L’histoire du cyberpunk (dans les jeux vidéo), Raphaël Lucas

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Histoire du cyberpunk
La couverture aux éditions Pix’n’Love.

L’histoire du cyberpunk est un mook de Raphaël Lucas, très richement illustré et édité par les prolixes éditions Pix’n’love ; spécialisées dans les bouquins sur l’histoire et la culture du jeu vidéo.

Ce que le titre ne dit que partiellement, c’est qu’il s’agit moins ici de brosser l’histoire du cyberpunk en tant que courant ou sous-culture que comme genre spécifiquement vidéoludique. Les origines littéraires sont abordées brièvement, mais c’est essentiellement de jeux vidéo dont il est ici question. En toile de fond cette analogie : le cyberpunk serait un « Roll’in Russell » dont les mouvements de yoyo traverseraient les décennies depuis l’origine ; chaque ascension ou descente donnant lieu à de nouvelles façons et raisons d’aborder le sujet.

50 nuances de cyberespaces

Véritable encyclopédie des jeux vidéo cyberpunk (et pas forcément les plus connus ou récents), L’histoire du cyberpunk retrace des décennies d’innovation technique et thématiques, des premières tentatives expérimentales aux superproductions AAA que sont Deus Ex ou Cyberpunk 2077. L’auteur y rappelle que le genre doit énormément aux travaux de Timothy Leary sur le LSD dans les années 60 ; et que la sous-culture informatique californienne d’alors appartenait à un bain contre-culturel proche du mouvement hippie et de ses promesses de transcendance des corps et des esprits. La drogue, les mystiques indiennes et les mondes informatiques pouvant alors être vues comme autant de moyens (éventuellement complémentaires) de tutoyer des sphères de conscience supérieures. L’influence de Leary, en tous cas, fut d’une importance capitale tant dans la promotion du LSD que dans la cyberculture naissante.

Dès lors, de nombreux concepteurs de jeux vidéo s’inspirèrent de ses travaux pour donner aux joueurs la possibilité d’arpenter les « cyberespaces » de leurs univers cyberpunk inspirés de William Gibson, notamment, à la croisée entre les limitations techniques (très fortes) et les trips psychédéliques de l’époque.

Il y a un sens à placer son regard sur les pionniers du jeu vidéo, et sur leur manière d’imaginer des gameplays successifs comme autant de supports à leurs visions d’auteurs cyberpunk. Comme Gary Gygax à peu près à la même époque avec Donjons & Dragons, les précurseurs du jeu vidéo placèrent les bases de ce qui, encore aujourd’hui, participe des fondations des univers, esthétiques et thématiques cyberpunk.

Anciennes nouvelles frontières

Si L’histoire du cyberpunk reste essentiellement campée sur sa focale ludique, il n’en tire pas moins des ponts avec le monde du cinéma et de la littérature, essentiels pour comprendre comment une esthétique de science-fiction dystopique s’est à ce point diffusée avant de se trouver réduite à son volet esthétique (caricatural) et dépolitisée.

Car il faut bien comprendre que le jeu vidéo des années 70 à 80 n’avait rien à voir avec le monde qu’il est devenu aujourd’hui. Il y avait sans doute quelque-chose de subversif, ou au moins d’exploratoire à faire du jeu vidéo et à défendre cette culture naissante dans les années d’origine. Il y avait un intérêt à le faire en utilisant des univers cyberpunk, en parallèle évident avec l’invention accélerationniste de ces nouvelles formes d’expression numérique. Parce qu’ils défrichaient ce que « jeu vidéo » pouvait vouloir dire à une époque où tout était à inventer, et parce qu’ils le faisaient de manière marginale et foncièrement novatrice sans savoir qu’ils étaient à l’aube d’une révolution culturelle mondiale, ces concepteurs relevaient déjà d’une démarche proprement cyberpunk. Les représentations variées du cyberespace qu’ils imaginèrent, comme une frontière à dépasser ou des univers à inventer, témoignent de cette idée dans les efforts et la créativité des équipes de l’époque.

En comparaison, les productions d’aujourd’hui ont gagné en variété, en perfection de gameplay et en qualités esthétiques ce qu’elles ont perdu en force rebelle et visionnaire. Le cyberpunk vidéoludique est devenu un genre rétrofuturiste comme un autre dont Cyberpunk 2077 s’annonce comme une énième déclinaison : gameplay de pointe pour univers-synthèse sans grande innovation.

Reste que le genre cyberpunk aura nourri le jeu vidéo et s’en sera nourri en retour ; permettant la création de jeux totalement nouveaux et fondateurs. Des jeux dont les logiques cyberpunk forment le noyau central (hacking, modifications corporelle, exploration urbaine, connexion…), logiques qui furent réappropriées à chaque génération pour en accompagner les possibilités. Charge aux développeurs d’aujourd’hui de s’en inspirer pour écrire la suite d’un genre éternellement mort-vivant, comme un Roll’in Russel dont chaque ascension fulgurante serait suivi d’une chute. Celle d’un ancien monde incapable de se résoudre à tomber sans tenter un rebond.

~ Antoine St. Epondyle

2 Commentaires

  1. Si je suis d’accord avec l’article, je n’enterrerais pas si vite Cyberpunk 2077 ! Par le passé, le studio CD Projekt a réussi The Witcher non seulement grâce à leur qualité d’exécution, mais aussi grâce à leur matériel créatif : la saga livresque du même nom, à l’univers non manichéen et aux racines culturelles polonaises (aux antipodes des superhéros américains). Cette fois CD Projekt a eu l’intelligence de s’appuyer sur le jeu de rôle Cyberpunk 2020, à l’univers complexe fortement inspiré par The Neuromancer, Blade Runner, Mad Max, Ghost in the Shell, Matrix… Les joueurs qui n’ont jamais entendu parler de William Gibson ou de Philip K. Dick pourront ressentir ce que ça fait d’être un pion/esclave/nomade dans un monde consumériste dirigé par les mégacorporations. Et peut-être s’interroger sur les valeurs et les modes d’organisation qui régissent notre monde ?

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