A l’occasion du Mois de l’Imaginaire 2023, Hugues Robert (librairie Charybde) et Blast célèbre le pouvoir puissant et politique des « mauvais genres » en compagnie de professionnels de l’édition. L’occasion de faire un petit bilan de l’année écoulée sur Planète B notre émission de science-fiction sur Blast.
PLANÈTE B : SOMMAIRE DES ÉPISODES
Mois de l’Imaginaire : l’imaginaire est puissant et politique !
Il y a un an débutait la première saison de Planète B, l’émission de science-fiction et de politique animée par La Volte, Antoine Daer et Hugues Robert sur Blast. Pour débuter cette deuxième saison, nous vous proposons à la fois une relecture rapide de ces neuf épisodes passés, une célébration très logique du présent Mois de l’Imaginaire, et, naturellement et obligatoirement, une forme de retour vers le futur !
Résumé de la première saison
Comme Antoine l’avait expliqué lors de notre tout premier épisode, il y a un an, Planète B travaille à la charnière entre le politique et l’imaginaire. C’est dans cette zone à la fois grise et toute en couleurs, riche de possibilités, que vous avez pu nous entendre parler par exemple d’Anne Besson et de son « Les pouvoirs de l’enchantement : Usages politiques de la fantasy et de la science-fiction », et de la manière dont les gens s’approprient et éventuellement détournent les propositions fictionnelles populaires, ou bien d’Ariel Kyrou et de son « Dans les imaginaires du futur : entre fins du monde, IA, virus et exploration spatiale », qui nous montre à quel point l’imaginaire contemporain sait englober et éprouver les grandes préoccupations contemporaines, ou encore nous entendre longuement interviewer Alice Carabédian à propos de son « Utopie radicale : par-delà l’imaginaire des cabanes et des ruines », et de la manière dont certaines fictions constituent un véritable réservoir de souffle et d’ambition politiques.
Il y a du politique à l’œuvre, et pas seulement un peu, dans les fictions de pénurie et d’effondrement, d’utopie et de dystopie, de surveillance et de contrôle, il y a du politique intime à l’œuvre dans les séries télévisées interactives comme Black Mirror : Bandersnatch et dans les thèmes, et plus encore sans doute dans les types de gameplay, que nous proposent les jeux vidéo.
Au moment de commencer une deuxième saison, dans le même état d’esprit, quoi de plus approprié que de vous présenter justement une manifestation collective : le Mois de l’Imaginaire ?
Le Mois de l’Imaginaire
Tous les ans en octobre, depuis 2017, le Mois de l’Imaginaire, libre association d’une grosse vingtaine de maisons d’édition, petites ou grosses, indépendantes pour l’essentiel, met à l’honneur la science-fiction, la fantasy et le fantastique partout où cela est possible, dans les librairies, les médiathèques, les médias et – on l’espère bien ! – le cœur et l’esprit des lectrices et lecteurs, spectatrices et spectateurs, actrices et acteurs de notre présent et de notre futur ! Écoutons donc quelques-unes et quelques-uns d’entre eux nous dire un mot des raisons et des passions de leur attrait pour l’imaginaire.
[Inserts]Voilà ! Dix personnes, choisies – quasiment – au hasard parmi les quelque 70 venues le 18 septembre dernier au Dupont Café, dans le 13ème arrondissement de Paris, pour participer au lancement de ce Mois de l’Imaginaire 2023. Que nous disent-elles par rapport à Planète B ?
Procès en évasion, expériences de pensée et éducation populaire
Eh bien, elles saisissent l’un des éléments essentiels, fondateurs même, de notre approche – et je vous assure pourtant que ces entretiens ont été réalisés sans briefing préalable et sans trucage ! Valérie, Lloyd, Clémence, Bruno, Charlotte, Pascal, Mélanie, Melchior mentionnent spontanément la dimension « évasion », partie intégrante, essentielle sans doute, de l’imaginaire en général et de la science-fiction en particulier.
C’est précisément, et presque depuis l’origine, le premier procès instruit à l’encontre du genre. Dans son « Jouvences – Sur Jules Verne », son cinquième ouvrage publié, en 1974, bien avant qu’il ne devienne le philosophe préféré des Françaises et des Français, Michel Serres rappelait, au fil d’un texte érudit et pénétrant, à quel point la composante « évasion » de la littérature, et plus généralement de l’art, est considérée comme éminemment suspecte, entraînant si fréquemment à l’époque, de la part des autorités intellectuelles plus ou moins auto-proclamées, la critique d’infantilisme.
L’imaginaire n’en a d’ailleurs pas toujours eu le monopole : Jean-Yves Tadié, Antoine Compagnon ou encore le si regretté Michel Le Bris ont dû consacrer une grande part de leur carrière littéraire ou académique à défendre le roman d’aventures contre ses détracteurs.
Même à l’intérieur des genres de l’imaginaire, la critique existe, sous une forme généralement plus informée et plus subtile, et aussi bien le grand Thomas Disch (dans son essai couronné par le prix Hugo, « The Dreams Our Stuff Is Made Of », non traduit en français) que le non moins grand Norman Spinrad (dans son roman tardif « Il est parmi nous ») alertaient avec force sur le risque que les pratiques résolument adolescentes parcourant une certaine science-fiction n’en altèrent dangereusement la crédibilité artistique et politique globale.
Et pourtant !
Comme viennent de nous le rappeler Tom, Melchior, Charlotte, Pascal, Mélanie et David, et comme nous en partageons bien entendu ici la conviction, la puissance des expériences de pensée et des expériences émotionnelles que permettent l’imaginaire en général et la science-fiction en particulier, la subtilité des pas de côté ainsi mis en œuvre, les possibilités critiques ainsi ouvertes, sont difficilement égalables ailleurs.
S’instruire en s’amusant, réfléchir en rêvant, développer sa sensibilité en spéculant : « Et si… ? », cette question centrale de l’imaginaire – tel que tant de ses adeptes le conçoivent – est peut-être l’une des plus parfaites illustrations de l’éducation populaire, de l’émancipation par la culture qu’analyse le philosophe Jacques Rancière quasiment depuis le début de sa carrière et ses « Archives du rêve ouvrier » en 1981. Dans « Le fil perdu – Essais sur la fiction moderne », publié en 2014, qui assemblait et réorganisait une petite dizaine de textes produits au cours des dix années précédentes, il disait ceci :
Mais, on le sait depuis Aristote, la fiction n’est pas l’invention de mondes imaginaires. Elle est d’abord une structure de rationalité : un mode de présentation qui rend des choses, des situations ou des événements perceptibles et intelligibles ; un mode de liaison qui construit des formes de coexistence, de succession et d’enchaînement causal entre des événements et donne à ces formes les caractères du possible, du réel ou du nécessaire. Or cette double opération est requise partout où il s’agit de construire un certain sens de réalité et d’en formuler l’intelligibilité. L’action politique qui nomme des sujets, identifie des situations, lie des événements et en déduit des possibles et des impossibles use de fictions comme les romanciers ou les cinéastes.
Dans un état d’esprit comparable, on pourrait songer au collectif italien Wu Ming, basé à Bologne. Aux côtés de leurs sept romans collectifs et de leur douzaine de romans individuels, ils ont proposé en 2009 une sorte de manifeste extraordinairement tonique, intitulé « Le nouvel épique italien », qui a rencontré une vive curiosité parmi la communauté des autrices et auteurs de « mauvais genres » littéraires : policier, roman d’aventures, science-fiction, fantastique ou roman historique habilement « trafiqué ». On y trouvait en substance l’analyse d’une production littéraire et multimédia contemporaine, en Italie, et la revendication à travers ces œuvres du retour d’une littérature à la fois populaire et ambitieuse, à la fois drôle et sérieuse, à la fois historique et décalée – mais toujours, visiblement ou non, éminemment politique. Bref, une belle définition de l’imaginaire de notre cœur !
Plus récemment, Mark Bould, l’universitaire britannique spécialiste du marxisme contemporain et de la science-fiction, auteur notamment avec China Miéville de l’anthologie critique « Red Planets : Marxism and Science Fiction », nous montrait dans son « The Anthropocene Unconscious » de 2022, non (encore) traduit en français, comment l’imaginaire porte à la surface avec ruse l’inconscient de ce qui structure le contemporain, là où le mainstream tend à le maintenir, précisément, dans notre inconscient, non formulé et pas vraiment avoué. Et n’est-ce pas encore le grand philosophe et analyste des cultures contemporaines Fredric Jameson qui, dans la deuxième partie de son monumental essai « Archéologies du futur », nous encourageait très directement à « Penser avec la science-fiction » ?
Comme le scande à sa manière notre Planète B, il s’agit bien ici de quelque chose qui affecte de nous parler d’ailleurs et de demain pour nous permettre de mieux comprendre et agir dans l’ici et le maintenant.
Des livres proposés par les actrices et les acteurs de l’Imaginaire.
Un épisode de Planète B qui n’essaierait pas plus ou moins discrètement de faire exploser vos piles de lecture ne serait pas vraiment un épisode de Planète B ! Aujourd’hui, ce sont ces mêmes actrices et acteurs de l’imaginaire qui vous proposent quelques recommandations pour la route :
[Inserts]Pour conclure cet épisode en étant particulièrement en phase avec Mélanie Daubié et Charlotte Volper, nous espérons que Planète B, au fil des mois, parvient et parviendra toujours davantage à vous convaincre (en vous amusant, d’une certaine manière !) de la richesse et de la pertinence politique de l’imaginaire sous toutes ses formes. Sans réellement dévoiler le programme de l’année à venir, il est vraisemblable que nous vous parlerons de climat, d’intelligence artificielle, d’exploration spatiale, d’exoplanètes, de communautés et d’affinités, et de bien d’autres choses encore, avec quelques surprises aussi, nous l’espérons bien, du côté des interviews.
Si cet épisode vous a plu, nous vous rappelons que Blast, totalement indépendant, repose entièrement sur votre soutien : n’hésitez donc pas à vous manifester en vous abonnant et en contribuant si vous le pouvez, bien entendu.
L’équipe
Journaliste : Hugues Robert
Images : Hamza Chennaf, Frida Cota, Léandre Thomas
Montage : Guillaume Cage
Son : Baptiste Veilhan
Graphisme : Morgane Sabouret
Directeur des programmes : Mathias Enthoven
Rédaction en chef : Soumaya Benaïssa
Directeur de la rédaction : Denis Robert