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« Chappie don’t kill people,
Chappie no crimes ! »
Surgie un beau jour dans le fil tourmenté de ma timeline, la bande-annonce de Chappie s’est imposée à moi sans s’annoncer. A croire qu’à force de parler de Neill Blomkamp comme réalisateur du futur Alien 5, on en oubliait son dernier film qui a pourtant l’avantage d’exister.
Je partage sur Blomkamp l’avis de monsieur-tout-le-monde. Autant District 9 figure parmi les meilleurs films de science-fiction que j’ai vus, autant Elysium m’avait beaucoup moins impressionné en sombrant dans les habituels poncifs hollywoodiens, privilégiant l’action au détriment du récit. Bref j’attendais de Chappie qu’il redore le blason de son auteur certes talentueux, mais devenu commercial.
Le film raconte l’histoire du premier robot éveillé à la conscience, Chappie, contraint à un apprentissage accéléré du monde et des hommes au sein d’une Johannesburg futuriste et dégradée. Entre guerre des gangs et police robotique, technologie et grande pauvreté, nous voici a nouveau propulsés dans un décor cyberpunk sud-africain typique du réalisateur.
Malgré le ton assez léger qu’il conserve tout le long, le film aborde pratiquement toutes les thématiques essentielles de tout bon film de robot. On y parle singularité et transhumanisme bien-sûr (lire par ici), mais également éducation et transcendance technologique. Le programme est lourd. Trop lourd en fait pour un scénario qui, péchant par ambition, se retrouve contraint d’avancer à marche forcée en effleurant seulement la plupart de ces sujets. On gagnerait en profondeur en tranchant dans le vif. Il n’en demeure pas moins que Chappie est un film intelligent, qui traite de la question du robot sous un angle relativement rafraîchissant.

Blomkamp fait ici le choix d’humaniser au maximum son personnage principal, en le représentant comme un enfant qui grandit, atteint l’adolescence et la maturité en quelques jours à peine. On est très loin de la figure classique du droïde calculateur et insensible ; il a non-seulement des émotions, mais il apprend à très grande vitesse, jusqu’à dépasser ses « professeurs ». Au centre de toutes les attentions et de tous les conflits d’intérêts, Chappie doit apprendre et se situer vis-a-vis du monde.
En plaçant son nouveau-né dans un contexte d’apprentissage improbable, le film évite la mièvrerie et joue la carte du second degré. La ficelle scénaristique paraît un peu grosse, mais ça marche vraiment bien lorsque le jeune robot en pleine crise d’adolescence se retrouve sapé en gangster, déambule comme un caïd et parle comme un charretier. Il faut dire que ce petit bot charismatique, incarné par Sharlto Copley, trouve à qui parler dans la prestation ahurissante du binôme de rappeurs sud-africains Die Antwoord (dont Chappie est le premier film).
C’est la vraie bonne surprise, cette présence de Ninja et Yo-Landi Vi$$er incarnant plus ou moins leurs propres rôles version cybergangsta. Avec leurs dégaines hallucinantes et leur charisme de bêtes de scène, les deux punks allument l’écran dans des rôles beaucoup plus subtils qu’on pourrait s’y attendre au départ. On en oublierait presque les monstres sacrés hollywoodiens qui les côtoient à l’écran. Il faut dire que Hugh Jackman brille par son inutilité en méchant caricatural et hors-sujet, dont les motivations sont très floues. Et malgré le plaisir qu’on a à voir Sigourney Weaver dans ce genre de films, force est de constater qu’elle n’y sert pas à grand chose. Seul Dev Patel réussit à insuffler un peu d’émotions dans son rôle de docteur Frankenstein actualisé, un scientifique brillant qui ne tombe pas dans la caricature à la Sheldon Cooper, ça devient de plus en plus rare.

Mais n’allons pas cracher trop copieusement dans la soupe non plus. Pas besoin de s’y connaitre beaucoup pour reconnaître à Blomkamp une vraie maîtrise de la mise en scène. Les scènes d’action – pas si nombreuses – sont brutales et efficaces, notamment la confrontation avec le Moose qui ne déçoit pas. Sur sa nervosité cyberpunk, le film doit encore beaucoup à Die Antwoord qui cosigne avec Hans Zimmer une bande originale électro-rap sous ecstasy extrêmement raccord ! C’est peu dire que le duo aura marqué le film de son empreinte.
Soyons honnête, Chappie est un très bon film de cyberpunk transhumaniste, intelligent, créatif et immersif. Il a su me convaincre d’aimer à nouveau le travail de Neill Blomkamp, même si ses prétentions scénaristiques sont trop ambitieuses pour le coup. Au sortir de la séance, reste encore à se demander le message en creux délivré par le film. Faut-il lire dans la transcendance finale des personnages un manifeste transhumaniste, prônant une victoire de l’homme sur la mort via la technologie ? Ou à la suite de Mary Shelley dans Frankenstein, une mise en garde contre les apprentis sorciers inconscients qui prétendent devenir maîtres de la vie ?
La conclusion semble pencher clairement vers le technoptimiste en présentant la technique comme un moyen d’abolir les contraintes de la chair. Encore ici, le happy-end fait partie des habitudes du réalisateur. Après tout, on a le droit de rêver.
~ Antoine St. Epondyle
Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.
Et si on a trouvé que District 9 était un pur navet sans intérêt (si l’idée de base est bonne, la seconde moitié est confondante de nullité et de platitude. Je crois même que j’ai pas tenu jusqu’au bout), est-ce qu’il y a la moindre chance qu’on aime Chappie ?
Ouais, j’imagine qu’on a tous le droit à une seconde chance. :p
Le seul point commun notable entre District 9 et Chappie est un marquage à la culotte de l’art Blomkamp. Je trouvais comme toi, Epon, que Neil s’était oublié dans les méandres du poncif hollywoodien avec Elysium. Je suis tout à fait ravi de retrouver le Blomkamp des origines qui nous épargne le manichéisme outrancier des réalisations américaines. Ici, tout est en nuances de gris (sans jeu de mot ;) ). Cela renforce nettement la crédibilité. Et même si l’on peut rejeter l’absurdité du comportement du personnage tenu par Hugh Jackman, je lui trouve bien au contraire une dimension humaine peu commune, une crédibilité qui crève l’évidence tellement il est humain de se comporter ainsi.
En revanche, depuis District 9, Blomkamp s’éloigne des problématiques d’actualités pour poser des vraies question d’avenir. C’est selon moi ce qui explique le ton léger de l’oeuvre, car l’incidence immédiate de telles questions ne prête pas à conséquence. C’est de la vraie science-fiction (voire anticipation, si l’on veut le classer correctement). Je dénie à District 9 cette définition étant donnée qu’il s’agissait de la transposition d’un sujet d’actualité dans un univers décalé. Ici, l’univers est à deux doigts d’être le nôtre, et il y insère un questionnement scientifique et moral qui ne nous concerne pas tout à fait encore.
Ceci en fait un sujet à la fois plus abordable mais moins profond. Et effectivement, 2h est un peu court pour disserter sur l’ensemble des thèmes portés par ce film. J’ignorai que deux des acteurs n’étaient pas « du métier » et je dois dire avoir été singulièrement impressionné par leur prestation. Quant à Sharlto Copley, c’est un vrai caméléon. La diversité des rôles dans lequel le place Blomkamp et la facilité qu’il a à les tenir me rappelle à quel point les grosses productions hollywoodiennes basées sur des têtes d’affiches sont déplorablement pauvres.