– Ah mais moi, Star Wars, je n’en ai vu aucun !
– Comment ça « aucun » ?
– Aucun film.
– … ah.
– Ça parle de quoi ? »
Cette effroyable retranscription vient d’une discussion bien réelle. Cet échange houleux, dont j’étais partie-prenante malgré moi, me mit bon gré mal gré face à un choix cornélien : réagir par la violence ou la pédagogie. Réponse B.
Alors Star Wars, ça parle de quoi ? Je ne vous ferai pas l’affront d’un résumé de l’histoire. C’est en réfléchissant au sujet que j’en suis venu à me poser la question du genre de cette saga hautement fondatrice. Et bien-sûr, je ne me contenterai pas d’une réponse simple. Alors Star Wars, science-fiction ou fantasy ?
1/ Je sais : se poser la question d’une boîte rigide dans laquelle ranger les œuvres est souvent une impasse sans intérêt. Je me la pose ici en ces termes crus parce que, justement, c’est intéressant dans ce cas précis.
2 / Je ne me base ici que sur le canon, à savoir les épisodes numérotés de I à VIII à l’heure ou j’écris. (Nous verrons si la suite de l’ennealogie me donnera tort. L’univers étendu et les exceptions comme Rogue One et le futur Solo sont exclus de l’analyse. Par définition, ce qui n’est pas dans le canon et entre en conflit avec ce dernier est une sortie de route.
3 / En préambule je vous suggère la lecture de mes articles de définition sur la science-fiction et la fantasy.
Il y a bien longtemps,
dans une galaxie lointaine,
très lointaine…
La petite phrase célébrissime qui ouvre la totalité des films, « il y a bien longtemps… » place d’emblée et sans ambiguïté l’histoire dans le passé. Oui mais…
La distinction entre une fantasy située dans le passé et une science-fiction toujours futuriste est simpliste. D’autant plus lorsqu’on parle de space opera, un sous-genre de science-fiction dont Star Wars est l’exemple le plus célèbre. Sous-genre qui intègre sans sourciller tout un panel de références anciennes : combats à l’épée, noblesse, codes d’honneur etc. La Caste des Méta-Barons est un autre exemple typique à ce niveau.
Les références anciennes du space opera et de Star Wars en particulier servent d’abord à ancrer l’histoire dans un passé fantasmé, afin de lui donner une stature mythologique. George Lucas connaît son Joseph Campbell, dont l’ouvrage de mythologie comparée Le héros aux mille et un visages est l’une des inspirations cruciales de Star Wars. Aussi Lucas fait-il tout, dans la construction du récit, des personnages et de l’univers, pour donner à son histoire une dimension mythique qui n’en fait pas pour autant une oeuvre de fantasy.
Space opera : une SF mythologique
Car Star Wars à tout d’une oeuvre de science-fiction. Au delà de son folklore passéiste, le space opera (dont la saga est quasiment la définition) est tout à fait un sous-genre. Et la science-fiction n’a rien à voir (ou si peu) avec l’époque qu’elle met en scène (le steampunk par exemple, est une SF qui se passe dans le passé). La science-fiction comme la fantasy est une question de relation à l’imaginaire, comme je l’expliquais dans Qu’est ce que la Science-Fiction ?, celle-ci se définit par le fait que les divergences par rapport au réel y sont expliquées sous un angle matérialiste, scientifique, technologique, dans son univers de référence. Peu importe que ces explications soient crédibles (l’hyperespace, les sabre-lasers et les vaisseaux spatiaux ne sont pas crédibles scientifiquement), puisque les personnages les acceptent comme des phénomènes issus de la science plutôt que du surnaturel.
Dans Star Wars, l’écrasante majorité de la puissance déployée à l’écran est présentée comme issue d’une maîtrise technologique certaine : Etoile noire, sabres et pistolets lasers, voyages intergalactiques, clonage, robotique… On voit notamment une usine de fabrication droïde dans L’attaque des clones, ainsi d’ailleurs qu’un centre de clonage dont le fonctionnement nous est expliqué brièvement. Dans Rogue One (même si j’ai dit que je n’en parlais pas) l’Etoile noire est conçue par des scientifiques, et Vador en fait mention sous le terme « joujou technologique » dans l’Episode IV. Tout l’arc narratif consacré à la prise de pouvoir des Sith sur la République (prélogie), puis de la chute de l’Empire (trilogie originale), puis de la lutte contre le Premier Ordre (nouvelle trilogie) est celui d’une guerre intergalactique science-fictionnelle. Mais pas seulement.
« J’ai ce don, mon père à ce don, et ma sœur l’a aussi. »
Il ne vous aura pas échappé qu’un arc narratif tout aussi important est développé en parallèle de celui-ci. Star Wars est une histoire de familles imbriquées, et imbriquée au destin de la galaxie entière. L’histoire des Skywalker est directement liée à la Force, cette puissance fondamentale qui irrigue l’univers tout entier et fait le lien entre les choses et les êtres. Directement inspirée des religions extrême-orientales et notamment du Tao, elle représente la part mystérieuse et difficilement saisissable de l’univers de la saga.
Le clivage entre croyances anciennes et émancipation de l’humanité est un thème très récurrent de la fantasy. C’est l’un des piliers de la Mythologie Arthurienne, c’est une lecture possible du mythe de Siegfried popularisé par Richard Wagner (et adapté en BD par Alex Alice), et donc naturellement, c’est l’une des thématiques centrales du Seigneur des Anneaux. Dans les légendes arthuriennes, Merlin est un gardien des arcanes païennes de jadis, du monde des fées et des esprits, qui guide pourtant Arthur dans sa quête du Graal, vers l’émancipation des hommes par l’avènement du christianisme (signe des temps). Dans le même esprit, Siegfried triomphe de Wutan (ou Odin selon les versions) ; en brisant la loi inscrite sur sa lance, il libère l’humanité des dieux anciens, qui se retirent du monde. Le Seigneur des Anneaux a aussi son peuple supérieur, les elfes, qui se quittent également de la Terre du Milieu après la victoire sur Sauron, laissant le monde aux mains des hommes et signant la fin du Troisième Age.
Star Wars propose une telle dualité entre une Force millénaire mystique et un univers technicisé de robots, vaisseaux et cyborgs. Toutefois sa construction est très différente puisqu’elle ne s’achève pas par le retrait de l’un ou de l’autre. Dans la prélogie, le côté obscur incarné par les Siths abat l’ordre Jedi, terminant l’histoire par la victoire du mal. La trilogie originale suit l’exacte symétrique inverse : dans un univers gouverné par le côté obscur surgit un héros des tréfonds de la bordure extérieure (de la même planète même), qui s’élève à la Lumière pour ramener l’équilibre dans la Force. Exactement comme son père avait fait, en anéantissant les Jedi auparavant. (Il est d’ailleurs intéressant de noter la similarité avec les Légendes Arthuriennes, dans certaines versions desquelles Merlin cherche un élu destiné à trouver le Graal, et se trompe de génération en choisissant Lancelot au lieu de son fils Galaad, qui lui-même achèvera la quête longtemps après que son père eut fait des siennes. De là à comparer Merlin et Obi-Wan il n’y a qu’un pas.) Le début de la nouvelle trilogie dans Le Réveil de la Force ouvre sur des temps troublés qui verra à nouveau s’affronter le Bien et le Mal au cours d’un affrontement sans fin.
Car justement, Star Wars est cyclique : l’équilibre dans la Force, tant recherché par les personnages, est un conflit éternel qui voit systématiquement resurgir l’opposé de celui qui domine pour lui porter opposition. A cette lutte sans fin répond une autre dualité, celle qui allie science-fiction et fantasy au sein d’une même oeuvre. Et je dis « allier » car les deux ne sont pas opposés, ils cohabitent.
Ou du moins, ils cohabitaient.
Le scandale « midi-chloriens »
C’est dans ce bel équilibre si propre à la mythologie ; alliance subtile d’un monde de space-op’ hypertechnique et de space-fantasy mystique que Lucas à jeté un énorme pavé dans la mare. De quoi occuper pour longtemps les communautés de fans chatouilleuses, et dont l’article que vous lisez est un énième remous.
La Menace Fantôme, non contente d’être un navet uniquement rattrapé par le duel au sabre final, met en scène le maître d’Obi-Wan, Qui-Gon Jinn et sa rencontre avec le jeune Anakin Skywalker. Intrigué par les réflexes surhumains du marmot, le vieux jedi lui fait une prise de sang et… catastrophe. Son « taux de midi-chloriens est extrêmement élevé », dit-il. Et Obi-Wan de renchérir « Maître Yoda lui-même n’en a pas un si élevé ».
En apparence ça n’a l’air de rien, et pourtant. En amenant cette notion de « midi-chloriens » (qui ne sera plus jamais citée d’ailleurs), sorte d’hormone de la jediitude décelable dans le sang, George Lucas évacue d’un geste (maladroit) la Force en tant que phénomène mystique, mobilisable par une rigoureuse connaissance et maîtrise de soi et du monde (#Spinoza). D’un coup, le phénomène qui demandait jusqu’ici d’y croire pour y être sensible devient expliqué, quantifiable, désenchanté. Luke, Vador, Yoda, ne sont que des individus bien dotés par la nature, comme s’ils avaient de longues jambes pour courir vite. Par cette seule phrase, Lucas abolit toute trace de fantasy dans son oeuvre, et la projette violemment du côté de la science-fiction.
Prophétie
Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que La Menace Fantôme est l’un des épisodes qui insiste le plus sur l’aspect religieux des jedis. Qui-Gon est un mystique, passionné par les concepts de « Prophétie » et « d’Élu » (un peu automatiques à Hollywood). Or, avec son histoire de « midi-chloriens », Qui-Gon n’a pas besoin de croire en quoi que ce soit puisque la science de son univers lui donne raison. Finis les doutes et questionnements, une simple prise de sang confirme le destin exceptionnel de l’enfant (destin qu’un peu de clairvoyance de la part de Qui-Gon aurait pu deviner mais c’est un autre débat). Tous les doutes auxquels on devrait s’attendre en de telles circonstances sont balayés, le mysticisme messianique est corroboré par la science.
Alors que faire ? On pourrait se boucher les oreilles et faire comme si cette scène malheureuse n’existait pas. Et pour cause, elle n’a aucun impact sur la suite de l’intrigue. Mais on peut aussi s’interroger sur son utilité à ce moment du film, comme si les scénaristes n’avaient pas trouvé ficelle moins énorme pour forcer le binôme de Qui-Gon et Obi-Wan à embarquer le gamin. A moins que lesdits scénaristes aient délibérément souhaité donner un ancrage matériel à cette Force, grande inconnue.
Quoi qu’il en soit, la scène existe bel et bien dans le canon, et les « midi-chloriens » avec. Charge à nous de nous débrouiller. Alors Star Wars serait définitivement une oeuvre de pure science-fiction ? Pas si sûr. Entrons dans la suranalyse.
Âge d’or et obscurantisme
La Prélogie I, II, III, décrit un âge d’or de la République galactique, et sa chute en parallèle de celle d’Anakin Skywalker. Dans cet âge d’or du jediisme, où le temple accueille des dizaines d’enfants apprentis et compte autant de maîtres de premier ordre, il n’est pas anormal d’imaginer que le jediisme est parcouru de courants de pensés variés et pas forcément compatibles… comme n’importe quelle religion vivante.
Au moment de la présentation d’Anakin au conseil jedi, Qui-Gon informe ce dernier du taux très élevé de « midi-chloriens » dans le sang du gamin… et le conseil botte en touche « il est trop vieux » assène Windu sur un ton sentencieux. Comme quoi, le taux de « midi-chloriens » n’est pas considéré comme une valeur sûre, ni une preuve suffisante par le conseil jedi. Visiblement, le mystique Qui-Gon et ses prédictions étayées par des analyses sanguines sont minoritaires, marginales peut-être comme le sera son comportement de « je m’en fous, de toutes façon j’élèverai l’enfant ». On peut donc considérer que l’absence totale de référence aux « midi-chloriens » en dehors de l’Episode I traduit cette divergence de points de vue. Il existerait une « école rationaliste » dont Qui-Gon serait l’un des tenants cherchant à corroborer son mysticisme par tous les moyens (et donc échafaudant des hypothèses scientifiques). Ecole qui se retrouverait enterrée en même temps que Qui-Gon et tout le reste des jedis lors de leur massacre de La Revanche des Siths. Obi-Wan ira dans le sens de son maître au début, en acceptant de former Anakin, mais à contrecœur, pour honorer sa parole, son caractère étant nettement plus scolaire et moins tête-brûlée que celui de son maître.
Avec la trilogie originale, on revient à un univers plus sombre, après l’avènement de l’Empire et la chute de la République. Le jediisme a été aboli, Obi-Wan et Yoda (ermites vieillissants) sont les derniers à entretenir la flamme… jusqu’au bien nommé Retour du Jedi. Dans cette époque sombre, l’apogée du jediisme a vécu, et la Force est redevenue une puissance mystique sans explication rationnelle. Son enseignement et sa connaissance ont pris un coup avec la chute du temple et le massacre des jedis, et la notion de « midi-chlorien » semble perdue. Pourquoi Obi-Wan n’en fait-il aucune mention, alors qu’il savait ce que c’était pendant sa jeunesse ? Il a peut-être oublié, à moins qu’il ne se soit tourné vers une appréciation plus traditionnelle de la Force (école Yoda) comme puissance supérieure et mystique, plutôt que vers l’appréciation rationalisante de son premier maître, Qui-Gon. Dans tous les cas, les morts de Yoda et Obi-Wan dans Un nouvel espoir puis Le Retour du Jedi achèvent pratiquement leur camp à la seule exception de Luke : un parfait inculte formé à 20 ans (!) en quelques semaines à peine (!!) là où les padawans de jadis suivaient dès l’enfance un entraînement physique et mental de haute volée dispensé depuis leur plus jeune âge. Lors des âges de ténèbres, les savants sont des incultes. Pas étonnant que Luke utilise son sabre comme un bûcheron, et que sa tentative de fondation d’une académie jedi se solde par un échec cuisant lorsque Ben « Kylo Ren » Solo se rebelle contre lui dans des circonstances troubles.
A partir de là, la nouvelle trilogie ouvre un nouveau chapitre de cet univers, où s’affrontent les reliquats de l’Empire sous la forme du Premier Ordre et la Résistance de la princesse Léïa. Tout semble l’ombre de sa grandeur passée, et un nouvel âge d’or n’est pas pour tout de suite. Le chevalier noir est un gamin esclave de sa colère, Luke est retiré du monde… jusqu’au Réveil de la Force par le truchement de Rey. La Force reste une grande inconnue, résolument obscure, qu’on ne dompte ni ne comprend, mais qu’on ressent et dans laquelle on puise éventuellement – mais difficilement. A part Snoke (dont l’identité reste obscure), plus personne n’est en mesure de connaître la nature véritable de la Force. Luke, exilé en Irlande sur Ahch-To, a eu tout loisir d’étudier les quelques vieux ouvrages dont il dispose… mais n’en sait apparemment pas beaucoup plus qu’auparavant lorsqu’il enseigne Rey. Avec sa mort et celle de Snoke, la page se tourne de l’ancienne garde au profit de jeunes jedis à la pratique purement instinctive : Kylo et Rey.
Ainsi les auteurs de la nouvelle trilogie renouent-ils avec un thème puissamment ancré dans la fantasy : celui du déclin des forces qui, autrefois, régissaient le monde. Comme les elfes du Seigneur des Anneaux, et les forces païennes dont Merlin est issu, les jedis doivent laisser la place à l’humanité pour lui laisser conquérir sa propre liberté, sans interférer. Et si bien sûr c’est toujours de jedis dont il s’agit prioritairement dans chacune des trilogies Star Wars, c’est que la Force à laquelle ils puisent leurs pouvoirs est le tissu même du monde et de la Galaxie. Les pouvoirs qu’elle confère sont encore et toujours à apprendre, et pas à maîtriser, au cours d’initiations personnelles tissées dans le destin de tous.
~ Antoine Saint Epondyle
Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.
Ce qui m’avait choqué, et vous n’en parlez pas, c’est quand Qui-Gon demande à la mère d’Anakin : « Qui est son père? » et qu’elle répond: « Il n’a pas de père, je ne me l’explique pas ». Ouh là…..alors la, je suis partie dans des zones stratosphériques là!
J’étais cependant touchée par le petit Anakin.
Autant j’ai aimé la prélogie, autant je me fous totalement maintenant de ce qui peut arriver.
J’ai 53 ans, j’ai vu les épisodes IV-V-VI quand j’étais jeune, j’ai apprécié les I-II-III. Mais là, c’est plus possible. Mon âge, les acteurs, l’histoire, rien ne va ensemble!
Pour moi c’est un space opéra, et j’ai toujours rangé les space opéra dans la catégorie science-fiction. Après je comprends qu’on puisse poser la question, comme on pourrait se la poser pour Dune (pas touche à Dune ou je mords, je préviens :p). Disons que je pars du principe que le style dominant détermine la catégorie, après rien n’oblige à une étanchéité totale :)
Finalement c’est une œuvre bi-classée.
Je pense d’ailleurs que c’est ce mélange assez subtil finalement, entre la SF, la technologie d’un côté, et la fantasy et les vieux mythes de l’autre (sans oublier le western et les films de sabre avec leurs enjeux de loyauté et ce côté un peu « gritty ») qui fait l’attrait unique de la saga.
Star Wars me semble être la synthèse de tout ce qui agite notre monde occidental : les vieilles traditions et légendes qui rencontrent les fantasmes technologiques, le tout avec un mysticisme qui montre la fascination pour les philosophies orientales qui pétrissent notre civilisation depuis Marco Polo.
C’était surement le cas dans le Star Wars des trilogies précédentes (prélogie incluse ? je sais pas). Mais les films plus récents semblent embarquer dans une veine beaucoup plus Marvelesque. Et l’imagerie esthétisante numérique flashy n’aide pas.
[…] created by George Lucas was actually filmed in cultural discussion on its classification: is it really sci-fi, or also a little fantasy? If it is predominantly SF, “Star Wars” also responds to the […]