~ Toutes les illustrations sont utilisées avec accord de l’auteur et de l’éditeur. ~

Vous le savez : j’écris actuellement une analyse de La Horde du Contrevent (making-of). Pour mener à bien cette quête, je pars à la rencontre de celles et ceux qui font vivre La Horde dans leurs propres univers artistiques.

Eric-Henninot
Eric Henninot, photo de Laurent Galandon.

Après avoir rencontré les fous de la Compagnie IF, et leur projet d’adaptation du roman en performance musicale, mes pas me menèrent à la rencontre d’Eric Henninot, auteur et dessinateur de l’adaptation en BD du roman d’Alain Damasio (tome 1 à paraître en 2017). Nous discutâmes de longues heures autour de cette question qui me hante : « Comment adapter La Horde ? »

Un échange fécond et porteur de sens, que voici.

Genèse du projet

Saint Epondyle « Tu travailles en ce moment sur l’adaptation en BD de La Horde du Contrevent. Peux-tu me parler de la genèse du projet ?

Eric Henninot Tout commence lorsqu’un pote me prête le roman en me disant « lis ce livre c’est incroyable », et même si c’est un peu banal de dire ça, ça a été un vrai choc pour moi. Une découverte à l’égale de Dune ou d’Hypérion en SF.

Quelques temps plus tard, je rencontre Alain Damasio à Paris, avec Mathias Echenay son éditeur de La Volte. Alain avait regardé mon travail sur XIII Mystery, et il me dit quelque-chose comme « Tu es pro, c’est sûr, mais je ne vois pas ton style sur La Horde. Le roman porte sur l’ouvert, et ton style est trop fermé. » Et c’était vrai ! A l’époque mon dessin était encore très laborieux et il me fallait beaucoup de temps et d’efforts pour réaliser la moindre case. J’avais besoin d’un crayonné très travaillé avant de passer à l’encrage, ce qui a tendance à le rendre un peu figé. Alain l’a vu à juste titre. Mais j’avais vraiment envie d’aller vers un trait plus ouvert, jeté, et j’étais persuadé de pouvoir faire un truc vraiment bien sur La Horde.

Il m’a finalement recontacté et proposé de rencontrer les gens de Forge Animation qui s’occupaient de l’adaptation de La Horde en film à l’époque [projet abandonné depuis, NdStEp]. Avant de les rencontrer, j’ai passé une semaine ou deux à faire des des croquis pour débroussailler un peu les recherches graphiques, fin 2011, et ces croquis ont beaucoup plu à Alain.

Travailler avec Forge aurait eu pas mal d’avantages. Ils proposaient au départ de me salarier (ce qui n’est pas anodin, vivre de la BD est difficile), et ils garantissaient une certaine liberté de création. Enfin le fait de travailler en équipe permettait de créer une synergie entre le film, le jeu vidéo et la BD. Bref de faire un vrai univers transmédia en s’inspirant mutuellement. Je n’avais jamais fait ça, donc c’était tentant.

Durant toute cette période, Alain et moi avons appris à nous connaître et au fil de mes dessins il semblait de plus en plus convaincu par mon travail. Je voulais également écrire le scénario moi-même, mais comme je ne l’avais jamais fait Alain m’a proposé de travailler avec un co-scénariste. Bref, les choses avançaient. Jusqu’au jour où une proposition de résidence à Bordeaux est arrivée dans ma boîte mail, à laquelle j’ai présenté le projet de La Horde. J’ai eu la chance que mon projet soit sélectionné et j’ai obtenu une bourse du CNL qui m’a permis de passer deux mois, fin 2012,  à écrire une première version du tome 1 de la BD. Alain n’a pas pu la lire tout de suite car il travaillait sur le scénario du film.

Dans les faits, et même si nous étions tous d’accord sur le principe de travailler ensemble avec Forge Animation, la question des contrats semblait très problématique et ça a beaucoup tiré en longueur, pas loin de deux ans. De mon côté, j’arrivais aux dernières pages de Fils du Soleil (mon projet précédent) et je devais penser à l’avenir, j’avais d’autres projets en tête et je ne pouvais plus me permettre d’attendre. A ce moment là, je pensais vraiment que le projet était mort malgré le temps et l’énergie que j’y avais déjà consacré. En tout cas, de mon côté, j’ai décidé de partir sur autre chose et d’en informer Alain et Mathias.

Peu de temps après, Mathias me rappelle et me dit qu’Alain et lui veulent vraiment que je fasse la BD. Ils me proposent alors de la faire indépendamment du film. Avec leur aval, j’ai alors pu monter le projet et le présenter à des éditeurs, qui se sont montrés intéressés.

Finalement j’ai signé chez Delcout avec David Chauvel, qui est éditeur indépendant chez eux (un statut un peu spécial). Il est scénariste également, ce qui était très important pour moi étant donné que c’était la première fois que je montais un projet en solo.

Horde du Contrevent BD
La Horde du contrevent, adapté par Eric Henninot. Couleurs de Gaétan Georges.
D’après l’ouvrage de Alain Damasio © La Volte, 2004. © Editions Delcourt, 2017.

Adapter La Horde

 ///  Attention, vous entrez dans une zone de spoiler intensif /// 

Tu parlais précédemment de ta vision personnelle de La Horde. Tu m’en dis plus ?

Eric Henninot Ce n’est pas une forcément vision graphique, dans le sens où en lisant le livre j’aurais eu une « vision » du livre, comme des images qui auraient défilées dans ma tête à mesure de ma lecture. La production d’images est un processus très particulier où, d’une certaine manière, je découvre l’image en la faisant. C’est un ping-pong un peu bizarre, en feedback permanent entre ce que je créé et ce que j’en pense. J’oriente donc mon travail au fur et à mesure.

Par exemple, c’est très difficile de créer les personnages, leurs visages, leur allure. Je n’ai aucune idée de ce à quoi ils sont censés ressembler dans le roman qui fait plutôt sentir leur manière de parler et de penser, sans s’arrêter à leur allure physique. Dans le cas de Sov par exemple, je voulais qu’il ait un rapport très fort à l’encre, à la calligraphie, du fait de son rôle de scribe. Sa coupe de cheveux traduit cette idée, avec une nette frontière en noir et blanc. Son costume également, qui comporte un trait de pinceau associé à son sigle : une parenthèse fermée ) qui évoque la Horde entière puisqu’elle avance en déformant le vent par sa percussion. C’est aussi une voile de chair humaine, ou une silhouette d’homme sur l’horizon.

Au cours de mes recherches graphiques j’ai fini par aboutir à des formes qui me semblaient adaptées a cet univers. Des formes également que j’aurais envie de dessiner pendant cinq ou six ans de travail ! J’ai besoin d’avoir envie de faire ce que je fais, c’est fondamental. Les paysages désertiques par exemple, ces grands espaces que traverse la Horde, me permettaient de saisir une envie graphique que j’avais depuis longtemps. Mes tout premiers dessins représentaient ce genre de paysages, j’y vois une sorte de retour aux origines.

Oui car même si c’est une adaptation, un tel projet est foncièrement personnel (je m’en rends compte en écrivant ma propre analyse du roman). Y-a-t-il des thèmes qui te tiennent spécialement à cœur ?

Eric Henninot Je ne veux rien délaisser car je me sens vraiment en résonance avec ce livre. Même si j’aurais été bien incapable de le faire (je ne suis pas écrivain), j’aurais vraiment aimé pouvoir l’écrire.

Des thèmes centraux de l’histoire, je retiens surtout la vitalité car même s’il y a beaucoup de choses morbides, il y a énormément de vie qui se dégage de tout ça. Pour moi, le vent est l’adversaire qui tue et qui ensemence en même temps (il y a toute une mythologie autour des graines portées par le vent). Il sculpte et il créé, mais être en vie c’est lutter contre ce qu’il porte de mort à chaque instant.

Le vent c’est aussi le mouvement, la création, donc la vie ! Les hordiers sont « faits de l’étoffe dont sont tissés les vents ». Mort et vie sont contenus dans cet élément fondamental. 

Eric Henninot Oui, et cette ambivalence participe à la complexité du bouquin. C’est extrêmement vivant, et c’est loin d’être binaire ou simpliste comme un banal duel entre le bien et le mal.

Au début, je me disais que ces types étaient des ascètes, qui s’imposent une vie de fous furieux, de souffrance, le nez collé aux godasses du type de devant, tirés par un Golgoth complètement intraitable. En gros se sont des enfants soldats dressés par cet « Hordre » réactionnaire dont on ignore les motivations. Ils sont dressés à la compétition les uns contre les autres pour espérer obtenir une place dans la Horde, ce qui équivaut à passer sa vie à marcher en quête d’une hypothétique source du vent.

C’est pour moi une image de la quête de transcendance : chacun à son idée mythique de l’Extrême Amont, se raconte des histoires etc. C’est « l’au delà ». Mais Pietro reconnaît à un moment que finalement le but final importe peu et qu’il veut avant tout être avec eux, sa famille, pour partager les épreuves de la vie. Pour moi cette quête de l’Extrême-Amont est une quête religieuse : on cherche un au-delà. « Dieu », si tu veux.

(Et en même temps, comme le dit Larco à un autre moment, c’est d’une crétinerie absolue que cette recherche d’une source dont on n’a aucune raison de croire qu’on l’atteindra un jour.)

Au long du roman, les imaginaires des uns et des autres se confrontent. Ils imaginent le bout du monde à leur façon : des géants de pierre, la « proue du navire », le jardin d’Eden… d’autres rien du tout. En gros c’est le duel entre les idéalistes et les matérialistes.

Eric Henninot On imagine toujours un au-delà. L’après-Norska est déjà un au-delà, puisqu’il est au-delà du monde connu. Il n’y a jamais que Caracole qui dit « le vent ne vient de nul part, ne va nul part, il passe ». C’est peut-être bien le seul représentant des matérialistes dans la Horde.

D’ailleurs Caracole ne dit que la vérité tout le long. Mais les autres prennent ça pour des contes ou des blagues.

Eric Henninot C’est d’une beauté extraordinaire ! Il te donne la fin dès le début. Il n’y a pas d’Extrême-Amont. Et en même temps quand tu arrives au dernier chapitre, tu y es quand même. Il y a quelque-chose, et en même temps rien. C’est absolument génial.

C’est un retour à l’immanence : ils reviennent au point de départ, car il n’y a rien en dehors du monde. Il n’y a pas d’arrière-monde, pas de Dieu, pas de proue du navire ou de jardin d’Eden, juste une falaise de merde qui te renvoie au point de départ.

C’est une image de la vie : tout le monde sait comment ça finit et ça n’est pas intéressant en soi. Le but n’est pas le bout, c’est ce qu’il y a entre le départ et l’arrivée.

Eric Henninot Je suis d’accord mais pas uniquement. Car cette quête, cette vitalité, même si elle se paie d’une vie de souffrance et de morts horribles, donne ça : à la fin tu sais. Tu reviens au point de départ, mais en sachant que ça fait le tour, tu as grandi.

J’ai pas mal discuté avec Alain de la neuvième forme du vent, que je n’étais pas sûr d’avoir bien comprise. En fait la neuvième c’est le changement, la transformation.

Sov, que j’ai pris comme personnage principal de la BD, vit par le lien et pour le lien. Si on le sortait de la Horde, si elle n’existait plus, il en mourrait. Il est dépendant au lien, et son épreuve finale sera d’affronter la solitude. C’est sa neuvième forme à lui.

Dans la BD comme dans le roman, le parcours de Sov le mènera à affronter cette solitude. La transformation ultime passe par cette acceptation. Les autres n’arrivent pas à se métamorphoser comme lui le fait. Golgoth, arrivé au bout, ne peut pas le concevoir. Il persévère quitte à en mourir.

Horde du Contrevent BD
La Horde du contrevent, adapté par Eric Henninot.
D’après l’ouvrage de Alain Damasio © La Volte, 2004. © Editions Delcourt, 2017

Ça me semble lié aux « métamorphoses de l’esprit » de Nietzsche. D’abord tu agis par devoir (chameau) puis par volonté (lion) puis en créant (enfant). C’est fondamental dans La Horde ; on retrouve cette idée partout.

Golgoth, arrivant au bout, accomplit sa troisième métamorphose. Ainsi que Oroshi et Sov, mais seul ce dernier arrive à y survivre. Oroshi meurt en donnant la vie (ou en nourrissant son enfant, plutôt), c’est une création qui accomplit sa quête personnelle de connaissance. Golgoth créé physiquement « une terre sous [s]es pas » pour reprendre les termes de Caracole. Ils meurent de leur métamorphose mais l’accomplissent quand même. Sov, lui, n’en meurt pas et accède à une forme de renaissance.

Eric Henninot C’est très intéressant ce que tu dis là, et je ne le voyais pas comme ça. Ça me fait voir les choses sous un autre jour en effet.

Dans la BD, je me concentre sur la métamorphose de Sov.

Mon interprétation de la neuvième est que si tu n’es pas capable de changer, d’accepter de changer, elle te tuera. Sov parvient à conquérir son individualité en vivant seul, car les autres vivent à travers lui, comme nos morts continuent de nous inspirer.

Avec ce héros principal, tu dois adapter l’histoire non ?

Eric Henninot Alain m’a dit dès le départ qu’il fallait que je m’approprie son livre. Pour lui, il y a évidemment bien plus qu’une histoire dans ce roman – et l’histoire qu’on raconterait telle quelle ne fonctionnerait pas en BD. Dans la BD, tu dois réinventer la dramaturgie du roman, des personnages, des obstacles, un objectif… Je ne voulais pas partir vers une œuvre trop abstraite ou conceptuelle.

J’ai donc choisi le personnage de Sov, avec ses problématiques propres, que j’ai re-dramatisées pour créer un arc narratif global pour l’ensemble de la série, mais aussi de plus petits pour chaque album, comme des étapes successives de son évolution intérieure. Et ce jusqu’à la fin. Même si Alain me dit que le roman raconte l’histoire de la horde entière, en polyphonie, je voulais raconter celle de Sov. Pour moi, c’était une évidence.

L’invention principale d’Alain Damasio est la polyphonie, dans laquelle le monde ne t’est pas monologué mais apporté par des points de vue variés. Dans La Horde le lecteur devient une sorte de vingt-quatrième hordier, qui « circule » entre les personnages et forme lui-même son propre point de vue.

En BD, la polyphonie me semble forcément compromise : tu es obligé de voir le personnage de l’extérieur, avec ce qu’il dit à côté de lui. En roman ce ne sont que des lignes à la suite les unes des autres, du texte en tous cas, sans hiérarchie ni différence de texture entre un dialogue, une description, ou les pensées d’un personnage par exemple. En BD on a nécessairement une différence de nature entre un dessin et le contenu  d’une bulle. Et puis… tu ne peux pas dire « je » en BD, tu dois représenter le personnage à la troisième personne.

Eric Henninot Oui ce sont deux choses très différentes que la BD et le roman ! C’était d’ailleurs une vraie question que d’adapter un roman sublime, qui n’avait pas forcément besoin qu’on y amène quoi que ce soit. A quoi bon faire cette adaptation, à part céder égoïstement à mon envie de plonger dans cet univers ?

Bon, déjà je ne suis pas contre le plaisir donc me régaler sur un projet comme ça, ça m’allait bien. Je suis en bonne compagnie dans la Horde, aucun ennui. Mais au cours de l’écriture, je me suis rendu compte que j’étais en train d’en faire autre chose, à force de bosser dessus on finit par s’approprier tellement tout, les personnages, l’univers, qu’on se convainc soi-même que ça vient de nous ! Petit à petit le projet se transforme et ça devient un truc vraiment différent, avec une identité propre. D’autant qu’Alain m’encourage à m’approprier le roman et de le mettre à ma sauce pour ne pas en faire une simple retranscription qui n’aurait aucun intérêt.

La Horde contient tout un travail poétique et philosophique sur le texte. L’auteur y fait un parallèle entre le mouvement (= la vie = le vent) et l’acte d’écrire. Dans l’univers de la Horde, le monde entier émerge du vent, ainsi que les gens qui le peuplent, autant qu’ils émergent du texte puisque c’est une œuvre littéraire. Il y a un rapprochement entre le flux du vent, et le flux du texte qu’on lit de gauche à droite. Tout n’est que variation du mouvement, retranscrit sur des pages comme les personnages écrivent les formes du vent dans leur carnet. La forme est le fond. Tout est lié.

Question casse-gueule donc : comment articuler ce travail avec une séparation en cases, blanc, bulles et toute la hiérarchie des espaces qui segmentent de fait le récit en BD ?

Eric Henninot La littérature, celle d’Alain en particulier, est question de rythme. Le dessin aussi. Des espaces vides ou pleins, du noir ou du blanc, du rythme en permanence même s’il est agencé différemment que dans un roman. Dans une page de BD, on circule comme dans une œuvre littéraire : de gauche à droite et de haut en bas. Mais il existe d’autres circulations de lecture, plus rapides, globales et zigzagantes. La circulation de l’œil saisit en un instant des données très complexes et simultanées sur la page entière.

Mes préoccupations en bande dessinée ne peuvent qu’être fondamentalement différentes de celles d’Alain dans son roman. Il a les lettres, les sons, les mots qui ont un impact sonore et rythmique dont il joue. Je passe aussi par les sons avec dialogues et onomatopées. Mais je passe aussi par les yeux avec le dessin. Autant de matières différentes : la bulle, l’espace entre les cases ou la case dessinée n’ont pas le même statut dans la lecture. Le noir, le blanc, la couleur et jusqu’au texte créent une sorte de grille optique dans la page et induisent un rythme de lecture dont je joue.

Ta vision littéraire du statut du texte par rapport au monde qu’il décrit peut aussi bien exister en BD. Simplement le résultat sera forcément différent.

Ma « caméra mentale », c’est-à-dire mon point de vue, est posée selon ce que je cherche à dire à un instant donné. C’est comme au cinéma, finalement. Selon que je veuille m’approcher des émotions d’un personnage ou faire comprendre l’action qui se déroule, j’y parviens en utilisant la lumière, le clair-obscur, le cadrage…

Celui-ci ne peut pas être neutre, d’autant que l’œil aime les ruptures de rythme et les variations. Mais on peut aussi travailler l’effet inverse si l’on veut transmettre une forme de monotonie ou d’ennui. Comme Alain n’utilise pas les « que », les « peu », les « teu » (les « plosives » comme il dit) de la même manière que les « èles » et autres « èmes », j’influence le lecteur en usant de mes propres outils (nuances, équilibre entre blanc et noir, cadrages…).

La construction d’images est un langage qui influence les gens, même s’ils n’en ont pas forcément conscience. On peut faire passer des choses fortes, si on en connait le fonctionnement. C’est très utilisé dans la pub, en politique… Tu éprouves l’image sans forcément connaître les concepts sous-jacents en sémiologie. L’image produit du sens, de la sensation.

Mais comment peux-tu donner une forme graphique aux concepts philosophiques qui sont transposés presque tel quels dans le roman ? Les chrones, typiquement ?

Eric Henninot Les chrones sont décrits : ce sont des sortes d’œufs oblongs qui traversent le monde en flottant sans être influencés par la vitesse du vent, avec leur propre dynamique. Aucun problème en termes de dessin : j’ai dessiné des œufs.

Ton style de dessin me fait un peu penser à Mœbius, c’est à dire à une tradition de BD franco-belge de science-fiction un peu old-school et low-tech. Tu nous parle de tes influences ?

Eric Henninot J’appartiens à une école graphique à laquelle peuvent être apparentés Robin Recht, Alex Alice ou Mathieu Lauffray par exemple. Mais – comme eux – j’ai des influences tellement variées que c’est difficile de te répondre. Il y a des japonais que je trouve extraordinaires, mais aussi des américains, des argentins, des français, et tous dans des styles très variés. Je pense que mon dessin est le résultat d’envie, d’influences et de mélanges très divers et aussi de choses que je ne maîtrise absolument pas. Je trouve ma voie et mes solutions en fonction de mes goût, dégoûts, et envies diverses. Je peux bien-sûr être aussi attiré par des choses sans aucun rapport avec moi : le côté synthétique de Mignola par exemple est extraordinaire mais je me sens incapable d’exprimer ce que je veux avec ce type de dessin.

Tu cites Mœbius, évidemment ça ne peut que me flatter ; mais toute l’école franco-belge réaliste me plait énormément. J’ai les Blueberry en noir et blanc grand format à l’atelier, quand j’ai besoin d’un canyon pour La Horde, bien sûr que je vais voir les grands canyons de Blueberry ! Mais je regarde aussi beaucoup Hermann et Rossi qui sont pour moi de très grands auteurs.

Ceci dit l’univers de La Horde est plus fantastique, onirique, que l’école réaliste. Le dessin me fascine parce qu’il peut rendre vraisemblable un truc qui ne l’est pas, qui n’existe pas. J’ai fait un peu de jeu de rôle quand j’étais ado et j’ai été fasciné par les dessins d’Angus McBride qui illustraient les livres de règles du Seigneur des Anneaux. C’était bien avant les films. Je trouvais absolument génial la capacité de ce type à matérialiser des orques, des elfes, tout un tas de choses qui n’existent pas mais auxquels il donnait une vie, un corps et qui, du coup, existaient.

Mes outils sont proches de l’écriture : des lignes noires sur un fond blanc. Malgré cette économie de moyens, des feuilles blanches et des crayons, on peut recréer des univers entiers. C’est le pouvoir des illustrateurs… et les écrivains font la même chose avec les vingt-six lettres de l’alphabet. »

***

~ Propos recueillis par Antoine St. Epondyle
Un très grand merci à toi, Eric, pour ta disponibilité et ta passion communicative !
Merci également à David et aux éditions Delcourt pour les autorisations sur les images.

Bande-annonce de Delcourt :

Quelques croquis préparatoires 

Et une dédicace de Golgoth :

Vous en voulez plus ? Index des adaptations de La Horde ; index des interviews.

12 Commentaires

  1. […] Adapter La Horde du Contrevent en BD (discussion avec Eric Henninot) | Cosmo [†] Orbüs. ~ Toutes les illustrations sont utilisées avec accord de l’auteur et de l’éditeur. ~ Vous le savez : j’écris actuellement une analyse de La Horde du Contrevent (making-of). Pour mener à bien cette quête, je pars à la rencontre de celles et ceux qui font vivre La Horde dans leurs propres univers artistiques. Eric Henninot, photo de Laurent Galandon. Après avoir rencontré les fous de la Compagnie IF, et leur projet d’adaptation du roman en performance musicale, mes pas me menèrent à la rencontre d’Eric Henninot, auteur et dessinateur de l’adaptation en BD du roman d’Alain Damasio (tome 1 à paraître en 2017). […]

  2. Pas aux miennes. Mais ça donne carrément envie quand même !

    Interview très intéressantes, du coup, je suis d’autant plus curieux de voir le résultat.

    Concernant le poly-point de vue, je ne suis pas d’accord sur le fait qu’une bande-dessinée ne peut avoir qu’un point de vue extérieur ! Sans parler du fait qu’il est possible (mais ni simple, ni forcément agréable) de vraiment avoir des cases comme vue par un personnage, il est possible de montrer graphiquement ce point de vue.
    J’en veux pour preuve Sparrow, le tome 1 de l’arc Keys to the Kingdom de Locke & Key. Au début, je n’ai pas compris pourquoi d’une page à l’autre, le graphisme changeait, un coup le classique assez sérieux, un coup un trait beaucoup plus enfantin, et des situations plus loufoques. Puis le tilt: dans le 2e cas, c’était le point de vue du plus jeune des 3 héros, à qui le côté sinistre de la situation échappe encore souvent.
    On pourrait donc avoir un dessin plus brut du point de vue de Golgot, des personnages tirant vers leur incarnation (un bloc de pierre pour Golgoth, un personnage éthéré pour Caracole) du point de vue d’Oroshi), des personnages idéalisés du point de vue du Prince, ec.

    On est d’accord que ça demanderait un boulot de dingue rien qu’avec 4 personnages :D !

    Sur le côté graphique, y a tellement de moyen de sortir de la mise en page classique des successions de cases carrées… J’avais écrit un article sur le sujet, d’ailleurs. Et dans un univers où la vitesse à une telle importance, casser la mise en page classique devient… Vitale :p.

    • Yop ! Merci pour l’enrichissement. :)
      J’ai cru comprendre que Eric ne recherchai pas – ici – à produire un récit trop expérimental. Clairement il y aurait moyen, mais ça n’est pas sa démarche qui est beaucoup plus narrative, et sans doute aussi plus classique.

  3. Je l’achèterai dès que possible, mais j’espère que le correcteur passera par là avant impression. « Restés groupés » fait saigner les yeux.

  4. Les Editions Delcourt sont une maison sérieuse et je suis un éditeur sérieux. Tout visuel diffusé avant l’impression du livre est un visuel non corrigé, donc oui, bien sûr, le correcteur ou la correctrice passera par là. Même si personne n’est jamais à l’abri d’une erreur ou d’un oubli.

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