux. C’est ce que promet en partie le Livre des morts (le guide de l’immortalité de l’époque) qui donne aussi les techniques de momification avec moult détails. Or, le cryoconservé n’est pas mort, du moins pas au moment où il est placé en stase, il est « suspendu » et conservé dans une forme de coma en vue d’une résurrection future dans ce monde-ci. Il n’ambitionne pas de vie après la mort, mais recherche à revenir dans cette vie, lorsqu’on sera capable, dit-il, de la prolonger grâce aux avancés de la médecine.

Le rapport le plus évident entre la cryogénie et la momification rituelle du temps des pharaons réside probablement dans le décorum qui en est fait. Tout comme les procédés de conservation des corps antiques, la cryogénie est d’ores et déjà une réalité dans ce qu’elle met en branle d’imaginaires collectifs et d’effets d’annonce – les bijoux en or et lapis-lazuli étant remplacés par des tubes à essai, des modélisations 3D et des frigos en plexiglas, plus en accord avec les critères de sérieux de l’époque. Cette puissance d’évocation peu soucieuse de la faisabilité réelle du « rappel à la vie » qu’elle promet rappelle un peu l’annonce de Raël en 2002 sur son prétendu « clonage humain ». A l’époque, le buzz fut immédiat. Or la situation est d’autant plus confortable pour les transhumanistes d’aujourd’hui qu’ils peuvent repousser au futur la charge de la preuve de leurs allégations présentes. Contrairement à Raël et ses amis, eux n’ont rien à prouver ici et maintenant quant à l’efficacité de leur procédé. Rien à prouver, donc, à part une indéfectible confiance en l’avenir.

A partir de cet article, je vous propose une petite exploration du sujet cryogénique et des innombrables questions qu’il poserait s’il n’était pas une vaste fumisterie à laquelle il est légitime de se demander si quiconque y croit vraiment. Rendez-vous donc, si vous le souhaitez, ces prochaines semaines pour la suite du dossier.

~ Antoine St. Epondyle

Cet article fait partie du dossier cryogénie. Sommaire :

  1. Introduction à la vie éternelle
  2. Reboot yourself
  3. Pari pascalien et externalités négatives
  4. Caprice d’enfants gâtés

3 Commentaires

  1. Tu marques en point en parlant des buts qui ont changé: dans notre quête d’immortalité, nous souhaitons maintenant rester ici, dans la vie, plutôt que d’être immortel dans un ailleurs spirituel et fantasmé.
    Une sacrée différence, qui montre bien les mentalités d’aujourd’hui, tournée sur le concret et le matérialisme, en somme: le réel, plutôt que les mythologies de jadis. Bravo d’avoir remarqué cette énorme différence, auquel je n’avais jamais songé et pourtant fondamentale.

  2. Ton dossier est fini, mais je commente au fil de l’eau.
    J’ai quand même une forme de respect pour ceux qui se sont fait cryogéniser en 1970. A l’époque, la techno était encore plus balbutiante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Ça veut dire qu’en supposant qu’un jour on puisse décryogéniser, y aura encore plus d’éléments à retaper dans le corps des plus vieux, la cryogénisation elle-même faisant du dégât. De manière quasi contre-intuitive, plus tu t’es fait cryogéniser tôt, plus tu devrais être décongelé tard, le temps que les capacités scientifiques atteignent un niveau permettant de te remettre sur pied. Du coup, plus le risque est élevé que ta société de cryogénisation disparaisse, en plus.
    Pour revenir à la comparaison aux momies égyptiennes, les premières ont été estimées à -4000 avant JC. Le « sommet de l’art » a été atteint 2500 à 3000 ans plus tard (http://archeo.blog.lemonde.fr/2014/10/04/les-premieres-momies-egyptiennes/). Notre société va plus vite, mais ça laisse de la marge !

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