Snowpiercer, Le Transperceneige

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Peut-être un peu par esprit de contradiction, alors que tous les fans de SF n’avaient d’yeux que pour Gravity, je me suis précipité vers un film autrement plus confidentiel. Snowpiercer, le Transperceneige (설국열차) est un film coréen adapté de la série dessinée éponyme. Et s’il avait retenu mon attention en particulier, c’est qu’il a été produit par le fabuleux Park Chan-Wook et réalisé par son compatriote coréen Bong Joon-Ho.

Ce sont donc ces préjugés positifs qui m’ont incités à me pencher sur le sujet. Le Transperceneige, est à la base une bande-dessinée classique, de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette. Écrite dans les années 1980, c’est un classique de SF post-apocalyptique française, qu’a ma courte honte je ne connaissais pas.

Pour faire court, Snowpiercer est une parfaite alchimie entre des thèmes classiques du genre, des idées très inventives et un traitement sans accroc. L’histoire est la suivante.

Après avoir provoqué une nouvelle ère glaciaire en luttant contre le réchauffement de la planète (échec critique), les survivants de l’humanité ont trouvé refuge dans un train. Le Transperceneige est une machine autonome qui roule à toute allure autour du globe depuis près de vingt ans. S’arrêter, c’est geler sur place.

Relégués dans la cale à l’arrière du train, les déshérités souffrent de pénurie alimentaire et de surpopulation pendant que les nantis de l’avant vivent dans l’opulence. Ils décident donc de mener une révolte pour prendre le contrôle de la machine.

Le film réutilise des thèmes classiques de la SF post-apocalyptique dans un contexte original. Le premier de ces thèmes est représenté par l’organisation des survivants, basée sur une stricte ségrégation qui entraîne une lutte des classes implacable, un équilibre précaire que chacun se doit de respecter pour le bien commun. Autre thème récurrent : la dépense des hommes pour la machine. Le train occupe une place centrale dans le film, comme une prison et la seule planche de salut de l’humanité. Cette double fonction du Transperceneige lui donne une dimension supérieure : il est un monde tout entier, hiérarchisé de l’avant à l’arrière.

Malgré son scénario très manichéen et son récit aussi linaire que le train lui-même, Snowpiercer se distingue sur plusieurs niveaux. Les nombreux revirements de situation et la fin ouverte autant que surprenante méritent vraiment le coup d’oeil. Dans un genre où les scénarios capillotractés à l’extrême et les rebondissements imprévisibles sont la tradition, Le Transperceneige ne fait pas honte à ses ancêtres avec plusieurs pistes de réflexion sur la suite des événements et sur le vrai rôle de certains personnages. D’une certaine manière, la linéarité de la progression des personnages rappelle La Horde du Contrevent, dans un genre différent car résolument cinématographique.

Car en effet Snowpiercer est un film, un vrai. L’équilibre entre le récit, l’image et la musique est parfait, Bong Joon-Ho joue de l’histoire pour innover visuellement afin de rendre le film totalement haletant. Bon sang que c’est bien filmé ! Les scènes de combat sont très violentes physiquement comme psychologiquement, et ne laissent pas indemnes les personnages. Leurs hésitations et questionnements sont très bien amenés, la pression monte de plus en plus jusqu’à un dénouement final qui réussit tout de même à nous surprendre. Sans doute que la bande-dessinée originale joue un rôle déterminant à ce niveau d’ailleurs, comme dans le portrait des différents personnages.

Ces derniers sont incarnés avec prestance par des acteurs d’origines variées. Bien que le rôle principal soit tenu par un Chris Evans assez peu enthousiasmant, l’acteur me semble moins en cause que l’écriture trop basique de son personnage. Heureusement, quelques révélations viennent étoffer sur la fin le portrait de ce bogoss un peu standard. Malgré tout, je lui préfère Jamie Bell dans le rôle d’Edgar le petit nerveux, et plus encore Song Kang-Ho et Ko Ah-Seong en duo père/fille vraiment original.

Sans aller jusqu’à prétendre que Snowpiercer est un film choral, il faut remarquer que la place donnée aux rôles secondaires est à la fois plus importante et plus honnête que dans de nombreux films. Originalité supplémentaire, les acteurs incarnent un échantillon d’humanité relativement représentatif, qui nous change des poncifs habituels et fait l’effet d’un vrai bol d’air pur. Pour parachever cette démarche, on aurait apprécié que les rôles principaux soient donnés à d’autres que des américains, mais j’imagine que le film aurait alors perdu ses arguments commerciaux pour l’exportation.

Car voyez-vous, il faut vendre. Telle est malheureusement la logique basique qui est la cause de la standardisation du cinéma mondial. Heureusement, certaines productions intelligentes et innovantes comme Snowpiercer arrivent jusqu’à nous avec un budget serré et un réalisateur coréen. Une preuve de plus qu’a l’ombre des superproductions indigestes peuvent pousser de petits mets savoureux à souhait, comme une recette classique adaptée aux saveurs d’un lointain ailleurs.

~ Antoine St. Epondyle

6 Commentaires

  1. Un film remarquable en de nombreux points.
    J’ajoute une grande performance de Tilda Swinton méconnaissable et remarquable dans le rôle de la conseillère Mason. Un personnage cartonnesque et très ambigue.

    • La BD et le film n’ont pas du tout le même scénario, et même pas de personnage en commun. C’est déroutant, mais a mon sens la BD vaut le coût et permet aussi de se sensibiliser au roman graphique de SF français des années 80, au scénario complètement imprévisible et aux idées très typiques de la période (comme pour La Caste des Métabarons par exemple).
      Rien que ça, c’est intéressant.

  2. Très bon film en effet ! Le duo père/fille coréen est génial ! Le dénouement final ne m’a pas semblé si original que ça, ou disons m’a semblé très similaire, dans la forme plus que dans le fond en tout cas, à celui de films tels Truman Show ou Matrix. Je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler, mais la figure de W n’est pas vraiment une première dans le cinéma.

    • Similaire à Truman Show ou Matrix dans le fait de laisser ouvert surement, mais les « péripéties » pour y arriver m’ont paru assez inattendues.
      En semi-spoilant je dirai que je m’attendais à une fin cyclique, vue le personnage justement assez connu de Wilford (qui n’est pas sans rappeler l’Architecte de Matrix 2, et qui accessoirement n’existe pas dans la BD).

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