Surveillance et contrôle : quand la réalité dépasse la science-fiction

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Dans Planète B, l’émission de science-fiction de Blast que j’ai le bonheur de co-écrire, Hugues Robert (de la Librairie Charybde) attaque le thème ô combien important et malheureusement actuel de la surveillance et du contrôle. Et étudie, au-delà des poncifs sur Big Brother, comment le réel à peut-être dépassé l’imaginaire sur ce coup là.

PLANÈTE B : SOMMAIRE DES ÉPISODES

Au delà de Big-Brother : surveillance et science-fiction

1948 : George Orwell publie son roman « 1984 ».

Il a soigneusement lu et intégré ses deux prédécesseurs en matière de dystopie totale : le Russe Evgeni Zamiatine et son « Nous » de 1920, interdit en Union Soviétique dès 1923, et le Britannique Aldous Huxley, avec son « Meilleur des mondes » de 1932. On ne saura jamais en revanche s’il avait pu lire le « Kallocaïne » de la Suédoise Karin Boye, publié en 1940.

À eux quatre, cette autrice et ces auteurs de fiction du début et du milieu du vingtième siècle ont créé ce qui incarne encore aujourd’hui, pour une majorité du public, la science-fiction politique par excellence : la dystopie totalitaire toute-puissante et sans échappatoire. La surveillance y joue un rôle essentiel : l’expression « Big Brother is watching you », issue de « 1984 », est sans doute l’une des plus célèbres qui soient aujourd’hui, dans le monde entier.

Aujourd’hui dans Planète B, nous nous penchons sur ce que l’imaginaire nous dit à propos de la surveillance, de sa présence totalitaire et de son évolution contemporaine.

Même dans ces fictions dystopiques extrêmes que sont « Nous », « Le meilleur des mondes, « Kallocaïne » et « 1984 », la surveillance proprement dite demeure au fond assez traditionnelle : l’obéissance vient d’abord de la certitude du calcul scientifique et de la transparence (littéralement) des habitations dans « Nous », de la génétique et de la drogue dans « Le meilleur des mondes », de la trahison des proches institutionnalisée et favorisée par la drogue dans « Kallocaïne », de la propagande et de l’état permanent de guerre dans « 1984 ». Pour saisir la rébellion éventuelle à la racine, on se repose surtout sur des armées d’informateurs, d’indicateurs et autres policiers en civil.

Au fond, seul le télécran de « 1984 » et son anticipation de la caméra intime de surveillance, présente dans chaque foyer, et surtout interactive, semble alors marquer une rupture science-fictive, autour de l’enjeu de la suppression de la vie privée, cachée, secrète, personnelle (la transparence physique des appartements chez Zamiatine est plus radicale mais moins technologique). On y reviendra tout à l’heure. Pour le reste, et il faut bien l’avoir en tête, la surveillance par elle-même n’est pas vraiment une affaire de SF. Même en 1948, cela fait bien longtemps que l’on déploie ses moyens vis-à-vis de l’ennemi extérieur (c’est tout le sens de l’espionnage et du contre-espionnage) et vis-à-vis de l’ennemi intérieur (celui inféodé à un ennemi extérieur, bien sûr, mais aussi celui qui a trait aux classes laborieuses et dangereuses définies ainsi depuis le milieu du XIXème siècle par le capitalisme, comme le montre l’historien Louis Chevalier en 1958). En tant que motif de fiction, la surveillance est ainsi d’emblée partagée par un ensemble de genres que nous connaissons bien : policier, action et espionnage proprement dit.

Pendant bien des années, la science-fiction l’utilise comme une forme de toile de fond, comme un élément nécessaire de toute dystopie, mais non plus comme un sujet de spéculation en soi. Elle force le trait de l’espionnage « réel », pousse le curseur technologique un peu plus loin éventuellement, systématise ce qui est encore occasionnel, commence à envisager la collaboration du surveillé avec le surveillant, mais n’opère pas, pendant près de cinquante ans, de rupture conceptuelle notable. Tout aurait-il été dit, au fond, en 1948 ?

« La vie des autres » est purement tragique, alors que « Brazil » est tragique et comique, mais il n’y a pas de différence fondamentale dans leur appréciation de la surveillance : un motif au pouvoir angoissant, sévèrement ancré dans le réel – une condition nécessaire de tout totalitarisme, imaginaire ou non.

Le décor conceptuel change dans les années 1990. La surveillance analysée en profondeur, philosophiquement, par Michel Foucault (« Surveiller et punir », 1975), cède peu à peu la place au contrôle. C’est William S. Burroughs qui utilise pour la première fois l’expression « société de contrôle », mais c’est Gilles Deleuze qui franchit le pas théorique en 1987, avant son amplification par Antonio Negri et Michael Hardt dans « Empire » (1990), lorsqu’il écrit :

« Bien sûr, il y a toutes sortes de restes de sociétés disciplinaires, mais nous savons déjà que nous sommes dans des sociétés d’un autre type, qu’il faudrait appeler, c’est Burroughs qui prononçait le mot, sociétés de contrôle. Nous entrons dans des sociétés de contrôle qui se définissent très différemment des disciplines. Nous n’avons plus besoin, ou plutôt ceux qui veillent à notre bien n’ont plus besoin ou n’auront plus besoin de milieu d’enfermement. »

Ainsi, selon Deleuze, le totalitarisme du XXème siècle laisse peu à peu sa place à une forme nouvelle de contrôle, basé sur l’auto-discipline et sur une forme de soumission plus intimement tramée dans nos quotidiens, nos vies, et jusqu’à nos corps eux-mêmes. Le contrôle n’est plus un dispositif externe comme le télécran ou la police prédictive, il devient induit par nos comportements eux-mêmes.

La vraie rupture toutefois, c’est sans doute 2001 et les conséquences du 11 septembre. Les sociétés totalitaires du XXème siècle, réelles comme imaginaires, entrent en obsolescence (ce qui ne veut bien entendu pas dire qu’elles ne continuent pas de nuire gravement à la santé). À ce moment de l’histoire, les moyens d’espionnage systématique des États, qui augmentaient déjà au fil de la puissance des ordinateurs, réclament (et éventuellement reçoivent) d’un seul coup une forte légitimation face à la menace terroriste (permettant toujours davantage de détournements juridiques de la part des États, on l’a vu quasiment tout de suite). Cet arsenal d’outils de surveillance nouveaux (permis par l’algorithmique et le recueil permanent des moindres bribes d’information numérique pour traitement instantané ou ultérieur), dont un grand nombre est désormais laissé carrément aux mains des citoyennes et citoyens eux-mêmes, glisse peu à peu vers un usage tout autre que la surveillance politique et policière. Il devient un outil essentiel d’une nouvelle forme économique, portée par les GAFAM (et bien d’autres), devenant ce que la chercheuse en sciences sociales et politiques Shoshana Zuboff, dans son ouvrage indispensable de 2018, a appelé « le capitalisme de surveillance », avec une définition en huit points dont j’extrairai seulement ces quatre-là :

  1. Un nouvel ordre économique qui revendique l’expériencce humaine comme matière première gratuite à des fins de pratiques commerciales dissimulées d’extraction, de prédiction et de vente ;
  2. Une mutation dévoyée du capitalisme marquée par des concentrations de richesse, de savoir et de pouvoir sans précédent dans l’histoire humaine ;
  3. Un mouvement qui vise à imposer un nouvel ordre collectif fondé sur la certitude absolue ;
  4. Une dépossession des droits humains essentiels mieux comprise comme coup d’en haut : un renversement de la souveraineté du peuple.

Désormais, Youtube, par exemple, vous surveille (oui, même ici), et le long épisode interactif Bandersnatch,  dans la série Black Mirror, devenue propriété de Netflix, n’est peut-être pas ce que vous croyez (ça, Antoine vous en reparlera ici le mois prochain).

Face au capitalisme de surveillance et aux nouvelles possibilités étatiques qui lui sont associées, la science-fiction reprend tout son pouvoir de spéculation et de défrichage imaginaire. C’est dans le travail autour de cette servitude volontaire qui habite la société de contrôle que se dégagent tant de nouvelles possibilités. Nous vous en proposons sept illustrations un peu plus détaillées, une japonaise, une britannique, une islandaise, une zambienne et trois françaises.

Gen Urbobuchi (auteur), Katsuyuki Motohiro et Naoyoshi Shiotani (réalisateurs) (« Psycho-pass », 2012). Il s’agit d’abord d’une série d’animation, mais il existe aussi film et mangas (traduits en français par Thibaud Desbief). Parfaite intégration de l’approche totalitaire ET intime-capitaliste de la surveillance, la série Psycho-pass développe un univers cyberpunk paranoïaque, qui rapproche le « profil psychologique » des citoyens japonais de leur « facteur criminel », c’est-à-dire le risque (calculé statistiquement, sans rapport avec les trajectoires individuelles) qu’ils commettent des crimes. Profondément totalitaire, le système Sybil (dont le nom dévoile l’ambition de « voyance ») s’appuie sur une société mise en coupe réglée par le coaching et le monitoring de toutes les facettes de la vie, ainsi que sur une fine connaissance supposée des critères criminels pour imposer un ordre social et technologique qui objective tous les biais racistes, sexistes, classistes, validistes et binaires de la société. Les “criminels” et les “non-criminels” sont vus comme des ensembles étanches de la population, on est “criminel” par nature et intégralement, et donc on mérite la mort. Jusqu’à classer les victimes de crimes parmi les criminels potentiels, puisqu’il serait prouvé statistiquement qu’une personne violentée risque de devenir violente à son tour. Une magistrale illustration des dérives du tout-technologique, où la figure du policier-enquêteur, souvent héroïsée, est privé de son pouvoir d’agir par une machine pseudo-omnisciente rendant une « justice » expéditive et violente.

Nick Harkaway (« Gnomon », 2017). Londres, dans pas si longtemps. La monarchie a été remplacée par le Système, une démocratie directe à gestion algorithmique, dans laquelle les citoyens s’expriment sur tout, tout le temps. Le Système est assisté par le Témoin, qui surveille la population en permanence, dans tous les recoins de ses vies, sous le contrôle d’inspecteurs assermentés qui s’assurent que l’humain est bien maintenu dans la boucle de contrôle social, chaque fois que nécessaire. Lorsqu’une certaine Diana Hunter décède au cours d’un interrogatoire de police, ce qui n’aurait jamais dû arriver selon les critères du Système et du Témoin, l’inspectrice Mielikki Neith mène l’enquête. Explorant dans ce cadre, comme il est de coutume, la psyché de la défunte, elle se retrouve confrontée non pas à une, mais à trois mémoires, celle d’un trader grec obsédé par un requin qui le poursuit, celle d’une sorcière basée à Carthage dans l’Antiquité et celle d’un vieil artiste éthiopien contemporain, également membre de l’équipe de conception d’un jeu vidéo au succès mondial. Avec ce roman, son quatrième, traduit chez nous par Michelle Charrier, Nick Harkaway (qui se trouve être le fils de John Le Carré) a réussi un vrai tour de force, à la fois politiquement profond, ultra-rusé, et liitérairement magistral.

Andri Snær Magnason (« LoveStar », 2002). Reykjavik, dans pas si longtemps non plus. Dans un contexte de dérèglement climatique croissant, l’immense multinationale LoveStar, née d’une utilisation technologique du sens de l’orientation des oiseaux, règne sur un véritable empire numérique, où l’on trouve vos âmes-sœurs, où l’on vous épargne les remords, où l’on vous permet d’arrondir vos fins de mois (ou de simplement subsister) en « aboyant » automatiquement des publicités ciblées aux personnes que vous croisez. Pour son fondateur génial et halluciné, chaque interaction sociale permet d’engendrer de la richesse pour ses actionnaires. Lorsque quelque chose vient gripper les processus si bien huilés, que va-t-il se passer ? C’est ce que l’Islandais, dans cette farce satirique remarquablement drôle et grinçante, traduite par Éric Boury, nous propose de découvrir.

Namwali Serpell (« Mustiks », 2019) : avec son premier roman, traduit chez nous par Sabine Porte, l’autrice zambienne qui enseigne en Californie mais passe tous les ans du temps avec sa famille à Lusaka, nous a offert une monumentale histoire de la décolonisation de son pays, et de son évolution jusqu’à nos jours et un peu après, avec ses succès et ses échecs, en y maniant avec brio un réalisme magique proche de celui d’un Gabriel Garcia Marquez, par exemple, ainsi qu’une cruauté flamboyante, mais dans sa troisième partie, elle écrit aussi une grande page résolument science-fictive de la surveillance et du contrôle, en extrapolant et en tordant (un peu) la frénésie du smartphone qui semble actuellement permettre à des populations africaines défavorisées de s’extraire du marasme, en rendant ce smartphone – et je ne vous en dirai pas plus ici – plus INDISPENSABLE encore qu’il ne l’est aujourd’hui.

Alain Damasio (“Les furtifs”, 2019) : il n’est normalement plus vraiment besoin de présenter Alain Damasio, particulièrement dans Planète B. Dans « La zone du dehors », la surveillance était déjà omniprésente. Dans « Les furtifs », tout est déplacé plusieurs crans plus loin, du fait de la disruption introduite comme par inadvertance dans l’âge du capitalisme de surveillance, justement (âge magnifiquement décrit dans ses manifestations les plus quotidiennes commes les plus stratégiques) par ces créatures mystérieuses, les furtifs, qui se dérobent systématiquement au regard humain en exploitant tous les angles morts disponibles. Renseignement intérieur, complicités objectives étatiques et marchandes, recherche scientifique dévoyée, luttes locales et réticulaires, linguistique, poésie : « Les furtifs » est un fleuve tout sauf tranquille, dans lequel il est important de savoir se plonger.

Catherine Dufour (« We SiP », 2016) : comme pour Alain Damasio, il est sans doute à peine nécessaire de présenter Catherine Dufour, l’une des grandes magiciennes de l’imaginaire francophone actuel, capable aussi bien de rédiger une histoire hilarante et sardonique des rois de France, un guide pour les petites filles qui ne voudraient pas devenir princesses ou une biographie décapante d’Ada Lovelace, l’inventrice de facto de la programmation informatique bien avant la lettre, que de rejouer les enjeux géopolitiques du terrorisme islamiste contemporain avec des trolls, des elfes et des nains, de projeter l’histoire du punk rock dans un univers de fermes à organes pour riches et dignitaires, ou de violenter l’imaginaire moisi de certaines séries à succès pour en extraire précisément ce qui y craint le plus, et le retourner comme un gant. Dans cette nouvelle de 2016, elle confronte un data scientist d’Amazon à son obsession statistique et algorithmique de malaxage des données de ce qui fut la vie privée, obsession qu’il applique lui-même à son propre fils, avec une chute pleine d’humour et de drame.

Philippe Aigrain (“Sœur(s)”, 2020). Je voudrais finir par un hommage à Philippe Aigrain. Ce poète infatigable a été, pendant des années, l’un des grands défenseurs de nos libertés numériques, contre l’hydre du capitalisme de surveillance, en étant l’un des fondateurs et des animateurs de l’association La Quadrature du Net. Quelques mois avant son tragique décès accidentel en 2021, il nous offrait son unique roman, « Sœur(s) », dans lequel une tentaculaire direction du renseignement intérieur était progressivement dépassée par des bugs incompréhensibles, lorsqu’en masse, plusieurs personnes, à des endroits différents, se mettent à apparaître sous les mêmes identités digitales théoriquement inviolables. Roman décapant, roman technique, roman hilarant, roman plein d’un espoir qui ne lâche rien : quoi de mieux pour conclure cet épisode ? « Sachons créer le bug face à la surveillance ! »

L’équipe

Journaliste : Hugues Robert
Co auteurs : Antoine Daer, Mathias Echenay
Montage : Alexandre Cassier
Réalisation : Mathias Enthoven, Alexandre Cassier
Images : Arthur Frainet
Son : Baptiste Veilhan
Graphisme : Adrien Colrat
Diffusion : Maxime Hector
Production : Sophie Romillat
Directeur du développement : Mathias Enthoven
Rédaction en chef : Soumaya Benaissa
Directeur de la rédaction : Denis Robert

Liste des références

George Orwell, 1984 (1948)
Evgeni Zamiatine, Nous (1920)
Aldous Huxley, Le meilleur des mondes (1932)
Karin Boye, Kallocaïne (1940)
Film : Michael Radford, 1984 (1984)
Film : Terry Gilliam, Brazil (1985)
BD : Alan Moore & David Lloyd, V pour Vendetta (1982-1990)
Film : James McTeigue, V pour Vendetta (2005)
Film : Fritz Lang, Metropolis (1927)
Film : Morten Tyldum, Imitation Game (2014)
Film : Florian Henckel von Donnersmarck, La vie des autres (2006)
Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses (1958)
Film : Sam Mendes, Skyfall, 2012
Série : Bruce Geller, Mission impossible (1966-1973)
Film : Christopher McQuarrie, Mission impossible : Fallout (2018)
Robert Ludlum, La mémoire dans la peau (1980)
Film : Paul Greengrass, La vengeance dans la peau (2007)
Philip K. Dick, Minority Report (1956)
Film : Steven Spielberg, Minority Report (2002)
Michel Foucault, Surveiller et punir (1975)
William S. Burroughs, Le festin nu (1959)
Gilles Deleuze, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle (1990)
Gilles Deleuze, Contrôle et devenir (1990)
Michael Hardt & Antonio Negri, Empire (1990)
Série : Jonathan Nolan, Person of Interest (2011-2016)
Film : Ludovic Gaillard & Sylvain Louvet, 7 milliards de suspects (2020)
Film : Oliver Stone, “Snowden” (2016)
Film : Laura Poitras, Citizenfour (2015)
Série : Howard Gordon & Alex Gansa, Homeland (2011-2020)
Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance (2018)
Film : Charlie Brooker & David Slade, Black Mirror: Bandersnatch (2018)
Série : Charlie Brooker, Black Mirror (2011-2019)
Série : Gen Urobuchi, Katsuyuki Motohiro & Naoyoshi Shiotani, Psycho-Pass (2012-2013)
BD : Hikaru Miyoshi, Psycho-Pass : Inspecteur Akane Tsunemori (2012-2014)
Nick Harkaway, Gnomon (2017)
Andri Snaer Magnason, LoveStar (2002)
Namwali Serpell, Mustiks : Une Odyssée en Zambie (2019)
Alain Damasio, La Zone du Dehors (1999)
Alain Damasio, Les Furtifs (2019)
Catherine Dufour, WeSip – in Surveillances (2016)
Philippe Aigrain, Sœurs (2020)

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