« One day the AIs are going to look back on us the same way we look at fossil skeletons on the plains of Africa. »
Dans un monde saturé de blockbusters pseudo SF, les bonnes surprises viennent souvent des moyennes productions plus confidentielles. On trouve souvent à la marge des films plus intéressants car moins standardisés que les grosses machines d’Hollywood. Ce fut le cas du petit Ex Machina, un bon film de robot aussi sympathique que discret, sorti dernièrement au cinéma.
Les robots ont la cote. Entre Chappie, Real Humans, Terminator et Her, chacun y va de sa propre vision de la Singularité : ce moment de bascule où la machine s’émanciperait de son créateur pour atteindre un stade supérieur, ouvrant la voie à l’ère post-humaine. Il faut dire que le sujet mérite largement qu’on s’y arrête tant il est dans l’air du temps. Les recherches actuelles des entreprises de la Silicon Valley et l’essor de la philosophie transhumaniste placent le sujet on ne peut plus au cœur de l’actualité. Je me suis déjà étendu là dessus.
Ex Machina aborde le sujet sous un angle assez réaliste, et met en scène un chercheur milliardaire à la tête d’un Google à peine déguisé, BlueBook, cherchant à réaliser un test de Turing. Ce test rappelons-le, est supposé permettre de reconnaître une véritable intelligence artificielle d’un simple ordinateur, grâce à des séances de dialogues avec une personne réelle. Nathan, PDG à la cool tendance hipster mégalomane, organise donc une loterie parmi les employés de sa multinationale pour choisir celui qui jouera le rôle de l’élément humain.
Sur ce pitch de base Ex Machina tisse une histoire intelligente et plus palpitante que prévu. Les rebondissements sont intéressants et la fin n’est pas celle -un peu facile- à laquelle je m’étais attendu. Le scénario se permet même de jouer avec les attentes du spectateur initié aux clichés de la science-fiction classique. Attention spoiler. Au départ, je croyais vraiment que Caleb était un robot, testé par Nathan lui aussi. Mais la scène où lui-même doute de sa propre humanité met en abyme les clichés habituels de la SF psychologique tout en apportant une tension très violente. En réalité il est bien humain, et la surprise porte ailleurs. /spoiler. Tous les rebondissements sont efficaces et questionnent la nature robotique sous un angle actualisé par rapport aux classiques. Asimov, si tu m’entends…
Ex Machina est un huis-clos psychologique entre quatre personnages, qui pourrait aussi bien être une pièce de théâtre. Les nombreux échanges entre Caleb, Nathan et Ava, structurent un récit souligné par une mise en scène soignée et des effets spéciaux discrets mais réussis. Entre mensonges et objectifs inavoués, la discussion prend volontiers un tour philosophique alors que descend le niveau des bouteilles de vodka. Cette ambiance intimiste permet d’entrer pleinement dans le dialogue très référencé, parfois doctoral des personnages. Dialogue qui attaque frontalement les questions essentielles autour d’Ava, la femme-robot, sans excès de fausse science ni de TGCT (Ta Gueule C’est Technologique). A l’occasion, le film lâche même une petite saillie sur la toute-puissance du contrôle de BlueBook et évoque les excès possibles du Big Data, sans prendre le pas sur l’intrigue.
Le thème central du robot, personnifié par Ava, est abordé de manière largement psychologique et sensible. Toute la question étant de savoir si la machine peut ressentir, où si elle se contente de mimer le sentiment. La technologie occupe une place très secondaire (où détournée), puisqu’elle représente Ava comme un bijou de technologie extrêmement fragile, ce qui tranche radicalement avec la grosse majorité des androïdes de fiction. Oubliées les IA surpuissantes telles Skynet où le chercheur digitalisé de Transcendance, capable d’assimiler l’Internet et de l’utiliser pour se défendre en quelques minutes. Ex Machina se concentre sur la prouesse numérique qui consiste à atteindre un niveau comparable au cerveau humain. Plus réaliste, fragile, sensible et donc attachante, Ava interroge d’autant plus notre rapport au cyborg qu’elle semble, justement, particulièrement humaine.
Si le sujet comme l’esthétique d’Ex Machina sont un peu attendus dans leur genre, l’exercice est maîtrisé tant sur le fond que sur la forme. Avec son petit nombre de personnages, le film évite de tomber dans le sensationnalisme et le manichéisme qui tente trop souvent les cinéastes de SF. Les relations des personnages, et leurs évolutions, sont particulièrement crédibles. Des révélations successives, bien dosées et passablement glauques permettent une vraie montée en puissance de la tension dramatique sans tomber dans la facilité. La conclusion qui en découle est parfaitement logique dans ce qu’elle a de dérangeante, et valide vraiment les partis-pris scénaristiques de l’ensemble.
Malgré tout, Ex Machina reste dans la zone de confort du film de robot bien foutu, intelligent, mais pas foncièrement nouveau. Une lacune de scénario ou une faiblesse d’écriture aurait d’ailleurs été impardonnable dans une histoire entièrement centrée dessus. Ce film est finalement assez typique des projets de son auteur. Alex Garland, scénariste de plusieurs bons films d’univers hautement geek, signe ici un exercice de style qui interprète le thème de la Singularité technologique à sa propre sauce comme il le fit dans 28 jours plus tard pour le film de zombies et Dredd pour le (moins cérébral) film de justicier. Sensible, intelligent et beau, son premier passage derrière la caméra n’est peut-être pas très original, mais il est indiscutablement réussi.
-Saint Epondyle-
Je l’ai regardé un peu par hasard et j’ai été très agréablement surprise ! Un petit bijou très bien foutu et presque reposant par rapport aux productions SF actuelles :)
Tout à fait de ton avis. Un bon film de robot avec de la réflexion, qui avec Chappie de Neil Blomkamp fait le haut du panier en SF cette année.
Chappie, que j’ai vu pas plus tard qu’hier soir… et j’ai complètement craqué, j’en veux un <3
Moins reposant, pour le coup, mais très fun… enfin, c'est assez curieux : par certains aspects, on dirait presque un film pour enfants, mais quand ça devient violent c'est carrément hard (j'ai été pas mal choquée, je m'y attendais pas – enfin, pas à ça). Mais le plus violent reste la coupe de cheveux de Hugh Jackman qui m'a donné envie de vomir pendant tout le film x)
Mais ouais, sinon, vraiment conquise. En plus, je m'attendais à chialer à la fin vu comme c'était parti et… même pas :)
Ouep, j’en ai parlé là. Du coup j’attends le Alien du même réalisateur. Ça peut promettre, mais rien n’est gagné !
Egalement une agréable surprise pour moi, les acteurs sont tout à fait corrects, et cette relation humain/ machine est bien amenée. Chappie par contre, je me suis vraiment ennuyé, même s’il est correct et que j’aime le réalisateur pour sa vision du proche futur.
Très bon film ! Je ne vois pas pourquoi tu termines en disant qu’il reste dans la zone de confort du film de robot par contre. Chappie est bien plus consensuel dans son genre, avec une bonne dose d’explosions inutiles pour faire une bande-annonce tape-à-l’oeil. Après je n’ai peut-être pas l’habitude des films de robots, mais par rapports au mainstreams et canons du genre, je trouve justement que c’est un film très original jusqu’à la fin.
De tête – car mon souvenir du film date un peu – c’est que Chappie et Ex Machina ne sont pas dans la même cour. Chappie est original dans sa mise en scène et ses thèmes pour un blockbuster d’action (ou entre autre d’action). Ex Machina moins par rapport aux films de robots intimistes et cérébraux, des séries comme Real Humans ou Her qui vont plus loin dans les questions soulevées.
Mais oui, j’en ai un bon souvenir.