Aujourd’hui dans Planète B, on clôture notre cycle consacré à la démocratie et aux risques qui pèsent sur elle après le complotisme et les tueurs de démocratie. C’est de saison, vous me direz. Pour cette fois c’est Clémence Gueidan qui s’y colle, avec des inserts de Hugues Robert et moi-même pour ressasser notre marotte préférée : tout va mal, et personne ne va venir nous sauver. Aïe aïe aïe. C’est peut-être pas plus mal, ceci dit.
Au programme de cet épisode :
- Superhéros, superhéroïnes, superarnaque
- Hommes et femmes providentielles
- The Boys, X-Men et Marvel
- Shin Zero et les kaïjus
- Watchmen n’en déplaise à un commentateur qui aurait dû poursuivre au-delà de la deuxième minute.
Texte intégral ci-dessous.
PLANÈTE B : SOMMAIRE DES ÉPISODES
Introduction
Télé, ciné, jeux vidéos, parcs d’attraction, conventions… Impossible de leur échapper : les super-héros dominent la pop culture mondiale, écrasant tout sur leur passage.
Depuis la fin des années 30, ils sauvent le monde, mais ces vingt dernières années, le phénomène a pris une ampleur inédite. Aujourd’hui, des milliards de dollars sont dépensés pour voir ces figures mythologiques modernes voler, combattre et s’imposer comme les nouveaux dieux du divertissement.
On pourrait croire que ce ne sont que des aventures épiques, du spectacle XXL dopé aux effets spéciaux. Mais les super-héros, ce ne sont pas que des blockbusters et des costumes moulants.
Ce sont aussi des symboles.
Et comme tous les symboles, ils sont politiques.
Dès leur création, les super-héros sont une réponse à leur époque. Ils naissent dans un monde en crise, marqué par la Grande Dépression et la montée des régimes totalitaires en Europe. En décembre 1940, alors que les États-Unis rechignent encore à entrer en guerre, Captain America balance déjà un coup de poing à Hitler sur la couverture de son tout premier comics.
À travers ses aventures, et celles de Superman, Wonder Woman, Namor ou encore La Torche Humaine, une génération d’auteurs juifs américains imagine des figures capables de faire ce que les institutions échouent à accomplir : protéger les opprimés et combattre l’injustice.
Depuis, ces héros ont bien changé et l’industrie aussi. Dans Illuminations, recueil de nouvelles publié en 2023 chez Bragelonne, Alan Moore détaille la vie du personnage fictif de Thunderman (pastiche de Superman). Un prétexte pour livrer une analyse acide de la trajectoire du milieu du comic book, des années 50 à nos jours, et de ce qu’il nous dit de l’état des USA et du monde à l’heure actuelle.
Vous l’avez peut-être remarqué, depuis la rentrée, les épisodes de Planète B ont été pensés comme un écho aux élections américaines. Tout d’abord en parlant d’information et de manipulation de la vérité en politique. Puis en abordant la démocratie et le pouvoir. Quoi de plus logique, pour conclure ce cycle, que de s’intéresser aux personnes providentielles ?
Hommes politiques, super-héros, même combat : présentés en sauveurs ultimes, en mission pour remettre de l’ordre quand tout s’effondre, ils finissent souvent par incarner le pouvoir à eux seuls… Mais pour les responsabilités qui vont avec, ben c’est plus compliqué.
Fort, charismatique, incontesté : sur le papier, le super-héros, c’est le fantasme du leader parfait. Mais un justicier qui décide seul de ce qui est juste, qui impose sa vision du bien et du mal tout en se plaçant au dessus des lois, est-ce vraiment compatible avec la démocratie ? Spoiler : la science-fiction adore les super-héros… mais elle adore aussi les démonter et c’est ce qu’on va voir aujourd’hui. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Planète B.
Super-héros super facho ?
Alors les super-héros sont-ils de dangereux fascistes en slip de couleur ? Ce qui est certain, c’est qu’il se méfient par définition de la démocratie.
Siegfried Würtz, chercheur en bande dessinée, spécialiste des représentations politiques des super-héros le rappelle à juste titre :
« L’identité secrète permet avant tout au héros de ne pas avoir à rendre des comptes : il n’obéit à personne, ne remplit pas de paperasse, ne peut pas être menacé professionnellement, bref combat le crime quand et comme il l’entend. »
En se positionnant au-dessus des lois, en agissant à visage couvert, en parallèle de la justice, le super-héros se place, de fait, dans l’illégalité.
Il utilise toute sa panoplie de gadgets et ses super-pouvoirs pour faire ce qu’il considère être le bien, selon son compas moral personnel. Würtz parle de coercition bienveillante.
Dans son article Quand les dieux font la police : malaise dans la constitutionnalité du super-héros, il souligne ce paradoxe :
« N’est-il […] pas curieux d’aduler le héros qui peut voir à travers nos murs pour nous sauver dans les très rares cas où ce qu’il percevrait serait criminel, et de condamner de l’autre côté comme « fascistes » les États qui surveillent nos communications, posent des caméras dans nos rues et arment militairement nos policiers ? […] Au fond, le super-héros est un modèle moral et politique dangereux précisément parce qu’il se présente et est présenté comme un modèle moral et politique. »
Mais que se passe-t-il quand le mythe du super-héros ne cherche plus à masquer sa nature autoritaire, et l’expose au grand jour ? C’est ce qu’explore Frank Miller avec The Dark Knight Returns, chef d’œuvre publié chez DC en 1986. On y retrouve un Batman vieillissant, sombre et brutal, reprenant du service après 10 ans à la retraite.
En l’espace de 4 tomes, il affronte ses vieux ennemis Double-Face et le Joker, mais aussi le gang des Mutants, une bande de voyous qui terrorise Gotham.
Complètement désabusé, ayant perdu foi en la justice, il impose sa loi par la force, quitte à écraser tout ce qui se met en travers de son chemin et va même jusqu’à faire de ces Mutants une milice à ses ordres.
Mais le point culminant de l’histoire, c’est la confrontation finale qui l’oppose à Superman. Dans cet univers alternatif, l’Homme d’Acier a fini par se mettre au service du gouvernement américain et est envoyé par Washington pour arrêter la Chauve-Souris. Problème : le gouvernement lui-même est montré comme faible. Incapable de gérer les crises, il instrumentalise Superman pour masquer sa propre incompétence.
Alors où se situe la morale ici ?
Siegfried Würtz résume l’ambiguïté du propos :
« L’une des idées importantes que défend le chevalier noir dans ce comics et les suivants du cycle, est celle que les super-héros étaient déjà criminels par nature. […] Leur interdiction officielle ne change rien, sinon qu’elle prouve la peur d’un État fascisant des contre-pouvoirs qu’ils pourraient incarner. »
En assumant pleinement la dimension autoritaire du super-héros, Frank Miller ne fait pas qu’en dénoncer les dérives :
« [Il] crée une distance critique du lecteur vis-à-vis des personnages qu’on lui demandait naguère d’admirer sans réfléchir. »
Liberté versus sécurité
Parfois, ce n’est plus seulement un individu qui défie l’autorité, mais une communauté entière qui se déchire sur la place des super-héros dans la société.
C’est exactement ce que met en scène Civil War chez Marvel dans une série de comics portés par Mark Millar et Steve McNiven en 2006-2007 puis adaptée sur grand écran par Joe et Anthony Russo en 2016.
Face à une loi imposant l’enregistrement des justiciers pour contrôler leurs activités, deux visions s’affrontent : dans le camp d’Iron Man, on estime cette régulation nécessaire. Dans le camp de Captain America, on y voit une dérive autoritaire. Grosse fracture chez les super-héros, tiraillés entre le besoin de contrôle et la liberté d’agir sans entrave.
Le conflit devient un véritable débat sur la nature du pouvoir et la place des figures providentielles dans une société démocratique. Si le film laisse la porte ouverte à une réconciliation, le comics se termine sur une note tragique avec la reddition puis l’assassinat de Captain America. Un dénouement brutal, qui pose une question essentielle : jusqu’où peut-on aller pour concilier sécurité et liberté ?
D’autres œuvres choisissent une approche plus radicale : plutôt que d’opposer les héros entre eux, elles les déconstruisent, les tournent en dérision ou exposent leurs dérives. C’est que qu’Hugues va nous expliquer.
Parodies, déshabillages, Boys et Sbires, par Hugues Robert
Les super-héros, tout particulièrement aux États-Unis (il faudrait un autre épisode de Planète B à part entière pour évoquer les super-héros proprement « européens », par exemple, à l’image de ceux de la Brigade chimérique), ont eu au fil des années un rayonnement culturel et une influence sur les représentations de toute une chacune et un chacun proprement colossale, très au-delà de ce qui est en général attendu de la part d’une littérature à la fois populaire et, initialement en tout cas, à destination des plus jeunes.
Il était donc logique – et salutaire ! -, que la parodie, la critique, la déconstruction et le retournement de modèle s’emparent d’un tel thème, pour en décaper notamment tous les dits et non-dits politiques qu’il embarque avec lui.
Dès 1953, Harvey Kurtzman et Wally Wood publient dans la revue Mad leur Superduperman, qui ciblait à la fois Superman et Captain Marvel, pour les renvoyer à des vies prosaïques, stupides ou vicieuses, mais n’ayant en tout cas rien d’héroïque. Pas franchement subtile, mais diablement efficace, cette parodie remporta un grand succès auprès des fans de la revue Mad, et en réalité bien au-delà.
Puis, en 1977, Robert Mayer publie son roman Super Normal (Superfolks en V.O.), récemment traduit en français par Francis Guèvrement chez Aux Forges de Vulcain, une critique beaucoup plus acérée, beaucoup plus fine et beaucoup plus complète du phénomène super-héros, le renvoyant notamment à ce qu’il semble traduire politiquement, historiquement, de ce besoin d’hommes (et même parfois de femmes) providentiels dans une partie non négligeable du lectorat au sens large.
Le grand Alan Moore reconnaîtra aisément le moment venu tout ce qu’il doit à ces deux précurseurs, Superduperman et Super Normal, au moment d’imaginer son coup de tonnerre de 1986, The Watchmen, qui donnera lieu en 2009 à un film de Zack Snyder (film qu’Alan Moore désavouera très largement) et en 2019 à une série de Damon Lindelof, beaucoup plus fidèle à l’esprit critique et caustique du comic d’origine.
The Watchmen, qu’il n’est probablement plus nécessaire de présenter ici (ou qui mériterait lui aussi un épisode à part entière de Planète B) renvoie d’un coup, en quelques centaines de planches, l’ensemble des super-héros (ou presque) à leurs psychopathologies absolument criantes, dès que l’on laisse de côté les œillères du divertissement, de la complaisance « bon enfant » et de l’habitude construite.
Vingt ans après la naissance des Watchmen, Garth Ennis & Darick Robertson scénarisent et dessinent Boys. Nul besoin non plus, certainement, de présenter cette aventure en détail, non plus que la série d’Eric Kripke qui en est issue depuis 2019 : je vous encourage vivement à regarder l’excellent épisode que lui consacre Bolchegeek pour en apprendre (beaucoup) plus le cas échéant.
Là où Alan Moore détruisait le mythe individuel du super-héros, renvoyé à ses palinodies et à ses pulsions mortifères, Garth Ennis l’insère collectivement dans le tissu serré du capitalisme tardif, de son avidité sans limites et de sa domination de l’économique sur le politique (la matrice cyberpunk dont nous parlait Antoine dans le dernier épisode est en réalité fortement présente ici).
Pour conclure ce bref zoom : Natalie Zina Walschots.
Son Henchmen de 2020, joliment traduit en Sbires par Gaëlle Rey chez Au Diable Vauvert, s’appuie d’emblée comme la série Boys sur la notion des « dégâts collatéraux » engendrés par les super-héros, mais le pratique depuis une perspective très différente et particulièrement savoureuse : celle des petites mains qui entourent les super-vilains, qui ont besoin eux aussi des jardiniers, comptables, chauffeurs et informaticiens que le gouvernement ne leur fournit pas, à la différence de leurs adversaires du camp (en apparence) du « Bien ».
Intérimaires, précaires, enchaînant les missions de courte durée en espérant un jour obtenir un précieux CDI, elles et ils sont les victimes toutes désignées des élans impétueux des super-héros, qui sèment les blessures et la mort dans leurs rangs, dans leur quête officielle du « Greater Good ».
Lorsque l’une de ces victimes collatérales se révolte, retournant la data science qu’elle maîtrise si bien contre la mythologie libérale-égoïste, on obtient une fable échevelée, hilarante de bout en bout, et particulièrement incisive, mixant l’engeance délétère et ô combien « surcotée » des hommes (et femmes) providentiel(le)s aux « Bullshit Jobs » de David Graeber, pour une vision critique bien spécifique et joyeusement salutaire de ce que nous fait au quotidien le capitalisme tardif.
*
Si Henchmen nous montrait la réalité des petites mains qui gravitent autour des super-vilains, Shin Zero pousse encore plus loin cette logique en appliquant les travers du capitalisme contemporain aux héros eux-mêmes. Antoine va nous en parler.
Shin Zero et la fin de l’héroïsme, par Antoine Daer
Au chapitre des super-héros on parle souvent de Marvel, DC et consorts, et passent généralement à la trappe la version japonaise du genre : les « super sentaï ».
En France, et dans ma génération de millenials, on connait surtout la version américanisée du genre : les Power Rangers. Qui passaient à la télé française à partir de 1994. Les Power Rangers donc, ce sont des centaines d’épisodes de série, des reboots à n’en plus finir et plusieurs films de sinistre mémoire. Surtout : c’est un import direct des séries de sentaïs japonaises dont le producteur Haim Saban avait acheté les images et les costumes pour les re-monter avec des acteurs américains entre deux scènes de combats casquées. Un bon filon pour produire au kilomètre des séries pour enfants pas cher.
Mais les super sentaïs ça va au-delà de ça. C’est un genre télévisuel à part entière, qui s’inscrit plus largement dans le genre « tokusatsu » (ou « effets visuels »), aux côtés des films de méchas et de Kaïjus (les monstres géants comme les innombrables Godzilla par exemple).
Dans le genre on peut citer Goranger, Bioman et des dizaines d’autres entre 1975 et 2025. L’un des plus grands noms du genre est Shotaro Ishinomori, à qui l’on doit notamment la série culte Kamen Rider, notamment.
Une autre des plus anciennes séries de sentaï s’appelle Battle Fever J. On la doit à une association, en 1979, entre la Toei (énorme studio de production animé japonais) et Marvel, qu’on ne présente plus. L’idée étant de faire un crossover entre l’univers de Spider Man et les sentaï. Superhéros de tous les pays, unissez-vous. Ca fait vendre des jouets.
Les sentaïs c’est donc à la fois un genre très japonais, qui a été finalement assez peu exporté au regard de son côté prolifique, et très international parce qu’il se nourrit beaucoup de l’influence américaine. Il aura de nombreuses évolutions et descendants. Personnellement je vois dans Les Tortues Ninja, Evangelion ou L’Attaque des Titans des héritiers plus ou moins lointains.
Tout ça pour vous parler d’une BD française ; autre avatar international du genre ; dont le tome 1 vient de sortir en 2025. Dessinée par Guillaume Singelin (qui avait déjà fait Frontier et PTSD) et scénarisée par Mathieu Bablet qu’on avait reçu dans Planète B l’année dernière. Ça s’appelle Shin Zero et c’est publié au Label 619.
Shin Zero c’est une histoire de sentaïs réalistes, dans laquelle un groupe de jeunes colocs revêt des tenues colorées pour aller combattre le crime entre deux heures de cours ou jobs alimentaires.
Ou plutôt : combattre le crime EST un job alimentaire, dans un monde contemporain où les sentaïs sont d’abord des travailleurs freelances individualisés et uberisés par une plateforme de travail à la tâche. Ils ne combattent pas des génies du mal, et ne sauvent d’ailleurs pas le monde non plus. Ils font la surveillance dans les magasins ou les bars, secondent vaguement la police pour lutter contre des petit trafics, passent le balai, etc.
Le but du jeu : choisir des missions sur l’appli, selon un ratio danger / rentabilité correct, pour se faire un peu de thunes sans se prendre un coup de couteau. Et encore faut-il collecter les étoiles que veulent bien laisser les clients satisfaits. Pas de superpouvoirs ou de talent martial particulier : le costume, l’abonnement à la salle de boxe ou le gilet pare-balles ne sont pas remboursés par l’employeur.
Shin Zero c’est donc une histoire de héros uberisés, comme les livreurs de pizza, les travailleureuses du sexe, les freelances et les médecins avant eux. Ils sont livrés à la précarité systémique de la « gig economy » (aka la tâcheronnisation du travail) dans un « monde liquide » tel que défini par le philosophe Zygmunt Bauman.
Les repères stables de l’existence disparaissent, les individus sont livrés à la compétition et à leurs forces propres dans un monde ultra libéral, sans protection collective ni possibilité de s’unir. Paradoxal, car les sentaï sont par nature des héros collectifs.
Bablet et Singelin cherchent ici à répondre à cette question, ou du moins à l’explorer : comment avoir vingt ans aujourd’hui ? Comment se construire soi-même dans l’ombre des générations précédentes ? Quelle est la place de l’imaginaire dans une vie contrainte par la précarité et les crises ? Que signifie être un héros ou une héroïne dans un monde qui ringardise, marchandise et précarise l’héroïsme ?
On attend les tomes suivants pour collecter des bribes de réponse.
Super-héros machines à cash
En dehors de la fiction, dans la vraie vie, les super-héros ne connaissent pas la précarité, au contraire. Produits dérivés, licences juteuses, omniprésence dans la pub… ils sont devenus l’incarnation ultime du capitalisme pop. Une machine à cash soigneusement exploitée par les studios comme Disney et Warner.
À ce stade, le super-héros n’est plus seulement un mythe, c’est une marque. Une marque avec laquelle il fait bon de s’associer. Sur des sites de luxe, on trouve des Rolex Batman pour la modique somme de 13 000€. Plus abordable, la collab’ Coca-Cola x Marvel ou encore les basket Adidas x Spiderman. Même Superman se retrouve à faire la promotion de rasoirs Gillette.
Mais attention à ne pas froisser des clients potentiels ! Les films Marvel doivent pouvoir s’exporter partout, y compris dans des pays où la censure est stricte. Résultat : on évite les prises de position politiques trop tranchées pour maximiser le marché.
Exemple emblématique : le choix de Tilda Swinton pour interpréter l’Ancien dans Docteur Strange en 2016. Dans le comics, le personnage est un moine tibétain mais il ne fallait pas se mettre la Chine à dos. Un whitewashing plus tard, l’Ancien est devenu un moine celtique, officiellement pour éviter les stéréotypes… Au passage, le film a surtout évité l’interdiction sur un marché colossal.
Si les studios marchent sur des œufs au niveau diplomatique, leur positionnement politique n’a pas toujours été aussi frileux.
Pendant des décennies, les super-héros ont pris parti sans ambiguïté, notamment en temps de guerre, où ils devenaient des instruments de propagande assumés. En intro, on évoquait les figures héroïques affrontant le nazisme. Il faut dire que les liens avec les institutions militaires sont ancrés profondément. Pendant la seconde guerre mondiale, l’armée américaine est le plus gros acheteur de comics du pays. En avril 1942, la Marine inclut même des fascicules de Superman dans la liste de ses fournitures prioritaires.
Au fil des conflit, l’ennemi du super-héros change d’identité. Dans les années 60, c’est au tour du communisme d’être dans le viseur des justiciers et l’un des premiers à le combattre est un certain Tony Stark.
À la base, Iron Man était presque une blague de Stan Lee. Son défi ? Prendre tout ce que la jeunesse contestataire des années 60 détestait – un milliardaire marchand d’armes, symbole absolu du complexe militaro-industriel – et en faire un héros populaire.
« J’ai pensé que ce serait amusant d’introduire ce type de personnage dont personne ne voudrait, de leur imposer jusqu’à ce que [les lecteurs] s’y identifient… »
Et ça a marché. Un peu trop bien, même. Le personnage a conquis le public et son succès a explosé. Oups.
Aujourd’hui, Tony Stark n’est même plus perçu comme un homme d’affaires cynique. On le voit plutôt comme un type brillant, aussi sarcastique que charismatique. Re-oups
En glorifiant un marchand d’armes, le personnage a fini par imposer un imaginaire où la puissance militaire high-tech et le capitalisme débridé sont devenus cools. Pari réussi pour Stan Lee, mais pas sûre qu’on doive lui dire merci.
Figures militantes
À l’inverse, certaines super-héros ont été pensés dès le départ comme des figures politiques assumées, porteurs de valeurs progressistes et militantes. C’est le cas de Wonder Woman. Créée en 1941 par William Moulton Marston, un psychologue, elle fait l’objet d’un communiqué de presse qui est très explicite à ce sujet.
« Wonder Woman a été conçue […] dans le but de promouvoir au sein de la jeunesse un modèle de féminité forte, libre et courageuse, pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes filles la confiance en elles et la réussite dans les sports, les activités et les métiers monopolisés par les hommes. »
Princesse amazone, symbole d’émancipation, Wonder Woman rejoint la Ligue des justiciers et devient la première super-héroïne à avoir son propre comic book.
Oui mais comme c’est la seule femme de la Ligue, le dessinateur Gardner Fox lui donne le rôle de secrétaire, cantonnée au courrier des lecteurs pendant que ses homologues masculins sont partis faire la guerre. Su-per.
De quoi irriter Marston, qui réplique dans Wonder Woman n°7 publié fin 43 : l’héroïne débarque en l’an 3000 et prête main forte à une femme devenue présidente des États-Unis.
Marston l’avait dit dans une interview au magazine Tomorrow l’année précédente :
« Le futur appartient à la femme […] les femmes dirigeront le monde. »
Las, avec la fin de la guerre, les femmes sont priées de retourner aux fourneaux. Les rêves de matriarchie de Marston se prennent de plein fouet cette vague réac. Après 1947 et la mort de Marston, Diana Prince perd son statut de déesse guerrière et se coltine des rôles de baby-sitter, de mannequin ou au mieux, de gentille aventurière édulcorée.
Au début des années 70, Wonder Woman n’est plus que l’ombre d’elle même : plus de super pouvoirs, un manque d’assurance et une soumission vis-à-vis des personnages masculins…
L’héritage militant de l’héroïne a disparu. Il faut attendre 1973 et une mobilisation féministe pour que l’amazone retrouve ses pouvoirs et son costume.
Aujourd’hui, si Wonder Woman a retrouvé son statut d’icône féministe, elle n’a pas échappé au pinkwashing. Tout comme ses homologues masculins, elle est désormais autant un symbole qu’un produit marketing instrumentalisé par les grandes marques qui souhaitent afficher une image progressiste à peu de frais.
En 2016, elle est choisie comme ambassadrice officielle des Nations Unies en 2016 pour l’autonomisation des femmes. Une décision qui fait polémique. Pourquoi confier ce rôle à un personnage de fiction, qui plus est hyper sexualisé, quand tant d’autres femmes, en chair et en os, mériteraient cette reconnaissance ? Résultat, l’ONU fait machine arrière et suspend la campagne plus tôt que prévu. Un épisode qui illustre bien l’ambivalence de son héritage : entre mythe d’émancipation et outil de communication bien rodé
Wonder Woman n’est pas la seule à avoir fait écho aux luttes sociales de son époque. Black Panther, premier super-héros noir des comics, devient un symbole de la fierté afro-américaine. Luke Cage, lui, figure du justicier des quartiers populaires, marque une autre étape dans la représentation des héros noirs. Quant à Green Arrow, souvent oublié, il porte des thématiques sociales progressistes dès les années 70.
Et il y en aurait encore d’autres à traiter, mais plutôt que de s’arrêter sur une figure individuelle, on va s’intéresser à un groupe tout entier : les X-Men. Et c’est Hugues qui va nous en parler.
Lorsque l’on parle de super-héros et de politique, un nom s’impose naturellement : celui des X-Men. Stan Lee et Jack Kirby créent cette organisation secrète de mutants dotés de super-pouvoirs extrêmement variés en septembre 1963, quelques semaines seulement après la marche sur Washington organisée par Martin Luther King pour les droits civiques des Afro-Américains. Dans une Amérique alors encore largement rongée par le racisme et le ségrégationnisme, la métaphore est d’emblée évidente.
Les mutants X-Men sont bien, comme les super-héros qui les précèdent, des enfants – directement ou indirectement – de l’atome mutagène voire tératogène : leur filiation du côté des monstres de foire et de cirque, des Freaks du célèbre film de Tod Browning en 1932, est manifeste.
Ces mutants conservent aussi à leur racine la lutte contre la menace fasciste. C’est toutefois la destruction des « indésirables » conduite par le nazisme qui les préoccupe au premier chef, non pas la « défense du monde libre » en tant que tel, à la différence notable de leurs illustres prédécesseurs super-héroïques. Lorsque Bryan Singer s’empare des X-Men pour son premier film en 2000, les premières minutes impliquent l’enfant Erik Lehnsherr, encore bien loin d’être devenu Magneto, dans une scène atroce de séparation familiale entre ghetto de Varsovie et camp d’extermination d’Auschwitz, comme on vient de le voir, scène qui aura sa continuation « logique » de chasse au nazi Klaus Schmidt dans la première partie du X-Men : First Class de Bryan Singer, à nouveau, en 2011.
Au-delà de cette insertion presque naturelle dans la continuité apparente des super-héros jusqu’au milieu des années 60 (on retrouvera aussi chez les X-Men des traces occasionnelles de mythologies plus anciennes, comme chez leurs homologues déjà apparus), c’est bien dans la métaphorisation continue des luttes contre les discriminations et pour l’affirmation des droits, ceux des minorités visibles d’abord, invisibles ensuite, que s’épanouit la spécificité politique des X-Men.
Surtout (et sans préjuger de l’importance respective de l’ensemble des artistes impliqués soixante ans durant dans cette création collective), surtout à partir de l’apparition aux manettes de Chris Claremont, en 1976, – Chris Claremont qui conduira la saga un cran plus loin encore avec ses X-Treme X-Men en 2001, lorsque les mutants se mettent à exploser au cinéma -, et jusqu’aux déconstructions hilarantes et tragiques, à la limite du contre-récit, imaginées à la même époque par Mark Millar pour ses Ultimate X-Men – dont les trois films Deadpool de la saga, au cinéma, constituent sans doute le curieux écho.
Au fil des épisodes de comics, tout au long des années 70, et en variant les angles et les victimes putatives des discriminations, au fil des années 80 et 90, avant que les films ne prennent le relais, sur un mode en général moins audacieux, les minorités réprimées ou dominées, Noirs d’abord, gays ensuite, puis racisés et LGBT+ de manière plus extensive, vont trouver dans les X-Men, directement ou indirectement, par des mises en scène dédiées ou par le simple jeu des métaphores, leurs meilleurs défenseurs dans un univers imaginaire pas toujours marqué par ailleurs par un immense progressisme – et sévèrement encadré sur bien des plans relevant de la « bonne morale » par le Comics Code.
Le Comics Code sévissait depuis qu’en 1954 les comics avaient été accusés par le psychiatre Frederic Wertham de favoriser la délinquance juvénile – ça vous rappelle quelque chose ? et ce jusqu’en 2011 tout de même.
La scène que nous venons de voir, celle de l’outing en tant que mutant de Bobby Drake, dit « Iceberg », est sans doute l’une des plus emblématiques qui soient de cette mobilisation sous-jacente et permanente, cette mobilisation qui avait su d’emblée séduire Ian McKellen au moment de rejoindre l’aventure pour incarner Magneto à l’écran.
On notera toutefois deux bémols notables à cette politisation indéniable des X-Men, de leur origine à aujourd’hui.
Tout d’abord, il y a parfois une réelle distance du discours aux actes, et la représentation directe des minorités en question, surtout dans les films pourtant relativement récents, a souvent accusé un retard non négligeable par rapport aux intentions affichées – 1) d’où sans doute un besoin de se dédouaner tardivement et fort maladroitement par le si controversé « Ce sont toujours les femmes qui sauvent les hommes, par ici. Vous devriez songer à changer le nom du groupe en X-Women. », énoncé par Mystique, dans Dark Phoenix en 2019, et 2) même si le fait d’avoir confié certains chapitres à des bourrins avérés tels que Brett Ratner n’a peut-être pas toujours aidé.
Ensuite, la dimension de l’oppression économique est singulièrement absente du débat, même en toile de fond. Le contraste entre la formidable opulence d’un Charles Xavier et les vies de vagabonds d’un Wolverine ou d’un Diablo n’est jamais évoqué en tant que tel, autrement que comme une conséquence de leur statut de mutant, et non de pauvre, tout simplement.
Un point aveugle réel de l’imaginaire des super-héros en général, quand il n’est pas renforcé bien entendu par les milliardaires Tony Stark, Bruce Wayne ou Adrian Veidt, point aveugle que seul peut-être le mythique Green Arrow (ne serait-ce que par sa filiation avec Robin des Bois, super-héros fort antique mais néanmoins interdit en 1953 dans l’Indiana pour cause de communisme) viendrait secouer quelque peu.
Comme le rappelle William Blanc dans son Super-Héros : Une histoire politique de 2021 chez Libertalia, Umberto Eco écrivait en 1976 à propos de Superman :
« Superman constitue un parfait exemple de conscience civique complètement séparée de la conscience politique. (…) De même que le mal se présente seulement comme l’offense à la propriété privée, le bien prend l’unique aspect de la charité. »
En 2025, les X-Men ont certainement progressé dans une direction qui ferait mentir le philosophe italien, mais même en pointe des super-héros dans ce domaine, ils n’y sont pas encore.
Les X-Men, tout au long de leur carrière en imprimé et à l’écran, introduisent toutefois deux paramètres politiques essentiels, même s’ils sont peut-être plus souterrains.
Tout d’abord, à travers le personnage de Erik Lehnsherr, si joliment analysé par Benjamin Patinaud – alias Bolchegeek – dans son Le syndrome Magneto de 2023, ils introduisent une forme de subtilité pas si fréquente dans les imaginaires historiques du super-héroïsme.
Magneto est en effet, comme cela a été souligné, et au-delà du parallèle d’origine Martin Luther King / réformiste / Charles Xavier et Malcolm X / révolutionnaire / Magneto, un « méchant » que l’on peut réellement comprendre – ce qui ne veut pas dire excuser, n’en déplaise à un ancien ministre de l’intérieur, fâché avec le sens des mots mais pas avec l’opportunisme.
Magneto est un « méchant » qui souligne patiemment ou impatiemment selon les moments, les limites de la philosophie et de l’action des « gentils », leurs insuffisances ou leurs palinodies – ce qui est, on en conviendra je pense, rare et précieux en matière d’imaginaires contemporains.
Ensuite, comme le souligne de manière insidieuse l’extrait que nous venons de voir, les X-Men ne sont pas seulement une bannière, une carte de club ou une étiquette de produit, ils sont aussi, et cela est flagrant dans l’épaisseur des comics et des films si l’on se donne la peine de regarder, une manière de vivre et de lutter : ENSEMBLE.
L’utilisation des talents particuliers de Blink, au début et à la fin de Days of Future Past en 2014 – peut-être, avec Logan en 2017, le meilleur de tous les films X-Men existants aujourd’hui – en fournit une démonstration éblouissante, face aux Sentinelles dans un combat – justement – « perdu d’avance » et dont c’est toute la beauté.
Même les plus terriblement individualistes d’entre eux, en apparence (coucou Wolverine !), savent le moment venu reconnaître les bienfaits du collectif versus l’individuel. Et cela demeure une formidable leçon politique diffuse pour aujourd’hui – quoi qu’en disent ceux qui veulent imposer du haut de leurs milliards un triomphe de l’ego-roi au détriment de tout le reste.
*
Les X-Men nous rappellent que les super-héros ne sont pas condamnés à être des figures autoritaires isolées. Mais aujourd’hui, certains auteurs vont encore plus loin et déconstruisent radicalement la figure même du héros. C’est le cas de Sean Murphy, qui propose une nouvelle manière de penser les justiciers. Antoine va tout vous expliquer.
Sean Murphy et l’homme providentiel, par Antoine Daer
Puisqu’on parle comics ; faisons un petit encart sur l’un des auteurs contemporains les plus intéressants en ce qui concerne la figure du héros en général : Sean Murphy.
Et notamment sur trois de ses titres emblématiques : Punk Rock Jesus, Batman White Knight et Zorro Man of the Dead. Toutes éditées en France chez Urban Comics.
Au fil des années, Sean Murphy a su créer un rapport complexe à la figure du héros providentiel si typique des comics étasuniens.
Et il commence bourrin dans Punk Rock Jesus, une œuvre personnelle tout en noir et blanc parue en 2012, où Murphy se projette dans une Amérique future où les corporations du divertissement et des médias règnent en maître. Vous connaissez le truc.
Pour créer l’émission de téléréalité la plus regardée de l’histoire, une multinationale, sorte de Fox News en pire, créé un clone supposé de Jésus Christ à partir d’ADN récoltée sur le suaire de Turin. Une jeune femme, vierge évidemment, est castée sur quantité de critères pour plaire à l’Amérique conservatrice et religieuse, puis chargée de porter et de donner naissance à l’enfant. En direct bien sûr.
Avec Punk Rock Jesus, Murphy explore une première fois déterminante la place des rôles providentiels et surtout leur manipulation à des fins politico-financières. La nouvelle Vierge Marie et le Sauveur attendus par des millions de téléspectateurs à travers le monde finiront tiraillés entre les attentes démentes qui pèsent sur eux et une impossible quête d’émancipation, collant au passage quelques balles à la religion chrétienne.
Plus tard, en 2018, Murphy s’attaque à la mythologie Batman avec la série White Knight, succès de librairie qui imagine l’inversion des rôles entre Jack Napier (le Joker) et Bruce Wayne, Batman. Guéri de ce qui est généralement présenté comme une folie psychopathologique, le Joker se lance en politique avec un programme simple : il dénonce l’impact de Batman et ses alliés sur la ville, qui détruisent tout sur leur passage pour coffrer des criminels qu’ils contribuent eux-mêmes à créer, avant de les enfermer dans un asile moyenâgeux. Le jeu vidéo Arkham Asylum de Rocksteady Studios paru en 2009 donne un bon aperçu des conditions de détention dans cet enfer.
Non seulement Batman et la police ne font que lutter contre la partie visible de la criminalité de rue, qu’il défoncent ultra violemment pour masquer à quel point les quartiers pauvres sont laissés à l’abandon par les services publics ; mais le Crime est surtout devenu leur business à part entière, sur lequel fructifient quantité de politiciens corrompus, de multinationales d’armement et de vigilants privés surarmés. Un fonds de réparation secret est même constitué par Gotham pour réparer – pour ne pas dire camoufler – les dégâts de la « lutte contre le Crime » au frais du contribuable.
Quand le Joker s’arrête deux minutes de répandre le chaos, il sert un discours de gauche sur le manque de services sociaux et contre les libertariens qui l’utilisent pour justifier un état d’urgence permanent. De quoi donner raison au livre de notre estimé collègue Benjamin « Bolchegeek » Patinaud Le Syndrome Magneto, qu’il publiait en 2023.
On en était à peu près là lorsque Sean Murphy sortait en 2024 Zorro: Man of The Dead, une réinterprétation du personnage éponyme intéressante à plus d’un titre.
Dans cette aventure contemporaine, Murphy déracine le Zorro historique inventé en 1919 et sensé vivre au XIXe, pour le situer dans un contexte mexicain contemporain. Ses ennemis ne sont pas des super-vilains de carte postale, mais les cartels de la drogue qui mettent des provinces entières sous leur coupe. Bref, c’est assez réaliste là-dessus.
Zorro, dont le personnage est l’une des inspirations premières de Batman y est présenté comme un homme du peuple (et pas un milliardaire) inspiré par la mythologie héroïque de ce personnage de fiction. Il a littéralement l’affiche du Masque de Zorro, le film de 98 avec Antonio Banderas et Catherine Zeta-Jones, chez lui.
Surtout : Zorro est un héros du peuple, soutenu par le peuple, qui combat les ennemis du peuple et appelle à la révolution. Ce que Batman ne fait pas, mais alors pas du tout. Si quelqu’un à le droit de casser un abribus, c’est lui et seulement lui.
Comme dans V pour Vendetta d’Alan Moore aussi inspiré de Zorro d’ailleurs ; le récit cherche à incarner la puissance du collectif à travers une figure individuelle héroïque. Un grand écart casse-gueule et un peu paradoxal, mais romanesque et efficace.
Un grand écart qui permet surtout de continuer à véhiculer cette idée chère à Sean Murphy depuis Punk Rock Jesus et Batman White Knight : le héros qui libère les gens du capitalisme sauvage et violent des cartels n’est pas à attendre des multinationales ou d’un héritier milliardaire armé jusqu’aux dents. L’actualité récente prouve que les milliardaires technophiles ne travaillent généralement que pour eux-mêmes. Dans Zorro le peuple inspiré par sa propre capacité à agir et son propre imaginaire, le peuple se libère lui-même.
Conclusion
On l’a dit en ouverture de cet épisode : les super-héros sont partout. Ils font partie de notre quotidien. Bien au-delà de nos écrans, leur omniprésence imprègne nos esprits, biaise notre perception du monde et influence nos imaginaires collectifs. Mais comment ces figures providentielles façonnent-elles notre manière de penser le pouvoir, la justice et le changement ?
Dans une interview fleuve accordée à Screen Rant, Alan Moore s’inquiète de l’effet corrosif des justiciers en costume sur notre psyché. Pour lui, le « rêve de super-héros » est une illusion dangereuse, à double tranchant.
D’abord, se fantasmer en super-héros, c’est valoriser le hasard plutôt que l’effort, la chance plutôt que la réflexion, tout en se plaçant au-dessus des lois.
« C’est cette envie d’être comme ça, sans avoir à faire le moindre effort […]. Tu trouves une bague de pouvoir. Tu te tiens juste un peu trop près d’un stock de produits chimiques en pleine tempête. Et puis, par un pur coup du sort, par chance, tu obtiens soudain des pouvoirs incroyables qui te donnent un avantage énorme sur le reste de l’humanité. C’est cette quête de la solution miracle. »
Et quand cette pensée magique contamine le champ politique, elle nourrit des phénomènes bien réels : QAnon, les théories du complot, ou encore l’invasion du Capitole.
Ensuite, attendre un super-héros, c’est entretenir une illusion qui nous déresponsabilise. C’est croire qu’un sauveur viendra remettre de l’ordre à notre place, s’en remettre à autrui au lieu d’agir pour faire bouger les lignes.
Pourtant, comme, Moore le rappelle :
« Les humains sont capables de choses extraordinaires sans avoir à trouver un anneau de pouvoir, être frappés par un éclair magique ou avaler un sérum de super-soldat. »
Et puis l’histoire nous l’a bien prouvé : les vrais bouleversements ne viennent pas d’un homme providentiel, mais du collectif.
Pourtant, c’est ce mythe qu’on achète depuis des siècles. Car vous le savez bien, de César à Macron, l’Empire n’a jamais pris fin.
Mais face aux crises contemporaines – qu’elles soient climatiques, sociales ou politiques – ce n’est pas un individu aux super-pouvoirs qui nous sauvera.
C’est ce que nous faisons, ensemble, qui construit l’avenir. L’écrivain Kim Stanley Robinson nous le rappelle avec son Ministère du futur :
« Le climat du futur ne sera pas sauvé par une seule personne, mais par les efforts de milliers de personnes. »
Dans la fiction comme dans la réalité, ce sont les récits qui mettent en avant des solutions collectives qui dessinent les vraies alternatives. À nous d’écrire la suite.
*
C’est la fin de cet épisode, merci de nous avoir suivi. Si ça vous a plu, si vous voulez nous soutenir, vous pouvez financer le développement de notre QG secret, avec un don ou en vous abonnant.
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En avant-première, on vous glisse aussi ici une annonce importante pour nous : les 29 et 30 mars prochains, nous serons partenaires du festival de science-fiction qui aura lieu à Ground Control, près de la gare de Lyon, Paris 12ème. Une belle occasion, gratuite de surcroît, d’écouter et de rencontrer beaucoup d’autrices et d’auteurs dont nous vous parlons depuis le début de Planète B ! On se voit là-bas ?
On n’a pas de super-pouvoirs, mais on continuera à faire ce qu’on sait faire de mieux : creuser, analyser, raconter. Et heureusement, parce qu’on préfère faire bouger les choses avec des idées plutôt qu’avec un costume en spandex.
Allez, salut !
L’équipe
Autrice : Clémence Gueidan
Co-auteurs : Hugues Robert, Antoine Daer
Montage : Guillaume Cage
Son : Baptiste Veilhan
Graphisme : Margaux Simon
Production : Hicham Tragha
Directeur des programmes : Mathias Enthoven
Co-directrice de la rédaction : Soumaya Benaïssa
Directeur de la publication : Denis Robert
Références citées
BD : Captain America Comics #1 (Jack Kirby, Joe Simon, 1940)
NOUVELLES : Illuminations (Alan Moore, 2023)
BD : The Dark Knight Returns (Frank Miller, 1986)
FILM ANIME : Batman : The Dark Knight Returns (Jay Oliva, 2012 – 2013)
Série BD : Civil War (Mark Millar, Steve McNiven, 2006-2007)
FILM : Captain America : Civil War (Joe et Anthony Russo, 2016)
BD : Superduperman (Harvey Kurtzman, Wally Wood, 1953)
ROMAN : Super Normal (Robert Mayer, 1977)
BD : The Watchmen (Alan Moore, 1986)
FILM : The Watchmen (Zack Snyder, 2009)
SÉRIE : The Watchmen (Damon Lindelof, 2019)
Série BD : The Boys (Garth Ennis, Darick Robertson, 2006 – 2012)
SÉRIE : The Boys (Eric Kripke, 2019 – en cours)
ROMAN : Sbires (Natalie Zina Walschots, 2020)
SÉRIE : Power Rangers
SÉRIE : Goranger
SÉRIE : Bioman
SÉRIE : Kamen Rider
SÉRIE : Battle Fever J
Série BD : Shin Zero (Mathieu Bablet, Guillaume Singelin, 2025)
FILM : Docteur Strange (Scott Derrickson, 2016)
Série BD : The Invicible Iron Man (Stan Lee, 1968)
Série BD : Wonder Woman (William Moulton Marston, 1941)
Série BD : Black Panther (Stan Lee, Jack Kirby, 1977)
Série BD : Luke Cage (Archie Goodwin, George Tuska, Roy Thomas et John Romita, Sr., 1972)
Série BD : X-Men (Stan Lee, Jack Kirby, 1963)
FILM : Freaks (Tod Browning, 1932)
FILM : X-Men (Bryan Singer, 2000)
FILM : X-Men : First Class (Matthew Vaughn, 2011)
Série BD : X-Treme X-Men (Chris Claremont, 2001 – 2004)
Série BD : Ultimate X-Men (Mark Millar, Adam Kubert, 2001 – 2009)
FILM : X2 (Bryan Singer, 2003) FILM : X-Men : Dark Phoenix (Simon Kinberg, 2019)
ESSAI : Super-Héros : Une histoire politique (William Blanc, 2021)
ESSAI : Le syndrome Magneto (Benjamin Patinaud, 2023)
FILM : X-Men : l’affrontement final (Brett Ratner, 2006)
FILM : X-Men : Days of Future Past (Bryan Singer, 2014)
FILM : Logan (James Mangold, 2017)
Série BD : Punk rock Jesus (Sean Murphy, 2012)
Série BD : Batman White Knight (Sean Murphy, 2018)
JEU VIDÉO : Arkham Asylum (Rocksteady Studios, 2009)
Série BD : Zorro : Man of The Dead (Sean Murphy, 2024)
LIVRE : Le ministère du futur (Kim Stanley Robinson, 2020)

Designer multiclassée. Journaliste pour Capture Mag, podcasteuse dans Sale temps pour un film et co-autrice de Planète B sur Blast depuis 2024.
Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.