Il est d’usage d’analyser Le jour où la Terre s’arrêta, classique de la SF américaine, comme l’un des rares films où les extraterrestres portent aux humains un message pacifique. Ce qui n’est pas tout à fait exact au regard du message porté, à la fin, par l’alien Klaatu. Dans le film (de 1951), Klaatu vient mettre en garde la population mondiale contre ses habitudes guerrières couplées à la domestication du nucléaire. Son message s’assortit d’une menace d’échelle globale : « vivez en paix on nous vous éradiquons ».
(En tirant sur la corde, on pourrait dire que l’anthropomorphisme total de Klaatu est peut-être une manière de métaphoriser le fait que la menace comme la mise en garde ne viennent pas des étoiles, mais de nous-mêmes. C’était surtout plus pratique, à l’époque, pour les costumes ; mais on a toujours le droit de post-analyser.)
En 2008, le remake du film avec Keanu Reeves change son fusil d’épaule. Ce n’est plus le nucléaire qui est vu comme un risque pour la sécurité de l’univers, mais la dévastation de l’environnement. Klaatu vient alors dire, en substance « si vous n’êtes pas capables de sauver votre planète, nous le ferons en vous éradiquant ». Pour le message de paix, on repassera.
Mais de qui émane, précisément, cette menace ?
Revenons à la version de 1951. A la fin du film, Klaatu s’exprime devant un parterre des plus grands cerveaux de l’humanité et expose la situation. Il présente Gort, son comparse robotique, comme un « policier » ne pouvant pas être stoppé et dont la mission est de préserver la paix entre les civilisations de l’univers… en détruisant totalement celles qui ne la respecteraient pas. Déjà, le modus operandi extrêmement punitif à de quoi faire frémir – et mettre la puce à l’oreille sur la nature de ce régime. Continuons.
Cette race de droïdes surpuissants (« capable de détruire la Terre ») est donc le bras armé auquel la société « parfaite » dont Klaatu est originaire semble déléguer toute violence, pour se débarrasser, faussement, du problème. A ce titre, la menace « vivez en paix ou nous vous éradiquons » doit être vue différemment. Le « nous » dont elle émane n’est pas la civilisation d’humains évolués (Klaatu) mais celle de robots-mâtons (Gort). C’est le contraire d’un message de paix : une menace doublée d’une injonction à la soumission à la force.
Klaatu n’est jamais intolérant ou agressif. Paternaliste, infantilisant, oui, mais pas agressif. Il se prend d’affection pour sa famille d’accueil à la pension, et Bobby en particulier. Quoiqu’il essaie de faire sa menace tout au long de sa présence sur Terre (après avoir recruté un public compétent pour l’entendre), la mise en scène ne lui permet de le faire – à la toute fin – qu’avec Gort cadré juste derrière son épaule. Et comme le robot ne parle pas, on aurait tort de croire à un hasard. Comme si c’était en fait Gort qui s’exprimait par Klaatu, ou l’utilisait pour proférer sa menace.
La société « idéale » dont il fait l’article sans jamais en dire du bien (« nous faisons… autrement ») n’a pour seul argument que de ne pas faire la guerre. Et cet argument à du poids, surtout dans l’Amérique des années 50, mais cette société est pourtant basée sur une privation de liberté. Y compris de la liberté fondamentale de se défendre, comme le noterait probablement Elsa Dorlin auteure de Se Défendre, une philosophie de la violence.
On peut donc voir Le jour où la Terre s’arrêta comme l’histoire d’un otage venu faire l’article du bourreau de son peuple. Klaatu est fragile, il meurt au premier coup de feu, Gort est indestructible et surpuissant. Par ailleurs, c’est lui qui donne à Klaatu l’ensemble de ses pouvoirs technologiques. La soucoupe est à lui, Gort. Le peuple de Klaatu vit sous le régime de paix imposée par les robots-flics, et c’est encore Gort qui a le pouvoir de ramener Klaatu à la vie. Une phrase liminaire de ce dernier, après sa résurrection, peut d’ailleurs être doublement interprétée. Lorsqu’il dit : « nul ne sait combien de temps [je vivrai grâce à cette machine] » c’est peut-être que la machine n’a qu’un effet limité, ou peut-être qu’il veut dire que Gort à pouvoir de vie et de mort sur lui.
La nouvelle de Harry Battes dont le film est tiré, Farewell to the Master, apporte un élément nouveau dans cette idée. Je cite Wikipédia :
Gnut [Gort] s’apprête à retourner dans son monde. Cliff supplie le robot de dire à son maître que la mort de Klaatu n’était qu’un malheureux accident, à quoi Gnut répond : « Vous avez mal compris. Je suis le maître. »
Le twist de la nouvelle, c’est que le robot est le maître et pas le serviteur. Le film ne le dit pas, mais ne dit pas le contraire non plus. Ce même robot dont le heaume et le corps métallique d’un bloc (il est tout d’un bloc, inoxydable, indivisible, comme l’inflexibilité toute robotique avec laquelle il accomplit sa mission) inspire l’aïeul Tête d’Acier dans La Caste des Métas-Barons et – surtout – de Robocop avec lequel il partage la fonction à l’échelle cosmique : celle d’une machine totalitaire entendant remplir sa mission de « protection de la paix » en étendant son pouvoir. En disant aux hommes d’abandonner leurs velléités guerrières et leurs probables souhaits d’expansion futures vers les étoiles, il se fait lui-même le messager d’un esprit de conquête et d’asservissement par la force, sous couvert d’apporter une société idéale dont, finalement, on ne sait rien. Pourtant l’humanité des années 1950 n’est d’aucune menace pour eux, ni celle de 2017 d’ailleurs, tant sa « conquête de l’espace » est embryonnaire. Soumettre un peuple qui ne peut pas se défendre n’est pas une mesure de protection ou d’autodéfense, c’est une conquête par la force, c’est faire rentrer dans son giron des gens qui ne peuvent pas l’éviter. C’est une colonisation.
Colonisation d’autant plus violente qu’elle ne menace pas les installations spatiales (qu’elle serait en mesure de bloquer vue sa toute-puissance technologique), mais la planète toute entière. Pour inciter l’humanité à céder à sa menace, Klaatu ne donne aucun argument positif, n’évoque pas les beautés de sa civilisation basée sur la paix perpétuelle, mais se contente de faire preuve de sa force de frappe en abolissant toute technique pendant 30 minutes (électricité, mécanique…) pour terroriser la population et la rendre réceptive. Cet usage de la peur carrément totalitaire révèle que – si Klaatu est prisonnier de la race machinique créée par sa civilisation – l’humanité des années 50 est également dépendante à la technique.
A notre époque tellement technophile, Le jour où la Terre s’arrêta peut-être vu comme un peu plus que le petit bijou rétro et proto-spielberg qu’il est. Derrière son message original, usant trop du Deus Ex Machina pour être réellement pacifiste, le film peut laisser entrevoir un message sur la domination de la machine sur l’homme. Le fameux « jour où la Terre s’arrêta » qui donne son titre au film est le jour de la panne. La Terre, c’est à dire l’humanité par métonymie, s’arrête à cause de ses pannes de machines ; comme dans le Ravage de Barjavel et une bonne partie de la littérature apocalyptique et post-apocalyptique. L’humanité est entièrement dépendante de son usage de la technique. Précurseur de générations d’IA et de machines science-fictionnelles déclarant la guerre à l’humanité, Le jour où la Terre s’arrêta vient tempérer les ardeurs d’une société technophile – et adresse à son époque un avertissement contre le nucléaire, certes, mais aussi contre la soumission de l’homme à la machine de manière générale.
~ Antoine St. Epondyle
Du coup, la question que je me pose, c’est: qu’est ce qu’une guerre? Quand est ce que c’est « juste un affrontement » qui n’attirerait pas l’attention de nos Maîtres Robots? Est ce qu’une Guerre des Gangs suffit? Une Guerre des Prix? Ou le simple fait d’avoir un fada qui prendrait un vaisseau et attaquerait une autre planète nous damnerait tous?
Faut être précis, avec les robots -_-
Je crois surtout que les ricains des années 50 se voyaient déjà en train de coloniser l’espace à échéance 10 ou 15 ans. D’où l’avertissement de leur « Klaatu », qui en fait est un peu prématuré quand on voit où nous en sommes niveau conquête spatiale… 60 ans après.
Oh oui, tout à fait. Mais tu connais mon souci de la définition exacte.
Si nous avions ne serait-ce qu’une bonne éruption solaire, qui plongerait nos appareils électroniques dans la panne, ce serait un remake de ce coup de la panne ^^
Sachant qu’aujourd’hui, les flux bancaires passent aussi par internet, on bloque entièrement l’économie planétaire… Dangereux, si dangereux.
Et si tentant :p