Film post-apocalyptique contemporain, Lost River est une fable esthétisée sur la déchéance de l’Amérique, et la première incursion de Ryan Gosling (insupportable perfection) derrière la caméra. Pour être franc je suis allé voir ce film sans idée préconçue, sans grosse attente non plus. J’ai bien fait.
Ce qui frappe dès les premières scènes, c’est la filiation évidente entre le cinéma de Gosling et celui qui l’a fait connaître. L’image est très proche de Drive dans son esthétisation extrême, comme l’utilisation de l’électro planante à la Kavinsky et les ambiances colorées plein cadre. C’est très beau, très lent, et de plus en plus violent en fur et à mesure que s’égrainent les minutes. Les âmes sensibles en prendront pour leur grade.
Lost River donne à voir la destruction corps et âme des individus après la ruine de la civilisation. Il n’est jamais précisé si la décadence de cette Amérique en lambeaux est due à une crise économique surviolente, ou si celle-ci n’est que la conséquence d’une catastrophe plus grande (un hiver nucléaire par exemple). Et si le film ne condamne pas explicitement, un discours politique se laisse percevoir en creux dans la situation des personnages, notamment sur le pouvoir des banques vis-a-vis des familles pauvres et endettées.
Les protagonistes de Lost River sont contraints à l’absence totale de perspective d’avenir. La ville a été abandonnée de la plupart de ses habitants et n’est plus peuplée que par des spectres, des vagabonds et quelques engins de chantiers. De l’ailleurs on ne saura rien. Difficile de dire s’il est plus accueillant que la ville-fantôme et sa spirale de déchéance totale. Savoir si l’on se situe dans un décor contemporain où un futur sombre n’est finalement pas si primordial. Pour les habitants de Lost River, l’apocalypse à bien eu lieu et ils errent sans but ni avenir dans les ruines de leur rêve américain.
A sa manière, chacun des personnages incarne une réaction possible face à la chute du monde. Les adolescents essaient tant bien que mal de vivre leur jeunesse, la mère de famille se contraint à fréquenter les backrooms fétichistes d’un night-club glauquissime pour protéger sa maison de la destruction, les gangsters cherchent à régner par la terreur… Tous sont victimes de l’anéantissement de leur mode de vie, des victimes qui se comportent souvent en bourreaux les unes envers les autres.
C’est sans doute pour ça que les personnages de Lost River paraissent attachants et humains. Malgré le manichéisme un peu regrettable de l’histoire, on comprend que la « malédiction » du lieu pèse sur chacun d’eux et les entraîne dans une spirale de démence. L’apocalypse qui s’est abattu sur cette ville moyenne a entraîné ses habitants dans sa chute, c’est bien suffisant pour ne pas s’encombrer d’enjeux démesurés puisque la fin de leur monde provoque dans la psychée des personnages un cataclysme intime.
A la fois contemporain, post-apocalyptique et à la limite du fantastique, Lost River brouille les codes habituels du film de genre. Charge à chaque spectateur de décider ce qu’il souhaite comprendre de la situation, dont le niveau de suggestion en frustrera sans doute plus d’un. La description de l’univers est moins centrale que celle des personnages et, surtout, que l’ambiance. Une ambiance planante et dégradée, très dure psychologiquement.
Car malgré quelques répétitions dans sa manière de filmer (plans larges, travelling très lent, sujet en plein centre), Ryan Gosling signe là une pure oeuvre d’art visuelle et sonore. Les images sont globalement sublimes, et l’aspect très léché de l’ensemble relève d’un vrai travail sur l’esthétique de la destruction. On dirait un peu La Route, filmée comme Drive.
Heureusement, sans doute, cette esthétisation permet-elle de prendre un peu de distance avec le sujet traité en rappelant constamment sa nature filmique et donc irréelle. Le malaise provoqué par certaines scènes aurait été difficile à soutenir avec une mise en images plus réaliste. Cette violence est d’ailleurs bienvenue tant elle sert le propos du film sur la destruction corps et âme des individus après la fin. L’édulcorant aurait gâché la saveur de l’ensemble.
Bref, Lost River fut une bien belle découverte qui promet de possibles grandes choses dans la carrière de Ryan Gosling comme réalisateur. Chose amusante, ce qui sera vu par l’essentiel de la critique comme un « film d’auteur » plus que comme un « film de genre » (joie des étiquettes) s’inscrit pourtant dans le retour en grâce du post-apocalyptique au cinéma. La science-fiction sociale d’aujourd’hui est tiraillée entre le post-cyberpunk singulariste (optimiste) et le post-apo torturé (pessimiste). A l’heure où les crises successives frappent durement les pays occidentaux, l’Amérique paraît trembler sur ses chevilles d’argile, hantée plus que jamais par le démon de sa propre fin.
~ Antoine St. Epondyle
J’étais curieux de le voir celui-ci, non pas que Ryan Gosling soit pour moi un acteur percutant, j’avais plus envie de revoir la sublime Christina Hendricks. Eh bien il est très bien ce film, avec des influences que j’apprécie, certains diront que c’est du pompage d’atmosphère, mais pour un premier film, je sens plutôt le respect du jeunôt. A suivre en effet.
Ouep, on est d’accord. :)