Sinon le ciel est toujours là, Sabrina Calvo

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Si vous pensiez que Toxoplasma était le maximum de Sabrina Calvo en termes d’hallucination épique, vous étiez comme moi : loin du compte. Avec sa courte nouvelle Sinon le ciel est toujours là, l’auteure poursuit l’univers de son roman dans une mise en abîme en forme de found footage.

La nouvelle est moins une histoire en tant que telle qu’un témoignage en prose poétique autour de l’idée de réalité. Elle reprend les propositions essentielles de Toxoplasma entre culture pop et dissolution du réel ; le roman y devient diégétiquement une cassette VHS rarissime, dont la narratrice spécule sur le contenu, permettant à Calvo d’inclure une forme d’autocritique, où plutôt d’auto-analyse, sur son travail. « L’intrigue » se déroule x temps après celle du roman, et le monde a visiblement continué d’évoluer dans cette Montréal plus ou moins dévastée par la guerre (?) où s’incarnent à présent les logos des compagnies hollywoodiennes, symboles mystiques qui ouvrent chacune de nos grand-messes cinématographiques, révélant ainsi leur nature d’êtres totémiques bien réels, antédiluviens, cachés au frontière de notre réalité. Après tout, l’humanité s’est toujours référée aux symboles (animaux notamment) pour transmettre des valeurs religieuses, mystiques, et incarner un pouvoir. Ici le soft power des industries culturelles plus fortes qu’aucune Église dans nos sociétés de l’entertainment.

« Elles sont tapies là, juste derrière le mur de notre réalité. […] Nous les vénérons dans les temples des multiplex, dans nos propres salons. De nouveaux dieux mânes, assurant joie, satiété et contrôle du destin par du mythe régurgité […] Ça ne m’étonne pas que tu aies compris que la VHS était une forme de prière radicale. »

Cette approche de la cultures populaire, où des entités insaisissables œuvrent « juste derrière le voile » à manipuler les masses, s’approche d’une réinterprétation de Lovecraft dans son rapport à l’humanité. Et dans l’incapacité totale de celle-ci à comprendre a nature réelle du monde. Mais surtout elle dit quelque-chose de notre rapport à la culture de masse, en se rapprochant du travail de Noty-Aroz, duo de street-artists à l’origine de la Théorie du Syncrétisme Fictif et du concept de « MytholoGenY » ; travail que je découvrais totalement par hasard, en tombant récemment sur un message placardé à deux rues de chez moi :

« En réponse à « la carence spirituelle » (voir Introduction au Syncrétisme Fictif, 2008), nous observons un phénomène socio-idéologique significatif. Depuis le début du troisième millénaire, à travers le monde, certains peuples s’engagent dans l’adoration de nouvelles divinités : personnages issus de fictions mêlés à des croyances traditionnelles. Cette mythologie est une religion consciente, dans laquelle les divinités vénérées ne sont pas perçues comme ayant existé par le passé, mais comme possédant un impact concret sur le réel. Nous la nommons MytholoGenY, Mythologie d’une Génération Y. Aidons-la à émerger, prêchons la bonne parole.
– Le Pr fesseur »

La « MytholoGenY », où le culte d’entités fictionnelles non pour leur nature supposément surnaturelle, mais pour la reconnaissance de leur influence effective sur le monde. Batman, Iron Man, Captain America et toutes les écuries super-héroïques par exemple, n’ont pas besoin d’exister en chair et en os pour inspirer un sentiment patriotique, renforcer des normes (une certaine idée de la virilité notamment), exalter le courage et la résistance à l’oppression ressentie du peuple américain – tout en exaltant du même coup un certain nombre de réactions contraires. Ils existent, fondamentalement, en ceci qu’ils ont un impact sur le réel, sur nous.

C’est bien de ça dont il s’agit dans Sinon le ciel est toujours là. En incarnant les logos de compagnies de prod hollywoodiennes dans les interstices de notre réalité, Calvo leur reconnaît un impact, une stature autoporteuse d’influence, finalement assez proche du sentiment religieux. Plus que les dieux anciens, multiples ou uniques, des religions ; plus que les héros classiques des mythes anciens, la « MytholoGenY » actuelle passe par la pop culture, qui est puissance omniprésente, adorée en masse dans les autels commerciaux qui lui sont dédiés.

« Appelle-ça de la nostalgie si tu veux, pour moi, c’est une forme de spiritualité. »

Calvo signe dans Sinon le ciel est toujours là un petit mais riche bijou littéraire – comme toujours – parfaitement écrit. Un forme d’augure profond qui interroge, depuis l’après, la place du mythe dans nos sociétés qui se voudraient hyper-rationnelles. Un texte génial, qui prouve encore une fois le talent de l’auteure et le fait que la science-fiction – y compris francophone – respire encore, vit, créé et enfante à l’ombre des mégastructures arides de la culture industrielle globalisée.

~ Antoine St. Epondyle

La nouvelle est disponible dans la super revue Carbone n°1 Carte aux trésors.

carbone david calvo

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