☠️ Qui veut la mort de la démocratie (en science-fiction) ?

0
32

Bonne année ! Bonne santé ! Aujourd’hui dans Planète B, nous parlons avec Hugues Robert et Clémence Gueidan des risques qui pèsent sur nos vieilles démocraties… dans la science-fiction. Ou comment l’imaginaire s’attaque aux régimes politiques et à leurs turpitudes.

C’est dans l’air du temps.

Au programme de cet épisode :

  • Asimov, une fois n’est pas coutume
  • Les Dépossédés d’Ursula K. Le Guin, dont je en raffole pas et j’ai l’impression d’être le seul
  • Mille milliards de corpos cyberpunk malfaisantes
  • Monsieur Mardi-Gras Descendres que j’ai enfin réussi à caser

Texte intégral ci-dessous !

PLANÈTE B : SOMMAIRE DES ÉPISODES

Introduction

Depuis 2006, The Economist établit chaque année son Indice de démocratie, qui analyse 165 pays sur la base de 60 critères permettant de les classer en démocratie à part entière, démocratie imparfaite, régime hybride et régime autoritaire. Depuis vingt ans, les pays scandinaves, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande et la Suisse trustent les premières places de ce classement, tandis que l’Afghanistan, la Corée du Nord, la Birmanie, la Syrie et le Turkménistan semblent régulièrement abonnées aux dernières places.

Mais le fait marquant ces dernières années, rejoignant sans doute d’une manière presque objective notre perception à toutes et tous, c’est la baisse globale de l’indice de démocratie dans son ensemble. Entre les pays où la « démocratie à part entière » a glissé vers des formes plus ou moins hypocrites d’ordo-libéralisme (suivez mon regard vers le traitement français des manifestations démocratiques depuis dix ans, par exemple), ceux où le pouvoir judiciarise à outrance son traitement des oppositions, ceux où la libre circulation des biens l’emporte plus ou moins définitivement sur celle des personnes, il semble bien que l’autoritarisme s’est aisément glissé, sous divers prétextes, dans le nid douillet de la démocratie.

Entre violences policières bien réelles, régulièrement dénoncées un peu partout, et étouffement jamais vu depuis 1945 de la presse authentiquement indépendante, mécanismes institutionnels conduisant à des blocages également rarement vus dans le passé (surtout après des dissolutions que l’on peut, en restant poli, qualifier d’hasardeuses, pour le moins), ou émergence de figures outrancières parfaitement droites dans leurs bottes pour réduire les libertés qui ne leur conviennent pas (et là, bien sûr, la figure de Donald Trump semble s’imposer nettement devant toutes les autres), la démocratie semble parfois bien mal embarquée, voire à bout de souffle.

Une question est alors tentante : la démocratie est-elle donc devenue obsolète (et même, puisque l’on parlait de complotisme dans Planète B il y a quelques semaines, d’une obsolescence programmée) ? Une fois de plus, nous allons nous tourner vers la science-fiction, récente ou un peu plus ancienne, non pas pour prédire quoi que ce soit de notre futur, mais pour mieux appréhender notre « ici et maintenant » – et agir sur lui le cas échéant.

L’Âge d’Or

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la science-fiction dite de l’Âge d’Or (dont on se demande parfois un peu pourquoi on persiste à vouloir l’appeler comme ça…) ne s’est pas beaucoup foulée lorsqu’il s’agissait d’imaginer des formes de gouvernement – et moins encore d’en examiner les détails de fonctionnement. Et cela, même lorsqu’il s’agissait de civilisations résolument extra-terrestres.

Au-delà même d’un anthropomorphisme politique parfois difficile à dépasser (et en admettant que ce n’était sans doute pas leur propos principal), les œuvres des années 1930, 1940, 1950 et 1960 pullulent de républiques dotées de constitutions ressemblant furieusement à celle des Etats-Unis d’Amérique, de royaumes tout droit décalqués du Moyen-Âge européen (avec des variations éventuelles du côté de l’Antiquité ou de la Renaissance), de dictatures parfaitement totalitaires renvoyant le nazisme ou le stalinisme au rang d’aimables bluettes, et bien sûr, d’empires où Rome et Byzance se seraient rajeunies en absorbant des doses massives d’impérialisme réputé bienveillant – puisqu’américain ?.

Même des monuments longuement célébrés, à l’époque et depuis lors, comme la série initiale des « Fondation » d’Isaac Asimov, le « Starship Troopers » de Robert Heinlein (bien avant sa réjouissante lecture parodique par Paul Verhoeven) ou la kyrielle de romans dopés aux humains surhumains conçus par Alfred E. Van Vogt ne s’écartent guère de ces motifs pour le moins convenus : la spéculation politique sur la forme du gouvernement n’est sans doute pas leur priorité, et leur imagination s’exerce certainement dans d’autres domaines. Et l’on pourrait bien sûr longuement gloser sur les formes politiques ultra-simplifiées (pour ne pas dire simplistes) adoptées longtemps par la saga Star Wars, qui avait de toute façon d’emblée une trentaine d’années de retard sur ce que la science-fiction littéraire était capable de produire. Mais il y a désormais sur ce plan des choses intéressantes dans les derniers développements du monstre, on en parlera sûrement tôt ou tard dans Planète B.

Pourtant, dans ce flot impétueux de clichés gouvernementaux ayant coulé pendant plus de trente ans, d’heureuses exceptions existent et peuvent titiller notre curiosité.

On notera ainsi Philip K. Dick et sa « Loterie solaire » de 1955 : reprenant sous une forme joliment vicieuse le thème de la « Loterie à Babylone » de l’Argentin Jorge Luis Borges, en 1944, il imagine savoureusement la part du tirage au sort et du hasard, orienté ou non, dans la désignation des gouvernants, renouant ainsi, en mode tragi-comique, avec une modalité citoyenne que plusieurs républiques du passé plus ou moins lointain (ou même fort proche, si l’on en croit certaines récentes « grandes conventions citoyennes » néanmoins peu suivies d’effets) ont bien utilisé, parfois plus souvent qu’on ne le croit généralement.

Cyril Kornbluth et Frederik Pohl s’étaient emparé des études marketing et de la publicité dans leur « Planète à gogos » de x, qui constituait bien une forme hilarante de réflexion sur le dévoiement de la démocratie par l’argent fou de la consommation capitaliste).

Une nouvelle de 1955, « A voté », sous la plume d’Isaac Asimov lui-même (comme quoi !), s’emparait, elle, de la manie des sondages et de ce dont c’était déjà le nom, nouvelle dont Clémence va maintenant vous parler.

Logique statisticienne, modèles prédictifs et démocratie, par Clémence Gueidan

Imaginez que vous êtes désigné pour représenter à vous seul tout l’électorat de votre pays. Grosse pression hein ! Comment est-ce que vous avez été choisi ? Par un superordinateur, évidemment. C’est ce qui arrive à Norman Muller dans la nouvelle A voté, publiée en 1955.

Dans ce court récit futuriste – on est en 2008 – Isaac Asimov imagine une société où la démocratie est « optimisée » à l’extrême par un superordinateur, MULTIVAC, archi calé en statistiques. “Multivac soupèse toutes sortes de facteurs connus, des milliards de facteurs.” À vrai dire, “[il] possède déjà la plupart des renseignements dont [il] a besoin pour régler les élections, tant nationales que communales.”

Et la démocratie dans tout ça ? On vous l’a dit, MULTIVAC est très fort.

“On peut amener n’importe quel Américain à Multivac pour faire examiner la tendance générale de son esprit et, d’après cette tendance, évaluer celle de tous les autres habitants du pays.” En fait, Multivac “comprend vos sentiments mieux que vous ne les comprenez vous-même.”

Grâce à sa puissance prédictive, le superordinateur est donc capable de déterminer le résultat de l’élection à partir d’un seul et unique vote. Pratique non ? Plus besoin de convoquer des millions de citoyens pour voter. Plus besoin de campagnes électorales. Plus besoin de compter et recompter les voix pour chaque candidat. Une “amélioration” de la démocratie finalement.

En poussant à l’extrême cette logique statisticienne, Asimov fait ressortir toute l’absurdité d’un système qui se présente comme le nec plus ultra en terme de démocratie mais a réduit l’ensemble du corps électoral à son expression la plus minimale : un échantillon de un, dont on se demande de quoi il peut encore être représentatif.

Au passage, il soulève des questions tout à fait contemporaines : quelle est l’influence des technologies sur le processus démocratique ? Et quid du libre arbitre des électrices et électeurs face aux modèles mathématiques et statistiques ?

La science hors fiction s’intéresse depuis longtemps à l’influence potentielle des sondages électoraux sur le résultat des votes. En d’autres termes, est-ce que l’avalanche de sondages donnant tel ou tel candidat gagnant ne risque pas de déboucher sur une prophétie auto-réalisatrice ? Bilan peu concluant : beaucoup d’études ont été menées mais elles ne parviennent pas à mettre en évidence des effets significatifs.

Dans la SF en revanche, la statistique prédictive, est un sujet particulièrement fécond. Par exemple, si je vous parle d’une science dont le but est de prévoir l’Histoire en combinant psychologie, sociologie, modèles mathématiques et analyses statistiques complexes, ça vous dit quelque chose ? Bingo ! C’est la psychohistoire, développée par Asimov, encore lui, dans le Cycle de Fondation. Un concept qui sert de base narrative pour explorer la prédiction sociale à grande échelle, en opposant déterminisme historique et libre arbitre individuel.

Oui mais voilà, dans ce cas précis, la réalité se rapproche doucement de la fiction. Aujourd’hui, il existe une vraie discipline qui analyse les cycles historiques et les dynamiques sociales grâce à des modèles mathématiques. Son petit nom, c’est la cliodynamique. Son objectif : comprendre les grandes tendances des sociétés humaines, et pourquoi pas, anticiper leurs crises futures.

À plus petite échelle, forcément, on pense à Minority Report. Ici, les précogs dépeints par Philip K. Dick ne sont pas des machines : leurs prédictions s’appuient sur des capacités surnaturelles amplifiées par la technologie pour empêcher des crimes. Pour autant, on retrouve la thématique du déterminisme et cette idée d’un système prétendument infaillible remplaçant la dynamique judiciaire, tout comme Multivac remplace la dynamique démocratique.

Des récits qui sonnent comme autant de mises en garde : une société qui délègue son libre arbitre à des modèles prédictifs s’expose inévitablement au risque de perdre une part de son humanité.

Extrapolations

Plus récemment, plusieurs auteurs majeurs ont su travailler avec réalisme des extrapolations superbement crédibles de nos gouvernements terrestres actuels. Mentionnons, par exemple, la redoutable complexité orchestrée entre la Terre, Mars et la ceinture d’astéroïdes par le duo James S.A.Corey dans « The Expanse », avec ses milliardaires manipulateurs, ses militaires repentis, ses syndicalistes déterminés et ses prolétaires mercenarisés, ou bien celle proposée par le grand Kim Stanley Robinson, que nous avions interviewé ici l’an dernier, dans sa « Trilogie martienne » de 1992-1996 comme dans son « 2312 » de 2012, avec ses intrications de clientélismes, d’objectifs politiques et financiers, et néanmoins de nouvelles constitutions à inventer.

Mais c’est un autre grand auteur que je voudrais convoquer ici tout particulièrement, car il illustre avec éclat, sur un exemple précis, ce qu’est et n’est pas la science-fiction. Norman Spinrad, dont nous avons déjà parlé dans notre dernier épisode à propos de « Jack Barron et l’éternité », et dans un épisode précédent à propos de « Bleue comme une orange », a écrit en 1991 un roman tout à fait curieux, appelé « Le printemps russe ». Formidable histoire d’amour, en Europe et notamment à Paris, entre une ingénieure russe et un astronaute américain, le roman se plante royalement sur la moitié de ses prédictions – qui, rappelons-le encore et toujours, ne sont pas l’objet de la science-fiction – : la dilution conquérante d’une Russie post-soviétique dans l’Union Européenne ne s’est clairement pas produite à ce jour. En revanche, la transformation de moins en moins sourde des Etats-Unis d’Amérique en une citadelle assiégée entièrement centrée sur un rêve de grandeur passée et sur une mise au pas patriotique, conservatrice et fascisante de la société dans son ensemble est dépeinte avec une justesse qui fait froid dans le dos, plus de trente ans avant le résultat des élections de cet automne. La saisie des mécanismes de ce repli identitaire n’a – on peut dire hélas – pas pris une ride. De même que, du même auteur mais sous un tout autre angle, la nouvelle « Sierra Maestra » de 1975, qui, au moment du succès d’un entrisme anti-capitaliste au sommet de l’Etat américain, infiltration patiemment conduite pendant plusieurs dizaines d’années, réalisait l’impuissance des gouvernants face aux mécaniques financières et économiques arc-boutées sur la défense systémique de leurs privilèges – Antoine vous parlera du pouvoir des grandes entreprises dans quelques instants. Là aussi, ça peut nous rappeler quelque chose.

*

Parmi les grandes explorations politiques conduites par la science-fiction en termes de modalités de gouvernement, nous avons souhaité en sélectionner quatre principales, selon que le principe retenu de manière centrale est l’économie (capitaliste) et l’argent plus ou moins fou, le calcul réputé rationnel conduit par l’informatique avancée, les affinités sociales de diverses natures ou encore la délibération véritable – et proche des personnes elles-mêmes, en un mot les diverses formes d’anarchie évoluée.

*

Premièrement, la science-fiction a su mieux que la plupart des autres genres artistiques saisir précocement le pouvoir démesuré atteint par les grandes entreprises depuis les années 1960, même si les formes en sont variables, parfois très directes, parfois plus subtiles, dans ce que l’on pourrait appeler, en étant à peine provocateur, un « grand remplacement » de la démocratie par les intérêts des actionnaires, réputés entraîner « tout le reste ». C’est ce que montre avec un éclat particulier le cyberpunk, ses précurseurs comme ses descendants, dont va maintenant vous parler Antoine.

Le règne des zaïbatsus, par Antoine Daer

De tous les genres de la SF, c’est indéniablement le cyberpunk qui a popularisé l’image des corporations hégémoniques, tentaculaires, déshumanisées et surpuissantes. Ces « zaïbatsus » comme on dit, du nom donné aux grands conglomérats d’entreprises japonais entrelacées et actifs dans tous les secteurs économiques, sont des structures pyramidales comme leurs buildings de verre et d’acier, colonisatrices et prêtes à tout pour étendre leur pouvoir.

On parle toujours de fiction, bien entendu.

Elles s’appellent Tessier-Ashpool, Weyland Yutani, Rizome, IOI, Arasaka, UAC, OCP, MNU, BNL, RDA, Zorg, Cyberdine, Umbrella, Thianzu, entre beaucoup d’autres.

Elles ont en commun un pouvoir centralisé, bien que souvent disputé en interne, si puissant qu’il éclipse celui des Etats faméliques.

Elles se livrent des guerres corporatistes sans merci, au sens propre et détourné, pour engraisser toujours plus la soif de puissance de leurs dirigeants démiurges mégalos, leurs fortunes et surtout leur hubris.

On parle toujours de fiction, bien entendu.

Leurs employés sont autant d’esclaves ou de soldats augmentés, plus ou moins bien lotis et aliénés, modifiés ou carrément fabriqués sur mesure, pour les besoins de la conquête des esprits, du monde, de l’univers.

La corpo cyberpunk est la structure dystopique par excellence, qui tend à remplacer toutes les autres formes de pouvoirs institués et même de structures sociales.

Tout au plus lui résistent quelques groupes de résistants, ou hackers, atomisés ici ou là, qui font le gros des personnages du genre.

Les corpos sont les seuls pouvoirs, les seuls projets, le seul horizon. Ce sont leurs logos géants qui illuminent le ciel.

Parmi les récents du genre, citons absolument l’œuvre géniale de Sabrina Calvo. Dans Melmoth Furieux paru en 2021, elle imagine un Disney totalitaire et ses parcs à mi-chemin entre camps d’internement et un parcs d’attraction. Dans Les nuits sans Kim Sauvage paru en 2024, elle suppose un Paris intégralement gouverné par les grandes Maisons de Luxe militarisées se livrant à une fashion week virtuelle permanente. A chaque fois, Calvo explore les liens entre intimité, imaginaire et capitalisme autoritaire, un « must-read » inclassable et vertigineux.

En véritable rêve libertarien, les corporations cyberpunk s’immiscent dans la vacance des états délités ou corrompus.

Pour le chercheur Yannick Rumpala dans son essai Cyberpunk’s not dead, les mondes cyberpunk sont des mondes post-politiques, sans plus aucune notion d’humanité ou de condition partagée, de morale, de démocratie bien sûr, ni d’intérêt général. Tout n’est que privé et individuel, et seule demeure la loi du marché.

C’est-à-dire du plus fort.

Neal Stephenson dans Snow Crash (Le Samouraï virtuel en français), paru en 1992, évoque cette faillite des états. Il y écrit :

« Depuis quelques temps, la plupart [d’entre eux] sont des franchulats ou des banlises bien trop petits pour avoir quoi que ce soit qui ressemble à une prison ou même à un système judiciaire. »

Les porte-avions nucléaires américains deviennent les yachts de richissimes « rois de la bande passante » ; et la CIA est remplacée par la CIC, qui n’est pas une banque mais la Central Intelligence Corporation, version privée de l’agence étasunienne.

Dans la grande foire à la dérégulation, au profit de ces puissants conglomérats corporatistes mafieux, le seul pouvoir régalien qui semble vaguement se maintenir est la police.

Dans l’univers du jeu vidéo Disco Elysium, le quartier de Martinaise est un district délabré de la ville de Révachol, où s’affrontent des syndicats mafieux et des corporations sans pitié, sous la supervision d’une police dépassée, elle-même plus ou moins privée, et franchement incompétente puisque c’est nous qui l’incarnons.

Dans la plupart des œuvres de ce genre (même si Disco Elysium n’est pas stricto sensu cyberpunk), la police est tout ce qui reste de la puissance publique. Elle est généralement dédiée à deux tâches en particulier, qu’elle exerce avec une égale violence : 1/ opprimer les bas-fonds, et 2/ veiller à une forme minimale de régulation des excès liées à la technologie, exercée à postériori.

On vous a déjà parlé de l’animé Psycho-Pass dans notre épisode sur la surveillance, c’est un cas emblématique ici aussi.

Le film Chappie, de Neill Blomkamp paru en 2015, montre la dégradation des services publics et la surenchère militariste des forces dites « de l’ordre ». Des robots matons, tagués jusqu’aux yeux, font régner la terreur dans les ghettos insalubres où s’entasse la population pauvre de Johannesburg sur fond d’émeutes et de guerres de gangs.

De quoi rappeler fortement le RoboCop de Paul Verhoeven sorti en 1988 ; où le cyborg policier est propriété de la corpo OCP qui veut remplacer la police officielle de la ville de Détroit.

Dans un cas comme dans l’autre, la seule perspective de la population est de subir une armée de robots ultraviolents et plus ou moins privés, destinés à les garder sous contrôle et à mater une criminalité uniquement envisagée sous l’angle de la violence de rue. RoboCop ne peut pas, by design, s’attaquer à sa propre corpo.

Haro sur les pauvres donc, tandis que les multinationales achèvent de se partager le cadavre de l’État.

Pourtant, il arrive aussi que des corporations équivalentes œuvrent pour une certaine idée du Bien.

En  même temps, elles disent toutes ça.

Vous connaissez leur nom : Wayne Enterprise et Stark Industries. Les deux remplissent tous les critères des corporations cyberpunk : verticalité, empires commerciaux opaques, gouvernance ultra-centralisée, hautes technologies, affranchissement du contrôle étatique, mégalomanie.

Ces entreprises permettent à leurs propriétaires respectifs de développer du matériel de haute technologie pour revêtir les costumes l’un de Batman l’autre d’Iron Man et défendre leur vision – toute personnelle et un peu névrosée – de la justice.

Une justice encore et toujours considérée sous le seul angle de la lutte violente contre la violence urbaine. Pourtant, pas sûr que Bruce Wayne mette autant d’énergie à lutter contre l’évasion fiscale que contre le Joker, si vous voyez ce que je veux dire.

Bref, une vision de la corpo « gentille », entre guillemets, nourrie au libéralisme américain et au mythe du self made man génial.

Restez connecté.e, on en reparle sous peu.

*

La scène initiale du premier roman de Neal Stephenson, « Snow Crash » en 1992, que mentionnait Antoine à l’instant, est inoubliable : pour livrer une pizza, Hiro Protagonist, le héros commodément nommé de toute l’histoire, doit traverser pas moins de six frontières : dans les rêves de ces méga-entreprises-là, il n’y a de bons états que vassalisés et, surtout, les plus minuscules possibles. Quand il ne s’agit pas, pour pousser les choses au paroxysme, d’acquérir soi-même le statut d’un état, incluant des lois propres et un territoire géographique. Entre quête permanente d’une justice exercée uniquement par d’autres entreprises et demandes insistantes d’extra-territorialité, on peut bien se dire que « Le Business » de Iain Banks, publié en x, avec son monstrueux cabinet de conseil cherchant à acquérir, littéralement, une petite nation, y compris son siège à l’ONU, ou bien la nouvelle « Nulle part à Liverion » de Serge Lehman, publiée en 1996 et servant largement d’assise à son magnifique cycle « F.A.U.S.T. » de 1997, réédité et complété en 2019, qui transformait en formidable roman populaire d’aventures la bien réelle mainmise de l’économie privée sur la sphère publique parfaitement observable à l’époque.

Gouvernances informatiques

Deuxièmement, la gouvernance démocratique peut s’appuyer, s’abandonner ou se réfugier dans l’informatique.

Je veux évoquer ici quelque chose qui restera assez loin tout de même du fantasme du méga-ordinateur surpuissant qui asservit l’humanité, directement ou indirectement : subtilement, lorsqu’il s’agit du Shalmaneser de John Brunner, dans son « Tous à Zanzibar » de 1968, plus bestialement lorsqu’il s’agit du Skynet de « Terminator » en 1984 ou du Complexe Alpha du sublime jeu de rôle « Paranoïa » de Greg Costikyan en 1984 également.

Non, non, l’informatique avancée (que certains persistent à vouloir appeler intelligence artificielle) apparaît dans beaucoup d’œuvres de ces dernières années, et non des moindres, comme un recours possible pour l’humanité et pour la démocratie, moyennant quelques ajustements et quelques prises de risque, politique ou métaphysique.

On songera certainement au vaste cycle de la Culture de Iain M. Banks, publié entre 1987 et 2012, déjà largement évoqué dans Planète B lors de notre entretien avec Alice Carabédian, dans lequel l’humour noir et l’intelligence narrative échafaudent volume après volume une magnifique société d’abondance galactique, libertaire et hédoniste, où cohabitent en harmonie machines (très) évoluées qui peuvent « s’occuper de tout » si nécessaire et humanoïdes de toutes espèces apportant leur écot d’imprévisibilité – jusqu’au moment où doivent être affrontées certaines menaces extérieures… Cette œuvre mériterait au moins un épisode entier de Planète B, on y reviendra sans doute.

Plus près de nous, trois romans tout à fait notables mettent en scène avec brio le recours à l’informatique avancée comme moyen central de gouvernement, avec ses gardes-fous et ses indispensables courroies de rappel, qui se révèleront plus ou moins efficaces à l’usage. « Résolution » de Li-Cam, en 2019, donne tout son sens, selon le joli mot d’Ariel Kyrou, à la notion d’anarchie assistée par ordinateur et de vérité opérationnelle, loin des fantasmes corporate contemporains.  « Les déliés » de Sandrine Roudaut, en 2020, s’inscrit dans un futur très proche, nourri des luttes sociales et des échecs populaires de ces dernières années, tout particulièrement en France, pour envisager avec un magnifique sérieux la « remise des clés » gouvernementales à un méga-ordinateur ayant intégré en puissance la notion même de « bien commun ». « Gnomon » de Nick Harkaway, en 2017, ouvrage que nous avions déjà évoqué dans notre épisode traitant de la surveillance, propose sans doute quant à lui l’une des formes les plus achevées de résolution informatique et citoyenne, sous des formes plutôt extrêmes, de l’équation sécurité-liberté qui hante la philosophie politique au moins depuis le « Léviathan » de Thomas Hobbes, en 1651. Et « Gnomon » est un ouvrage vertigineux à beaucoup plus d’un titre.

L’informatique avancée dans la science-fiction mériterait plusieurs épisodes dédiés de Planète B, on y travaille ! Mais je voudrais néanmoins souligner ici un ouvrage en particulier, le court roman de Stéphane Beauverger intitulé « Collisions par temps calme », publié en 2021. Lui aussi résout, en véritable utopie concrète, l’équation sécurité-liberté de Thomas Hobbes, mais il le pratique d’une manière à la fois beaucoup plus apaisée et beaucoup plus réaliste que le torrentueux Nick Harkaway, en nous offrant peut-être surtout, en même temps qu’une vraie réflexion sur ce que signifie, au fond, la sécurité absolue, une plongée dans les arcanes du contrôle citoyen éclairé d’une informatique dont les algorithmes sont toujours davantage avancés mathématiquement et dont l’apprentissage profond devient potentiellement opaque même pour des experts chevronnés. La science-fiction la plus spéculative touche ici, une fois de plus, certaines préoccupations absolument quotidiennes de notre époque d’états se voulant toujours plus numériques.

Repli identitaire

Troisièmement, et cette exploration-là vous semblera peut-être la plus surprenante, il existe une autre tentation, face à l’affaiblissement et au blocage de la démocratie, celle d’un repli identitaire, non pas sur le modèle de la forteresse fascisante déjà évoqué, mais sur celui en apparence infiniment plus bénin de l’affiliation par affinités. Infiniment plus bénin, il faut quand même le dire vite, car on me fera observer à raison que certaines des pires théocraties, avouées ou non, pourraient prétendre n’être au fond que des regroupements par affinités, regroupements peut-être un peu plus musclés que d’autres…

Neal Stephenson (encore lui !) peut faire figure de précurseur dans cette exploration-là, avec son poignant « L’âge de diamant », publié en 1995, à la fois roman d’apprentissage quasiment digne d’un Charles Dickens du futur et réflexion subtile sur le tribalisme culturel (ou « républicanisme distribué »), rendu accessible à l’échelle mondiale grâce à certaines technologies désormais existantes, permettant à des populations entières de s’affilier individuellement ou collectivement à des régimes géographiquement distants. À beaucoup plus grande échelle, imprégnant profondément toute sa toile de fond, c’est aussi ce concept que développe Ada Palmer dans son monumental « Terra Ignota », publié en 4 volumes (5 en français) entre 2016 et 2021, dans lequel l’invention d’une technologie de transport ultra-rapide et très bon marché, la fin des états-nations et de sanglantes guerres de religion ont débouché sur une paix presque surprenante, sous l’égide de sept « ruches » mondiales affranchies des contraintes géographiques, et recrutant leurs affiliés sur la base d’un volontariat parfois subtilement dévoyé.

Ces démocraties du troisième type (qui n’ont d’ailleurs pas fatalement à être « démocratiques » au sens classique du terme, comme l’explore tout particulièrement Ada Palmer à travers plusieurs de ses sept « ruches ») peuvent sembler particulièrement tentantes, conciliant la quête forcenée d’individualisme qui hante le capitalisme tardif et le sens même minimal du collectif qui doit malgré tout assurer certaines bases sociales toujours indispensables. Mais le communautarisme éventuellement étroit et contraignant qui s’y glisse de manière sous-jacente, comme l’omniprésence des bulles cognitives qui y sont favorisées, méritent aussi toute l’attention de la science-fiction, et c’est pourquoi il faut absolument recommander la lecture du roman « Hors sol », publié en 2018 par le regretté Pierre Alferi. En imaginant un monde dantesque, réduit à quelques centaines de capsules spatiales de sauvetage orbitant autour de la Terre en haute atmosphère, après la panne de leur vaisseau-mère qui fuyait la surface devenue littéralement invivable du fait de la hausse des températures, l’auteur – qui fut principalement un poète, ce n’est sans doute pas ici un hasard – a concocté à la fois un magistral thriller policier et une satire hilarante de nos horizons réduits aux réseaux sociaux de celles et ceux qui partagent nos opinions et nos hobbys – en en poussant les prémisses et les effets à leur paroxysme, pour un résultat ô combien salutaire.

Expérimentations démocratiques

Quatrièmement et dernièrement, et c’est sans doute là que se déploie la plus grande grande part de la puissance d’imagination politique de la science-fiction – comme nous l’avions largement évoqué lors de nos épisodes consacrés à l’utopie -, il nous faut parcourir brièvement l’invention de formes d’organisation politique redonnant tout son sens à un concept de démocratie affaibli et démonétisé par tant d’années d’abus, d’avidités et de convoitises actionnariales (y compris sous leurs formes de capitalisme d’état hybride dans certains grands états, héritiers plus ou moins lointains d’un communisme largement dévoyé). C’est ici que l’on lira avec bonheur le passionnant « Eutopia » de Camille Leboulanger, publié en 2022, avec tous ses aspects apparemment si « terre-à-terre » et pourtant si décisifs, le magnifique « Les Champs de la Lune » de Catherine Dufour, publié en 2024, avec sa crépusculaire survie humaine sous la surface de la Lune et son « utopie de chiens, de chats et de robots » éventuellement en gestation, la monumentale « Trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, à nouveau, publiée entre 1992 et 1996, au sein de laquelle la construction d’une nouvelle constitution pour l’ex-colonie martienne, qui occupe presque la moitié du troisième tome, pourrait quasiment servir, par avance, de conclusion à cet épisode, et surtout, naturellement, les réflexions libertaires profondément ancrées imaginées par Ursula K. Le Guin, dont Clémence va vous parler à présent.

L’anarchie selon Ursula K. Le Guin, par Clémence Gueidan

Incontournable quand on parle d’anarchie dans la science-fiction, on ne pouvait pas passer à côté des Dépossédés d’Ursula K. Le Guin. Publié en 1974, ce roman nous embarque dans une expérience de pensée politique et anthropologique passionnante.

On y découvre deux planètes voisines, jumelles presque mais que tout oppose. D’un côté, Urras, planète capitaliste, hiérarchisée, prospère mais profondément inégalitaire. Un peu comme notre monde à nous quoi. De l’autre côté, Anarres, anarchiste, colonisée 2 siècles plus tôt par des révolutionnaires.

En guise fil conducteur, l’histoire de Shevek, physicien de génie qui navigue, au propre comme au figuré, entre les deux planètes. Né sur Anarres, il a grandi dans un monde où la propriété n’existe pas, une société bâtie sur les principes de partage et d’égalité, où chacune, chacun est libre.

Oui mais Anarres n’est pas un paradis pour autant. Vie frugale, environnement hostile, rigidité bureaucratique… Les conditions de vie y sont difficiles. Alors Shevek décide de partir voir si l’herbe est plus verte sur la fertile Urras et si ses théories scientifiques visionnaires y trouveront plus d’écho que chez lui.

Tout au long du roman, on alterne entre le passé – la jeunesse et la vie de Shevek sur Anarres – et le présent – son voyage sur Urras et sa découverte de la société urrastie. Grâce à cette structure narrative astucieuse Le Guin crée un jeu de miroir permettant d’explorer les deux systèmes de manière organique.

L’éducation de Shevek, le fait de grandir dans un monde où l’on ne possède rien, où le mot “posséder” même n’existe pas, a ancré en lui un rejet d’Urras et des “profiteurs” qui y habitent. Mais sa personnalité, sa quête perpétuelle de liberté y compris liberté de penser différemment le conduit à critiquer Anarres.

Vue de loin, Urras joue sur l’illusion du libre arbitre. Là-bas, tout semble possible… Mais une fois sur place, Shevek découvre vite que tout est possible surtout pour celles et ceux qui en ont les moyens. Bon, le système capitaliste quoi, ça va, on connaît.

Sur Anarres, c’est différent. La liberté individuelle est toujours en tension avec la nécessité du collectif. Tout est partagé mais en contrepartie, la pression sociale est énorme. David Meulemans l’explique bien dans la préface du roman :

“Sous l’apparence d’une simplicité consentie, la société anarchiste d’Anarres a comme déporté le poids de l’autorité. Ce n’est pas le gouvernement qui pèse sur les sujets, car il n’y a pas de gouvernement. C’est chaque sujet qui pèse sur lui-même, car il est tenu à un idéal éthique écrasant – et chaque sujet pèse sur les autres, par un contrôle mutuel et permanent.”

Et si vous sortez des clous, ce n’est pas la prison – il n’y en a pas sur Anarres. C’est bien pire : on vous ignore, on vous isole. L’exclusion devient la punition ultime dans une société où le collectif est sacré.

Ce n’est pas pour rien que Le Guin qualifie son roman d’”utopie ambigue” et c’est là toute sa force. Elle ne présente pas l’anarchie comme un idéal parfait, mais comme une expérience humaine, avec ses contradictions, ses réussites, et ses échecs.

Elle pose des hypothèses et semble observer l’évolution logique de son protagoniste, comme le ferait une chercheuse dans un labo.

David Meulemans l’affirme, “les systèmes politiques déshumanisent. Ce qui reste le trait de toute humanité, c’est la transgression. Les Dépossédés est un mélange de cynisme et d’espoir. Cynisme devant l’impossibilité des hommes de se gouverner sans toujours produire de l’inhumain. Espoir devant la puissance d’insurrection qui se loge dans le cœur de chaque individu, et qui survivra à toute expérience politique.”

Avec les Dépossédés, c’est précisément une expérience de réflexion transgressive qu’Ursula Le Guin nous propose. Elle ne prône pas de dogme, ne donne pas de réponse, mais elle ouvre des portes et nous invite à repenser nos certitudes.

*

Derrière l’obsolescence potentielle d’une forme historiquement imparfaite mais pragmatiquement acceptable de gouvernement, celle dont nous vous avons parlé au cours de cet épisode à travers notre prisme science-fictif, le philosophe Giorgio Agamben fait de l’état d’urgence permanent le véritable fossoyeur  de la démocratie. Deux œuvres de science-fiction pourtant fort dissemblables nous permettent de peser le sort du vivre-ensemble, à petite ou à grande échelle, à l’aune de cette course contre la montre permanente. « La stratégie Ender » d’Orson Scott Card, publiée en 1985, mais davantage encore ses « préquelles » publiées entre 1999 et 2012 à partir de « La stratégie de l’ombre », détaillent avec intelligence et imagination la manière dont l’urgence géopolitique, réelle, perçue ou entretenue, façonne les formes acceptables et acceptées de gouvernement, tandis que la série télévisée « Battlestar Galactica » (la deuxième, celle de 2004, et non la pionnière de 1978) organise avec un extrême brio le crash-test ultime de la démocratie, amenée à osciller entre survivance des « checks and balances » états-uniens, théocratie plus ou moins illuminée, résurgence du prolétariat et formes variées de dictature militaire, sous la pression constante d’un ennemi bien décidé en apparence à éradiquer l’humanité de manière définitive.

Comme le rappelait Jacques Rancière dans « La haine de la démocratie » en 2005 : « La démocratie est une praxis, non un ensemble d’institutions. » Et au cœur de cette praxis, comme un rusé point aveugle, il y a peut-être bien la question du consentement à l’autorité, dont Antoine va maintenant nous parler pour conclure cet épisode.

Le consentement à l’autorité dans Monsieur Mardi-Gras Descendres, par Antoine Daer

Enfin, j’avais à cœur de conclure cet épisode en faisant un petit pas de côté, nous éloignant un peu de la science-fiction classique pour aller vers la fable mythologique, si tant est qu’on puisse coller une étiquette sur le chef d’œuvre absolu dont je vous parle maintenant.

Fresque gothique flamboyante absolument indépassable, la série de BD Monsieur Mardi-Gras Descendres a été publiée de 1998 à 2005 par l’auteur français Eric Liberge dont elle constitue le Grand Œuvre.

Les premières éditions sont épuisées mais une très belle intégrale a été éditée chez Dupuis, qui édite aussi la préquelle parue en 2016.

Dans Mardi-Gras Descendres, tous les personnages sont morts ; squelettes sans nom ni identité jetés sans aucune explication dans un désert de cendres infini, seulement ponctué d’architectures gothiques vertigineuses se générant d’elles-mêmes, qui rappellent à la fois BLAME! (de Tsutomu Nihei), les cathédrales gothiques du nord de l’Europe et les prisons infinies de Piranesi.

Livrés à cette piètre condition, ces foules de morts pas vraiment morts tuent le temps en se bourrant la gueule aux métaux lourds, en débattant philosophie et théologie, en recherchant des grains de café seuls à même de leur ramener de brefs souvenirs de l’existence terrestre, et en essayant difficilement à se rappeler ce qu’ils foutent là et s’ils ont mérité ce sort au regard d’une règle divine ou karmique compréhensible.

Surtout, surtout, ils se demandent quoi faire à présent.

Et c’est là que ça intéresse notre sujet du jour.

Certains fondent des sectes, des dictatures, des groupes de rebelles pour s’opposer à ces dictatures, des écoles de pensée, pour donner un sens ou une occupation à leur non-vie. Toute une société se reconstruit en marchant sur la tête, recréant des hiérarchies, des pouvoirs et des luttes à défaut de répondre aux questions existentielles qui permettraient d’affronter l’absurdité de la situation.

Bref, même sous formes de squelettes rafistolés et privés de tous les plaisirs terrestres, dans un monde extrêmement dépressif, la vie continue avec son lot de questions existentielles sans réponses, de pouvoir d’agir, d’illusions, d’amitiés et d’inimitiés, d’oppressions injustifiées des uns sur les autres.

Il faut bien appeler « vie » ce qui n’est pas encore le néant.

Mardi Gras Descendres rend manifeste la question du sens et de la légitimité de l’autorité dans un monde absurde – au sens d’Albert Camus. Puisque nous sommes tous morts, réduits à notre plus simple appareil, squelettes indifférenciables dans une foule errante sur les plaines de Pluton, pourquoi accepter le règne absurde du dictateur, la violence de sa milice servile, les édits stupides de son administration kafkaïenne ?

Autant de questions qui invitent à interroger la légitimité des institutions et des pouvoirs quels qu’ils soient, après ou avant la mort.

Et à reconnaître, sans doute, la valeur de l’idéal démocratique en ce qu’il invite les morts en sursis à s’autodéterminer indépendamment d’une signification transcendantale à l’existence.

Franchement jetez-vous sur cette BD.

*

Si cet épisode vous a plu, merci de soutenir Planète B et Blast, qui dépendent uniquement de vous, par vos abonnements, vos dons, votre bouche-à-oreille et vos manifestations d’intérêt. C’est vous qui êtes plus que jamais notre carburant bio et non fossile indispensable, notre source d’énergie démocratique et renouvelable.

L’équipe

Auteur : Hugues Robert
Co-auteurices :
Clémence Gueidan, Antoine Daer
Montage : Guillaume Cage
Son : Baptiste Veilhan
Graphisme : Morgane Sabouret
Production : H. Tragha
Directeur des programmes : M. Enthoven
Co-directrice de la rédaction : Soumaya Benaïssa
Directeur de la publication : Denis Robert

Références citées

FILM : Star Wars 2 : L’Attaque des clones (George Lucas, 2002)
ROMANS : Série Fondation (Isaac Asimov, 1942-1986)
ROMAN : Starship Troopers / Etoiles, garde à vous ! (Robert A. Heinlein, 1959)
FILM : Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997)
ROMAN : Cycle du non-A (Alfred E. Van Vogt, 1945-1984)
ROMAN : Les Armureries d’Isher / Les Fabricants d’armes (Alfred E. Van Vogt, 1947-1951)
FILM : Star Wars 6 : Le Retour du Jedi (George Lucas, 1983)
SERIE TV : Battlestar Galactica (Ronald D. Moore, 2004-2009)
ROMAN : Loterie solaire (Philip K. Dick, 1955)
NOUVELLE : La loterie à Babylone (Jorge Luis Borges, 1944)
ROMAN : Planète à gogos / Les gogos contre-attaquent (Cyril M. Kornbluth & Frederik Pohl, 1953-1984)
NOUVELLE : A voté (Isaac Asimov, 1955)
ROMAN : Le guide du voyageur galactique (Douglas Adams, 1978-1992)
SERIE TV : Le guide du voyageur galactique (Alan J.W. Bell & John Lloyd, 1981)
FILM : Le guide du voyageur galactique (Garth Jennings, 2005)
NOUVELLE : Minority report (Philip K. Dick, 1956)
FILM : Minority report (Steven Spielberg, 2002)
ROMANS : The Expanse (James S.A. Corey, 2011-2021)
SERIE TV : The Expanse (Mark Fergus & Hawk Ostby, 2015-2022)
ROMAN : La trilogie martienne (Kim Stanley Robinson, 1992-1996)
ROMAN : 2312 (Kim Stanley Robinson, 2012)
ROMAN : Jack Barron et l’éternité (Norman Spinrad, 1969)
ROMAN : Bleue comme une orange (Norman Spinrad, 1999)
ROMAN : Le printemps russe (Norman Spinrad, 1991)
NOUVELLE : Sierra Maestra (Norman Spinrad, 1975)
JEU VIDEO : Oddworld : L’odyssée d’Abe (GT Interactive, 1997)
FILM : Blade Runner (Ridley Scott, 1982)
ROMAN : Neuromancien (William Gibson, 1984)
FILM : Alien (Ridley Scott, 1979)
ROMAN : Les mailles du réseau (Bruce Sterling, 1988)
FILM : Ready Player One (Steven Spielberg, 2018)
JEU VIDEO : Cyberpunk 2077 (CD Projekt, 2020)
JEU VIDEO : Doom (ID Software, 1993 & 2016)
FILM : District 9 (Neill Blomkamp, 2009)
FILM : Wall-E (Andrew Stanton, 2008)
FILM : Robocop (Paul Verhoeven, 1987)
FILM : Avatar (James Cameron, 2009)
FILM : Terminator (James Cameron, 1984)
FILM : Le cinquième élément (Luc Besson, 1997)
JEU VIDEO : Resident Evil (Capcom, 1996)
BD : Shangri-La (Mathieu Bablet, 2016)
ROMAN : Melmoth furieux (Sabrina Calvo, 2021)
ROMAN : Les nuits sans Kim Sauvage (Sabrina Calvo, 2024)
ESSAI : Cyberpunk’s not dead (Yannick Rumpala, 2021)
ROMAN : Snow Crash / Le samouraï virtuel (Neal Stephenson, 1992)
JEU VIDEO : Disco Elysium (ZA/UM, 2019-2021)
SERIE TV : Psycho-Pass (Katsuyuki Motohiro & Naoyoshi Shiotani, 2012)
FILM : Chappie (Neill Blomkamp, 2015)
FILM : Batman begins (Christopher Nolan, 2005)FILM : Iron Man 2 (Jon Favreau, 2010)
FILM : Joker (Todd Phillips, 2019)
ROMAN : Le Business (Iain Banks, 1999)
NOUVELLE : Nulle part à Liverion (Serge Lehman, 1996)
ROMAN : F.A.U.S.T. (Serge Lehman, 1997 & 2019)
FILM : Terminator 2 (James Cameron, 1991)
ROMAN : Tous à Zanzibar (John Brunner, 1968)
JEU DE ROLE : Paranoia (Greg Costikyan, 1984)
FILM : 2001, odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968)
ROMANS : Cycle de la Culture (Iain M. Banks, 1987-2012)ROMAN : Résolution (Li-Cam, 2019)
ROMAN : Les déliés (Sandrine Roudaut, 2020)
ROMAN : Gnomon (Nick Harkaway, 2017)
ESSAI : Léviathan (Thomas Hobbes, 1651)
ROMAN : Collisions par temps calme (Stéphane Beauverger, 2021)
FILM : The Social Network (David Fincher, 2010)
SERIE TV : Star Trek : Deep Space Nine (Rick Berman & Michael Piller, 1993-1999)
ROMAN : L’âge de diamant (Neal Stephenson, 1995)
ROMANS : Cycle Terra Ignota (Ada Palmer, 2016-2021)
ROMAN : Hors sol (Pierre Alferi, 2018)
FILM : Porco rosso (Hayao Miyazaki, 1992)
ROMAN : Eutopia (Camille Leboulanger, 2022)
ROMAN : Les champs de la Lune (Catherine Dufour, 2024)
ROMAN : Les dépossédés (Ursula K. Le Guin, 1974)
ESSAI : Etat d’exception (Giorgio Agamben, 2003)
ROMAN : La stratégie Ender (Orson Scott Card, 1985)
ROMANS : Cycle La saga des ombres (Orson Scott Card, 1999-2012)
ESSAI : La haine de la démocratie (Jacques Rancière, 2005)
SERIE BD : Monsieur Mardi-Gras Descendres (Eric Liberge, 1998-2005)
MANGA : Blame ! (Tsutomu Nihei, 1998-2003)

PLANÈTE B : SOMMAIRE DES ÉPISODES

blast

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici