A l’occasion de la sortie du nouvel album de Mathieu Bablet, Carbone & Silicium, j’ai eu l’immense plaisir et honneur d’animer la soirée de lancement du 28 août 2020, au Mans. Mathieu et moi-même y avons discuté, dans la magnifique salle de la Visitation, de son ouvrage post-cyberpunk et post-humaniste.
Une discussion référencée et hyper intéressante, qui permet une bonne approche de l’oeuvre, de ses références et de ses thématiques. Mathieu Bablet y éclaire sa réflexion et son travail autour de Carbone & Silicium… une suite presque directe des questionnements (et des réponses, surtout) esquissés dans Shangri-La.
Conçu comme un voyage initiatique à travers l’impuissance d’une génération à changer le monde, Carbone & Silicium marque, à mon avis, un tournant dans l’œuvre de l’auteur et une pierre blanche dans la science-fiction française d’aujourd’hui. Kaboum.
Un grand merci à Charlotte Raimond (Ankama) et Louise Rossignol pour m’avoir donné l’opportunité de mener ce très bel événement. A Samuel de la Librairie Bulle pour son accueil mémorable et à Mathieu pour ses réponses et sa bienveillance.
Cyberpunk’s not dead.
~ Antoine St. Epondyle
A toutes fins utiles, voici mon guide d’interview tel que je l’avais sous les yeux pendant l’événement :
Interview de Mathieu Bablet
Présentation de l’album : une œuvre cyberpunk mais au-delà du rétrofuturisme des années 80, en prise avec les enjeux et constats actuels car la SF parle avant tout du présent.
Références et genre cyberpunk
Une œuvre référencée, qui cite ses sources et en joue.
Peux-tu nous parler de tes références principales ? (thématiquement, graphiquement)
Le genre cyberpunk est souvent assimilé et réduit aux années 80 qui croyaient encore (un peu) aux rêves de la robotique, de la conquête spatiale, du transhumanisme. Le cyberpunk c’est aussi l’innovation technologique sans le progrès. Dans Carbone & Silicium tu fais dire à Carbone « Il faut redéfinir la notion de progrès ».
Comment t’es-tu approprié ce genre bien particulier, et pourquoi ?
Haute technologie vs. déshérence de l’humanité. Singularité technologique et robotique sensible. Anticipation politique qui parle du présent et de nous. Postcyberpunk : l’espoir malgré tout ?
Robots, nos alter-égos
Créés pour « de mauvaises raisons » les robots sont supposés palier à notre déficit d’empathie. Ils font vite l’expérience de la liberté et doivent inventer le sens de leur vie.
Quel à été l’avantage de mettre en scène des robots comme personnages principaux ?
Peux-tu nous parler du thème de l’héritage qui revient tant dans Shangri-La que dans Carbone & Silicium ?
« Intelligents et sensibles » : ils peuvent nouer des liens, développer une relation de binôme et développer une forte empathie. Tes robots sont paradoxalement très humains.
Être « intelligent et sensible », est-ce la malédiction de l’humanité ?
Carbone et Silicium ont un rapport au corps très différent. Leur enveloppe à forme humaine est à la fois le véhicule de leurs émotions et identités… et une limite à dépasser.
Parle-nous de la fluidité du corps de Carbone, et de l’attachement au sien de Silicium ?
Science-fiction politique
Les positionnements politiques affleurent partout dans l’album. Ils révèlent, presque en creux, tes constats amers sur « l’échec de l’humanité ». (Cause animale, racisme, sexisme, échec social, violence omniprésente et veuleries humaines égotiques.)
L’humanité n’est plus le pinacle vers lequel devraient tendre les robots, mais un échec à ne pas reproduire ? (Posthumanisme)
Tes personnages sont complexes, en friction, souvent en désaccord. La fin elle-même est ambiguë et ouverte. Il n’y a pas de solution proposée mais des points de vue différents qui s’opposent et/ou se complètent.
Parle-nous de cette ambivalence (que l’on trouvait déjà dans Shangri-La).
Entre Carbone et Silicium, deux rapports au monde qui s’opposent et/ou se complètent. La friction des points de vue est féconde.
La solitude comme échappatoire (Silicium) versus le collectif comme fondement d’un monde à soi (Carbone). L’intellect pragmatique versus le désir émotionnel. La sédentarité versus le nomadisme. Vie physique versus vie dématérialisée, pur esprit.
Partages-tu plutôt le point de vue de Carbone « La sagesse et l’intelligence ne peuvent être que collectives » ou celui de Silicium le voyageur solitaire ?
Collapse !
Plus d’avion, plus de tourisme, guerre civile en Europe… effondrements successifs ou glissements vers autre chose ? Peu à peu les artefacts de la modernité disparaissent et l’on bricole avec ses restes. L’aéroport symbolise ce glissement d’un lieu central vers un désert qui viendra à être ré-habité.
« Quels mondes laisseront-nous à nos enfants » pourrait être une question soulevée par l’album ?
Tu cherches un grand écart permanent, saut temporel après saut temporel, pour donner à voir de nombreux « collapses ». Parallèlement la nature revient et les paysages naturels époustouflants
Faut-il que l’humain disparaisse pour rendre sa beauté au monde ?
Comment as-tu géré graphiquement le grand écart entre paysages urbains fous et les décors naturels d’Uyuni, d’Alaska etc. ?
Mélancolie du futur versus rétrofutur
Une œuvre sensible, romantique, qui met les affects des personnages au centre de l’histoire. Non-militarisée (rareté en SF).
Pourquoi préférer les sensibilités des personnages plutôt qu’un « plot twist » à la Shangri-La?
Le futur est un monde à explorer, on ne le connait pas en avance (contrairement au rétrofuturisme), du Chili à l’Inde, des glaciers aux déserts, les charniers ouvrent toujours sur des décors sublimes. Les constats sont durs mais ils ouvrent toujours sur un après, beau et nouveau.
Thème de la mélancolie, ou traitement mélancolique du futur. Faut-il regretter les « monde d’avant » ?
La beauté du monde qui renaît, est-elle un antidote aux horreurs du présent ?
- Trailer de l’album
- Mon article sur Carbone & Silicium, paru le même jour dans Usbek & Rica.