Cet article est la traduction d’un texte originellement publié en anglais en 2016 sur The Mary Sue et écrit par Marceline J. Cook. Je le publie ici en français avec son aimable autorisation.
Dans cet article, Marceline analyse chronologiquement Matrix comme le récit d’une expérience transgenre. Les personnages, dont Néo bien entendu, incarnant la libération de l’identité réelle face à la société cisgenre. Celle-ci est représentée essentiellement par Smith et Cypher, et combat sans relâche pour forcer les personnages à rentrer dans le rang. Je vous propose cette traduction sur Cosmo Orbüs car l’analyse me semble tout à fait passionnante, et permet d’ouvrir les yeux sur les difficultés d’une transition (à commencer par mes propres yeux d’homme cisgenre). En lisant cet article originellement, j’ai trouvé qu’il permettait un exercice d’empathie bienvenue. Comme quoi la science-fiction et sa batterie d’outils métaphoriques peuvent beaucoup.
Note : La traduction est un métier, et ça n’est pas le mien. J’ai tenté ici de respecter fidèlement le propos de l’autrice plus que de coller exactement au texte d’origine dont des morceaux ont été revus ou supprimés (car devenus inactuels). J’ai tâché de conserver l’esprit de l’article original. Les puristes sont invités à se référer à l’article original.
Bonne lecture.
~ Antoine St. Epondyle
Décoder la Matrix transgenre
Il y a quelques jours, j’ai vu une vidéo qui disait que Matrix était un film de coming out transgenre. Je n’avais pas vu Matrix depuis des années, mais ça a touché une corde sensible. Ça semblait vrai. J’ai donc retrouvé mon vieux DVD et commencé à « live-twitter » les principaux thèmes du film.
Comme je l’ai admis dans le live-tweet, j’étais stupide en 1999 et je n’avais pas su voir l’allégorie transgenre ouverte dans le film, mais beaucoup l’avaient vue. On m’avait dit que des racontars et rumeurs entouraient Matrix depuis sa sortie, dans la communauté trans. L’idée était que le film avait des thèmes transgenres, qui se confirmèrent quand Lana [Wachowski] fit son coming out (ou se fit outer – l’histoire n’est pas claire) pendant le tournage des suites de Matrix.
Quand Matrix est sorti pour la première fois, Internet n’était pas l’énorme monstre informationnel qu’il est aujourd’hui. Ça n’est que maintenant que les rumeurs trans autour du film deviennent communes, grâce aux partages rapides sur les réseaux sociaux. Ça n’est pas un hasard si, quand l’information se répand vite, nous l’appelons virale. La seconde raison qui fait que la société cisgenre a compris l’idée d’une Matrice Transgenre est en partie que les Wachowski ont fait publiquement leurs transitions, et qu’il semble maintenant plus facile d’accepter que Matrix soit une histoire sur l’expérience transgenre.
J’ai vu Matrix une seconde fois d’un point de vue transgenre critique, qui confirme que le film parle entièrement de coming out et de la réaction de la société. Ce qui fait de Matrix le plus réussi des films consacrés au sujet qui ait jamais été fait. Morpheus y joue le rôle du mentor, Cypher est le chasseur [the chaser] – haine et honte mêlées, il agit violemment – et l’agent Smith comme Néo sont les deux faces d’une même pièce. Ils sont tous les deux transgenres, mais Thomas Anderson devient Néo alors que Smith est incapable d’accepter le changement et détruit son « lui véritable ». En restant cisgenre, il est incapable de faire un avec lui-même et ne peut devenir l’Élu [The One, anagramme de « Neo », NdStEp]. Suivons le film pas à pas et voyons quelques-uns des thèmes transgenres principaux de Matrix.
Au début du film, Thomas Anderson est pourchassé par Smith qui lui reproche sa vie cachée, celle d’un hacker recherché par la loi.
« Il semblerait que vous meniez deux vies, M. Anderson. »
L’une de ces vies est cisgenre, et l’autre est réelle. Cette phrase est un commentaire évident sur le fait que beaucoup de personnes trans vivent deux vies parallèles, potentiellement pendant des décennies. Avant la transition, les personnes trans jouent deux rôles, en tentant de rentrer dans les clous d’une société normée pour les personnes cis, en jouant des apparences comme Néo dans son bureau. Nous ne sommes généralement pas « out » pour tout le monde à la fois ; parfois personne ne sait, parfois seulement les amis, ou nous cachons le fait que nous sommes trans au travail.
« Une seule de ces vies à un avenir, et l’autre… n’en a aucun. »
…conclut Smith.
Le taux de tentatives de suicide chez les personnes trans est de 41% [source inconnue, NdStEp], et comme je le mentionnerai plus tard, Lana elle-même a fait une telle tentative avant son coming out. Smith cherche ici à convaincre Néo de rester dans le status quo, de ne pas faire son coming out. Il lui dit que devenir transgenre, c’est n’avoir aucun futur – une peur à laquelle beaucoup de personnes trans on dû faire face.
Puis Smith enchaîne :
« Dites-moi, M. Anderson, à quoi bon téléphoner s’il vous est impossible de parler ? »
En 1999 et avant, les médias cis n’avaient jamais écouté les personnes transgenres. Les choses ont un peu changé, et nous avons un peu plus d’écho aujourd’hui ; mais à cette époque tenter de s’exprimer revenait souvent à hurler dans le vide. Quel intérêt y avait-il de parler aux personnes cis des trans ? De quels droits parler quand vous n’avez aucun droit, quand personne n’écoute ? Comme Néo, vous êtes littéralement incapable de vous défendre. Un avocat, un coup de téléphone, ne servent à rien face à la « trans panic defense » qui avait encore cours au tribunal.
Nous avons ici également le premier emploi du deadname par Smith. Une personne transgenre est appelée par son prénom pré-transition, de manière à l’insulter pour lui dénier son identité choisie. L’agent Smith ne s’adresse à Néo qu’avec le nom « M. Anderson » – comme tous les autres antagonistes du film. Et Smith, présenté dans les suites comme un « Élu » raté, tout particulièrement.
Immédiatement dans la suite du film, Néo rencontre son mentor Morpheus.
« Crois-tu en la destinée, Néo ? »
Voici la demande de ce dernier dans le bureau virtuel, avant qu’il ne donne à Néo le choix entre la pilule rouge et la pilule bleue.
« Non » répond l’intéressé rapidement et avec certitude.
« — Pourquoi pas ?
— Parce que je n’aime pas l’idée de ne pas avoir le contrôle de ma vie. »
Voici un thème central dans le fait de devenir transgenre. Vous devez prendre votre vie en main, et la forcer en ce qu’elle devrait être. Vous combattez votre naissance, la société cisgenre, et la normalité perçue. Vous devez être très fort(e) (ou désespéré(e), et selon moi ces deux aspects se confondent fréquemment) pour réussir une transition, même aujourd’hui.
“Ce que tu sais, tu ne peux l’expliquer, mais tu le sens. Tu l’as ressenti pendant toute ta vie – que quelque-chose ne va pas. Tu ne sais pas ce que c’est, mais c’est comme une écharde dans ton esprit, qui te rend fou. C’est ce sentiment qui t’a mené à moi. »
Morpheus est l’ancien trans qui cherche à guider Néo dans son choix sans lui donner la réponse à ses questions. Une manière de résumer ma vie entière. Je savais qu’il y avait quelque-chose de différent dans la façon dont je me voyais, mais je ne savais pas quoi. C’était avant la démocratisation d’Internet ; je ne pouvais googliser mes sentiments ni demander sur les réseaux sociaux. J’étais isolée, d’une façon qui n’existe plus lorsque vous avez accès à Internet. Si vous étiez chanceuse, une personne de la communauté trans vous aidait, mais la plupart des gens ne le faisaient pas. Comme vous le savez, Néo prend la pilule rouge et commence son voyage transitionnel.
M. Anderson renaît en Néo, libéré par Morpheus. Les premiers mots de celui-ci sont : « Bienvenue dans le monde réel ».
« — Suis-je mort ? » demande Néo.
« — Loin de l’être » répond Morpheus doucement.
Les scènes suivantes montrent Néo construisant son nouveau corps, son corps réel. Beaucoup de personnes trans font des changements sur eux-mêmes, de la HRT [Hormone Replacement Therapy, NdStEp] à la chirurgie. L’analogie avec cette séquence est très directe. La première chose que Néo fait lorsqu’il revient à lui est de se débrancher de la machine, quittant symboliquement l’ancien et faux monde à présent que son corps est devenu réel.
Les machines, dans Matrix, et jusqu’à la Matrice elle-même, sont un mélange de métaphores mais représentent principalement l’autorité cisgenre qui capture et supprime les personnes trans et leur culture.
« Tu vivais dans un rêve, Néo » dit sagement Morpheus dans la scène du « désert du réel » (post-apocalyptique). Il est ici question de coming out. Dans mon cas, il s’agissait de quitter les privilèges de l’homme blanc cis pour devenir une femme trans aux yeux de la société. Le coming out peut créer un effet de terre brûlée – vous pouvez perdre votre famille, vos amis… vous perdez votre ancienne existence, et la nouvelle peut être difficile.
« — Je ne peux pas retourner en arrière, n’est-ce-pas ? » Demande Neo d’une voix plaintive.
« — Non, mais si tu le pouvais, le voudrais-tu vraiment ? » Réponds Morpheus.
Devenir moi-même est la chose la plus dure que j’ai jamais surmontée ; jusqu’à ce jour, je me bats toujours sur comment je me vois, qui je suis, ce que j’ai gagné et perdu.
Et Morpheus d’enchaîner : « Je te dois une excuse. Nous avons une règle. Nous ne libérons jamais un esprit qui a atteint un certain âge. »
C’est une chose à laquelle je pense beaucoup ; cette citation me remplit de regret, de colère et de tristesse. Pour moi, elle parle de transition post-puberté. Je n’ai pas loin de l’âge de Lana. Aucune de nous n’a eu l’opportunité de faire sa transition avant la puberté, et j’aurais aimé l’avoir car elle est alors beaucoup plus facile. Si vous voulez être discrète, vous avez beaucoup plus de chance de pouvoir le faire. Beaucoup de personnes transgenres qui font leur transition plus tard dans leurs vies, doivent lutter avec leur apparence et ont des difficultés avec les médicaments et la chirurgie. Votre corps est moins résilient lorsque vous vieillissez.
Morpheus enseigne à Néo comment combattre l’autorité de la société, pour son bénéfice propre. « Je connais le kung-fu. » Sourit ce dernier.
Lorsque Néo et Morpheus se battent dans le dojo, Morpheus enseigne qu’il n’est pas facile d’être trans dans une société cisgenre. Vous devez être réel et croire en vous, accepter que vous êtes transgenre et ne pas reculer. « J’essaie de libérer ton esprit, Néo. Mais je ne peux que te montrer la porte. C’est à toi qu’il appartient de la franchir. » Néo doit accepter qu’il est trans avant de pouvoir réellement ne faire qu’un avec lui-même, ou devenir l’Élu.
« La plupart des gens ne sont pas prêts à être débranchés. Beaucoup d’entre eux sont si aliénés [inured] – si désespérément dépendants du système – qu’ils vont jusqu’à se battre pour le protéger. » Explique Morpheus dans un discours directement adressé à la majorité cisgenre du public.
Le concept d’acceptation de soi est un thème récurrent tout au long de Matrix, invoqué par la remarque de Mouse : « Nier nos propres pulsion c’est nier ce qui fait de nous des humains. »
La transition est une chose très humaine ; nier la transition c’est risquer la mort, c’est ne plus être humain. La représentation de la transition « idéalisée » se présente sous la forme de la femme en robe rouge.
« J’ai des souvenirs de ma vie. Mais aucun n’est vrai. Qu’est ce que ça signifie ? » Se lamente Néo dans un discours qui me touche de très près. Quand j’essayais d’être un garçon, je n’étais pas vraiment moi. J’étais un fac-similé qui prétendait être « moi ». J’étais, en fait, en train de regarder les autres garçons et d’essayer de suivre leur comportement. Cette époque n’était pas réelle pour moi. J’agissais comme un faux moi. Ce sont maintenant de « faux souvenirs ».
La première scène de Néo avec l’Oracle est hilarante lorsque vous la regardez à travers le prisme transgenre. Elle inspecte moqueusement son corps comme les personnes cisgenre voulant connaître le genre à travers la chirurgie. Néo dit qu’il n’est pas l’Élu, et l’Oracle acquiesce.
« Désolée mon garçon. Tu as le don, mais on dirait que tu attends quelque-chose… ta prochaine vie, peut-être. Qui sait ? C’est ainsi que vont ces choses. » Dit l’Oracle dans un soupir. Néo n’est pas encore entier, dans cette allégorie, il n’est pas totalement accepté comme transgenre ; il n’est pas Un [jeu de mot sur « One », l’Élu, NdStEp]. La partie sur sa « prochaine vie » fait écho à l’image de la mort présente tout au long du film.
Vient ensuite la séquence où le « héros transgenre » et Cypher entrent dans la Matrice. L’autorité et la violence cisgenre montent d’un cran, avec la trahison de Cypher. Ils doivent littéralement se cacher dans les murs pour échapper à la violence des figures d’autorité. Il sont trahis à nouveau, par Cypher, qui les fait repérer. Ici, Cypher représente l’incarnation d’un type particulier d’homme cisgenre qui aime les femmes trans mais devient violent à travers sa culpabilité et sa haine de soi. Il est un « chasseur » [chaser], quelqu’un qui fétichise les personnes transgenres.
Vient ensuite l’interrogatoire et la torture de Morpheus par l’agent Smith. Smith plaisante, « Le futur est notre monde. Le futur est notre temps. »
Il compare les personnes transgenre à un virus, qu’il tuera. « L’être humain est une maladie, un cancer de cette planète. Vous êtes un fléau, et nous sommes l’antidote. » Ce qui est intéressant quand, en octobre 2014 le pape François, pape progressiste supposé, comparait les personnes transgenres à « une arme nucléaire contre la société » [source inconnue, NdStEp]. La scène où les agents essaient de hacker l’esprit de Morpheus est une scène de conversion dans laquelle ils essaient de faire rentrer Morpheus dans le rang en cessant d’être transgenre.
L’opposée de cette scène est celle qui suit, dans laquelle Néo et Trinity décident de se rebeller contre les normes cisgenres ; c’est la scène de sauvetage dans laquelle ils dégomment la police dans le hall de l’immeuble. C’est un immense « fuck you » à la société cisgenre qu’ils massacrent dans un ballet acrobatique. Je n’approuve pas ce positionnement politique anti-cis, mais je peux le comprendre, et la séquence reste captivante dix-sept ans plus tard. [vingt ans aujourd’hui en 2019, NdStEp]
La scène de combat et d’évasion dans le métro, est la scène pivot de Matrix. Pour la comprendre, vous devez connaître un peu le passé de Lana. Avant sa transition, elle avait des idées suicidaires. Elle écrivit une lettre de suicide et alla dans le métro pour se jeter devant un train. Elle ne pouvait pas affronter la pression de la transition et l’effet que celle-ci aurait sur elle et son entourage. Au dernier moment, elle fit demi-tour et décida qu’elle ne pouvait pas ; qu’elle devait accepter qui elle était – qu’elle était transgenre.
Néo aussi décide de se battre. Quand Morpheus son mentor trans, le réalise, il dit : « Il commence à croire ».
La réponse de Smith est bien différente : « Je vais avoir plaisir à vous voir mourir, M. Anderson » croasse-t-il en le « deadnamant ».
Alors que Smith le porte devant le métro qui arrive, il dit « Voici le son de l’inéluctabilité. C’est le son de votre mort. Au revoir, M. Anderson. »
Pour la première fois, Néo s’affirme et renvoie Smith dans les cordes.
« Mon nom est… Néo ».
Puis il échappe à la mort par le métro alors que son opposant est écrasé. Pour la première fois, Néo est out comme une personne transgenre. Il s’accepte, et gagne, avec ça, le pouvoir de devenir un avec lui-même, « the One« .
Avec cette acceptation, et ensuite avec son amour pour Trinity, Néo revient métaphoriquement puis littéralement d’entre les morts, non sur un mode christique comme beaucoup d’analystes du film au cours des années l’ont pensé, mais en défiant la mort – en pariant sur une existence transgenre et en y survivant. Le film se termine sur une note très intéressante, profonde et conciliante vis-à-vis de la putain d’attitude cis précédente, lorsque Néo tend la main aux machines.
« Je sais que vous êtes là, je sens votre présence. Je sais que vous avez peur. Vous avez peur de nous, vous avez peur du changement. Je ne connais pas l’avenir, je ne suis pas venu vous dire comment tout ça finira. Je suis venu vous dire comment ça va commencer. Je vais raccrocher ce téléphone, et ensuite je montrerai à tout ces gens ce que vous ne voulez pas qu’ils voient. Je leur ferai voir un monde… Sans vous. Un monde sans lois ni contrôle, sans limites ni frontières. Un monde, où tout est possible. Ce que nous en ferons, ne dépendra que de vous. »
Ce que Néo dit dans son discours final est directement adressé aux autorités qui oppriment et tourmentent les personnages transgenres. Néo demande en substance : « Allez-vous accepter les personnages transgenres ? Votre attitude dépend de vous. »
Il raccroche le téléphone et s’envole.
J’ai déjà eu des arguments insistant pour dire que Matrix n’était pas un film de coming out, mais toutes les preuves vont dans ce sens. De manière intéressante, ces arguments ont été autant de surprises de personnes cisgenre rendues folles que je puisse d’une certaine façon ruiner leur film, ou de personnes disant « Mais comment ? Lana n’avait pas encore fait son coming out à ce moment ! » Ce dernier argument en particulier me déconcerte. J’ai su que j’étais trans des décennies avant d’en prendre acte. Lana également, et elle fut l’autrice principale de Matrix.
C’est le meilleur film de coming out transgenre à avoir percé dans le cinéma mainstream. J’aimerais interviewer Lana Wachowski sur ce sujet. Ce film est l’âme de Lana (et peut-être de Lilly) mise à nu. Je voudrais lui en parler et l’en remercier. Beaucoup des films des Wachoski ont des thèmes transgenre similaires, même Speed Racer et Jupiter Ascending. Dans ce dernier, il y a une scène notable où Jupiter lutte pour changer et valider son ID à la bureaucratie gouvernementale. J’en suis toujours à lutter là-dessus moi-même. Comme il y a peu de chances que je puisse les interviewer un jour je voudrais leur dire : merci Lana et Lilly. J’espère que vous continuerez à faire de nombreux autres films, idéalement avec des thèmes transgenres.
Présentation de l’autrice
Marcy (@marcyjcook) est une femme trans, autrice de Transcanuck.com un site dédié à l’information et l’aide aux personnes transgenre du Canada. Elle a aussi un job nerd, trop de chats, et est éducatrice sexuelle volontaire à mi-temps.
Initialement publié en anglais sur The Mary Sue.
~ Traduction par Antoine St. Epondyle
Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
Une lecture résolument transgenre de la part de Marcy. Après tout, pourquoi pas ! On déchiffre toutes et tous les mondes imaginaires des livres et des films à l’aide de nos valeurs, préférences, traumatismes, préoccupations…) je ne sais quel terme choisir. L’analyse qu’en fait Marcy est la preuve, non pas que Matrix est un film militant pour la reconnaissance transgenre mais que c’est un film suffisamment riche pour qu’on puisse l’interpréter de diverses manières y compris comme un film militant pour la reconnaissance des transgenres.
Je pense que c’est les deux.
Un article de ma part arrive sur ce sujet. Comment Matrix est aussi une allégorie de tout système oppressif et peut même être utilisé pour défendre des idées éventuellement opposées à celles des autrices. Ce qui n’enlève pas qu’elles avaient probablement en tête une ou plusieurs lectures principales au moment de le faire – au lieu de faire une image « pure » et potentiellement trop théorique.
Je te rejoins là-dessus, j’ai davantage l’impression que c’est un film qui parle du combat contre un système répressif. La métaphore de la transidentité permet sans doute de donner une lecture de l’élu moins dramatique que celle que j’avais pu en avoir étant plus jeune: Néo comme celui qui s’identifie pleinement à sa cause et qui réalise par là une identité émancipée du système oppressif et qui peut se tourner pleinement vers l’avènement d’une société nouvelle et pacifiée plutôt que d’être limité à la seule lutte (la lutte est encore une façon de reconnaître une légitimité à l’adversaire).
Par contre, j’ai plus de difficulté à pousser cette métaphore sur les films ultérieurs, le sacrifice ultime de Néo ne me semble pas vraiment cohérent (le voir comme une sorte de martyr transgenre me parait inadéquat).
Je renvoie dans tous les cas à l’excellent « Pourquoi j’ai raison et vous avez tort » sur les Wachowski de Durendal qui me semble aller vraiment au fond de l’analyse et montrer pleinement en quoi chaque interprétation possible du film est cohérente avec son message:
https://www.youtube.com/watch?v=QrGeSQo11XY (1/3: Bound+Matrix)
https://www.youtube.com/watch?v=WGxUuHj6gy4 (2/3: Matrix Reloaded+Revolutions)
https://www.youtube.com/watch?v=t01Qsod_5-Q (au-delà de Matrix)
Objection recevable, même si je trouve l’exercice un poil trop généreusement partisan. Ceci dit lorsque l’on est en souffrance faut bien chatouiller les clivages. Pour le seul plaisir de te provoquer je te propose maintenant une relecture des scripts utilisés dans cet argumentaire en partant du postulat inverse, c’est à dire, Monsieur Anderson est la personne “genrée” qui “vit dans un rêve” et Néo le renaissant qui célèbre “le monde réel”, celui de son sexe biologique. Ca marche pareil il me semble. Le but ? Se demander la chose suivante: si ces tensions existentielles n’avaient pas été au coeur de l’oeuvre des soeurs, le film aurait-il était si bon ?
A la différence quand même que la transition et la réaction de la société sont des choses directement vécues et mises en scène ici sous forme de métaphore. L’idée d’un trans s’éveillant à son sexe biologique et combattu par la « société trans », à ma connaissance, ça n’existe pas. Inverser purement et simplement la perspective (même si j’ai bien compris le côté provoc’) est aussi inactuel que s’insurger contre le racisme « anti-blancs » ou la misandrie dans nos sociétés : ce sont des épiphénomènes par rapport au sujet structurel dont on parle, à mon sens, ici.
Le postulat de cet article n’est pas théorique, c’est quand même des situations réellement vécues par des milliers de personnes.
J’aime l’analyse sous ce prisme transgenre, elle a le mérite de nous ouvrir sur un monde trop peu connu.
Par contre, je pense qu’il y a un énorme biais de confirmation : quand on est focalisé sur une thématique, c’est très facile d’en voir des manifestations dans tout et n’importe quoi. Bon, en l’occurrence, l’histoire des réalisateurs est un contre-argument de poids.
Selon moi, Matrix est avant tout une mythologie, qui emprunte avec force brio à un capital narratif millénaire. C’est l’histoire d’une transformation, d’un élu, rien de neuf par rapport aux métamorphose d’Ovide ou à la mythologie grecque. Peut-on en conclure pour autant qu’Ovide était un héraut transgenre ? A méditer.
La force des classiques, c’est qu’ils résonnent dans le vécu de chacun.