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[Rage, rage against the dying of the light.]
Je suis allé voir Interstellar, le dernier long-métrage de Christopher Nolan. Après les succès mondiaux de ses films précédents, Inception et surtout la trilogie Dark Knight, on peut supposer que le réalisateur avait les mains libres pour nous servir exactement le film qu’il voulait. En l’occurrence, une histoire de conquête spatiale.
Les explorations interstellaires font partie des mythes forts de l’Amérique. Elles rappellent la conquête de l’Ouest, et c’est également l’une des armes qui lui permit de vaincre son avant-dernier grand ennemi, le bloc de l’Est. Personnellement, je n’ai jamais été très emballé par les histoires de ce type tant les distances, les durées, les échelles nous dépassent. A ce titre, j’adore la vision lovecraftienne de l’espace : ce qu’il y a là-haut nous dépassera toujours, l’humanité n’a pas d’avenir. Sauf que voilà, l’ami Nolan a une autre vision des choses. Il est de ses hommes qui rêvent de grandes découvertes, et qui voient dans la conquête des étoiles le futur de l’humanité. Alors… pourquoi pas ?
La situation initiale d’Interstellar part d’un constat d’échec : l’humanité a foutu en l’air la planète Terre. Le jardin d’Eden est devenu un désert, les récoltes meurent et la population souffre de la famine. L’état de la planète toute entière est suggéré, évoqué par tous les personnages conscients de vivre sur un monde devenu inhospitalier. Le film ne s’appesantit pas sur les causes de cette dégradation, suggérant par là même une réalité actuelle incontestable, qu’il n’est pas nécessaire de justifier. Les convois de réfugiés prennent les routes, mais aucun ailleurs terrestre n’est plus pérenne. On pourrait parfaitement considérer que la Terre agonisante d’Interstellar est la même que celle de La Route, des années avant. L’ambiance de base est pesante, l’avenir est mort. La famille de Cooper, figure classique de l’ancien-héros contraint de revenir au charbon pour sauver le monde, subit le triste sort de vivre au milieu de champs à perte de vue tout en sachant que c’est insuffisant. Le vent permanent est chargé de sable, chaque année la situation est pire que la précédente, rendant la fin du monde bien plus crédible que dans un énième scénario catastrophe, sans être moins violente pour autant.
La suggestion initiale de l’univers, comme les voyages spatiaux de la suite et leurs multiples rebondissements, sont servis par une mise en scène ultrapuissante et une musique grandiose et dramatique composée par Hans Zimmer. La scène des adieux (et ce compte à rebours !), m’a fait plus que frémir.
Nolan a toujours été bon pédagogue. Presque tous ces films réussissent le tour de force d’intégrer de vraies séquences d’approfondissement, quasiment d’explication, à une narration tantôt nerveuse, épique ou dramatique. Bref, l’ami Christopher est coutumier des films intelligents, aux intrigues parfois labyrinthiques. Interstellar ne fait pas exception à la règle, en abordant frontalement la vulgarisation scientifique, et mettant en scène des chercheurs sans tomber dans les clichés du nerd ridicule ou du savant fou, courants à Hollywood. Si le discours scientifique semble un peu léger pour être véridique, il fait pourtant illusion même si ses applications concrètes dans le film paraissent parfois un peu trop faciles. Sur le sujet, je suis partisan d’un peu de magnanimité, comme un « Ta Gueule C’est Technologique » adressé aux fanatiques hard-SF et aux empêcheurs de rêver en l’air. La relativité temporelle est utilisée comme un ressort dramatique à part entière, amenant des ficelles de scénario et des enjeux intéressants (cryogénisation, temps relatif…) qui, malheureusement, fonctionnent plus ou moins.
Car la limite absolue d’Interstellar est cette confusion des échelles. La recherche scientifique, les voyages spatiaux, prennent du temps. Le film le sait, et pose justement les problèmes causés par le décalage entre les différents écoulement temporels. Comment espérer revoir ses enfants lorsqu’une heure passée sur une planète lointaine équivaut à vingt ans sur Terre ? Mais voilà, Interstellar se force à vouloir jouer sur deux tableaux inconciliables : la réalité scientifique, le destin de l’espèce, la durée des missions spatiales d’un côté ; et la vie du héros, son héroïsme et sa promesse de retour de l’autre. En bout de course, pour tenir ses promesses le film n’a plus d’autre choix que de recourir à un Deus Ex Machina (les humains du futur veillent sur nous), pour recoller les morceaux d’une double happy-end complètement improbable. C’était l’une des forces de Gravity, avec lequel Interstellar force la comparaison, que de proposer un scénario de survie très dépouillé -simpliste diront certains- pour rester cohérent avec la réalité temporelle des voyages spatiaux. Heureusement quand même, Interstellar évite de tomber pas dans le limon galactico-créationniste où patauge déjà Prometheus.

L’écueil aurait pu être mieux géré en abandonnant l’omniprésente figure du héros qui fait quasiment tout le boulot du début à la fin, et en déléguant certaines avancées scénaristiques à sa fille Murph’ et ses coéquipiers terriens ou pas. Les acteurs du film font un boulot admirable, à commencer par Matthew McConaughey, qui à le double mérite d’être un bon acteur et de ne pas être Christian Bale, héros nolanien classique. Mention spéciale aux deux personnages féminins, fort bien incarnées par Anne Hathaway et Jessica Chastain, qui évitent les personnages de potiches stéréotypées. L’intensité des relations entre les personnages, sans romance déplacée et hors-sujet, est d’ailleurs spécialement rafraîchissante.
Dans Interstellar, Christopher Nolan réussit encore une fois un tour de force narratif. Celui de faire concilier aussi bien que possible des temporalités incompatibles, celle de la vie humaine (héroïque, dramatique) et de la survie de l’espèce dans les étoiles (long terme). Prendre un parti clair entre les deux aurait été se condamner soit un énième film héroïque plein de bullshit scientifique jusqu’aux yeux, soit à une chronique au long cours sans empathie pour les personnages, comme le (chiantissime) Cycle de Fondation d’Isaac Asimov.
Malgré tout, Interstellar reste un film de science-fiction grandiose qui m’a pris aux tripes dès le départ en s’emparant du thème on ne peut plus actuel de la crise écologique ; et en réhabilitant -dans la fiction- le rêve de la conquête spatiale. Dans son apogée galactique, je regrette le formalisme un peu froid de l’esthétique nolanienne, et la vaine tentative de représenter l’irreprésentable de manière cohérente, là où un délire jodorowsko-lovecraftien sous LSD aurait apporté une touche esthétique, philosophique et psychédélique très à propos. C’est au prix de ces quelques facilités scénaristiques et d’une fin franchement moyenne, que le pari est réussi. Car oui, c’est vraiment réussi.
-Saint Epondyle-
Un bon film en effet, que je n’ai malheureusement pas pu apprécier à sa juste valeur tellement on me l’avait spoilé de toutes parts. C’est vrai que les points forts sont les acteurs, l’ambiance pré-apo, et l’absence de clichés sociologiques ou romantiques, ça fait du bien. Le rythme est haletant, les images sublimes, la musique exceptionnelle, et certaines scènes extrêmement prenantes et poétiques, comme le raccrochage entre Endurance et le ranger en rotation au-dessus de la planète glacée.
Par ailleurs, à part la relativité du temps qui sert de suport scénaristique, la cohérence scientifique est vrament laissée de côté. Non pas que ce soit un défaut, mais du moins n’accusons pas le film d’être trop rationaliste, car en terme de délire jodorowsko-lovecraftien sous LSD, je ne vois pas ce qu’il te faut de plus, au regard de la dernière demi-heure de film…
Enfin, l’énorme et impardonnable défaut du film, c’est d’expliquer tout le mystère du film par la seule et unique force de l’Amour, apogée de la niaiserie absolue. Et le happy end est extrêmement mal venu, comme un bon coup de hache dans cette pseudo-cohérence de façade en carton que défend le film depuis le début.
Bah non justement, le délire de fin n’en est pas un, c’est justement très expliqué, par l’Amour, niaiserie. J’aurai apprécié une fin complètement craquée comme celle de certains mangas (RG Veda) ou BD de SF des années 70 (De Bilal ou Jodorowsky notamment), très indicibles. Ou encore du néo-lovecraftien avec une conclusion moins univoque. Un décor en 5D-transformé-en-3D ne suffit pas vraiment. Surtout avec un tel Deus Ex Machina.
Ce qu’il m’aurait fallu de plus, c’est une fin avec des triangles noirs et blanc sur fond de peinture abstraite, et des sons discordants. Et en moins, la cucuterie finale du héros partant retrouver sa douce, et revoyant sa fille pile au moment de sa mort. Ce genre de choses.
Il n’empèche, c’est un bon film, qui pèche peut-être par excès de grand-publicisme. #Snobisme