Je n’achèterai plus jamais de livre L’Appel de Cthulhu. Je viens de recevoir plus de matériel que je n’en ai jamais nécessité. Une boîte de jeu – que dis-je ? – de Pandore, pleine à craquer de bouquins, à ne plus savoir qu’en foutre.
Mais voilà, alors que le Mythe inonde nos chaumières friandes d’éditions limitées, un débat fait rage sur les Internets rôlistes. Au cœur de la discussion, les Editions Sans-Détour et leur utilisation du financement participatif.
Prévente ou financement ?
Je laisse la parole à Pitch, qui s’est fendu d’un article intéressant sur le sujet.
Résumons : un éditeur installé dans le paysage rôliste depuis 2007 (Sans-Détour) lance une souscription pour une locomotive historique de l’industrie du JDR (L’Appel de Cthulhu) et réussit à lever plus de 400 000 euros. Des critiques s’expriment car pour certains, comme nous, le financement participatif a été pensé pour permettre la création, pas pour faciliter la production d’un des rares ouvrages de JdR sur le marché qui aurait été de toutes façons rentable. Bref, on oublie bien vite ce débat au nom de la joie de voir vivre notre hobby commun. Et paf ! Huit mois plus tard on remet ça : même gamme, même campagne marketing, déjà plus de 50 000 euros récoltés en moins de 3 heures ! C’est à se demander quels étaient « les nouveaux projets » qui étaient censés être lancés grâce au surplus de la première souscription…
Si l’article pointe (avec mesure) des choses intéressantes, je voudrais y apporter quelques remarques supplémentaires. C’est vrai, Sans-Détour utilise le crowdfunding pour faire de la prévente, et enrichir son Edition Prestige sans risque financier. C’est vrai aussi, le rôliste qui n’aura pas souscrit (au prix fort) pendant la campagne sera contraint d’acheter les bouquins en boutique, en version normale, par définition moins riche que la collector. Jusque là, d’accord.
Mais parler d’une « industrie » du JdR, présentant Sans-Détour comme un acteur « installé » sous prétexte qu’il édite L’Appel de Cthulhu, c’est un peu réducteur. Cette maison d’édition n’est pas une grosse structure, on est très loin de Wizards of the Coast et d’Asmodée ! Un éditeur comme Sans-Détour à parfaitement la compétence pour produire des jeux d’excellente qualité, mais pas forcément en avançant les fonds. S’il est probable qu’ils auraient pu éditer la 7ème édition sans financement participatif, je pense qu’ils n’auraient simplement pas pu la rendre si belle et riche !
Je vois plus ça comme une proposition : « Précommandez le jeu, et nous garantissons une édition de rêve. » Connaissant le travail irréprochable de l’éditeur sur la 6ème édition, je leur ai fait confiance. Et je crois que j’ai bien fait.
Finalement, c’est peut-être Ulule qui devrait interdire ce genre de détournements, mais même en dehors des retombées financières on comprend trop bien que la plateforme préfère afficher d’éclatants « financé en 10 minutes » que d’envoyer chez Kickstarter les organisateurs de campagnes semblables.
Rémunérer les auteurs
La plupart des commentateurs insistent également sur la juste rétribution, due aux auteurs et illustrateurs du jeu. Je cite Picth à nouveau.
L’éditeur qui arrive à financer tout ou partie de son projet grâce à la souscription, même quand il livre ses donateurs à temps, en profite systématiquement ensuite pour faire des bénéfices en continuant d’exploiter le titre en librairie. A mon sens, tout excédent devrait être reversé presque exclusivement aux auteurs et illustrateurs du projet, car je me permets de la rappeler : si traditionnellement les profits vont à l’éditeur, c’est uniquement parce que celui-ci est sensé avoir pris un risque financier en amont.
On ne me verra évidemment pas lutter contre la rémunération des auteurs. Sauf que voilà, dans le cas présent deux cas de figure se présentent :
- Les auteurs américains qui ont écrit le jeu. Sans-Détour à acheté les droits d’exploitation, peut-être les royalties sont-ils indexés sur les ventes ? Quoi qu’il en soit, ce genre de licence est très coûteuse et il est probable que l’éditeur doive renflouer ses caisses. Je ne m’en fais pas pour les auteurs américains qui vendent leur licence au monde entier. Et la négociation reste entre eux.
- Les auteurs, traducteurs, illustrateurs et scénaristes français, qui ont produit le contenu exclusif de l’édition française. Et là, c’est moins simple.
- Soit ils sont « externes » comme Tristan Lhomme qui signe plusieurs très bons scénarios notamment dans Aventures Effroyables… Dans ce cas je subodore que la rétribution se fait à la production (un scénario, un chèque), et qu’elle a été négociée.
- Soit on parle de Christian Grussi, Piotr Borowski, Lisette Hanrion, Samuel Tarapacki, Loïc Muzy… les créateurs « internes ». Car oui, auteurs et éditeurs sont en partie confondus, une bonne part de la rédaction des scénarios, de la mise-en-page et de l’illustration est faite maison !
On ne peut que militer pour la juste rémunération des auteurs, mais il faut reconnaître la grande diversité des profils d’un projet comme L’Appel de Cthulhu 7 en français. Les membres de Sans-Détour ne sont pas de simples vendeurs de goodies qui s’enrichissent sur le dos d’auteurs malmenés : ils sont auteurs eux-mêmes ! Quant à savoir si les américains, les traducteurs, illustrateurs et scénaristes occasionnels, ainsi que les prestataires (PAO et impression) ont été payés en proportion du succès de la prévente, rien ne nous permet de le dire, ni de dire le contraire.
Les boutiques et les indépendants
Une dernière inquiétude mérite qu’on s’y arrête. Je laisse cette fois la parole à Guillaume Coeymans.
Il faut dire qu’en passant par du crowdfunding, on court-circuite les boutiques, piliers de la culture rôliste. Certains prennent cela en compte, comme Raise Dead et le financement du retour d’INS/MV qui comporte des contreparties dédiées aux boutiques ou encore Knight et ses contreparties boutiques.
La tendance est plus profonde que ça : la lame de fond numérique remet en cause des pans entiers de l’économie traditionnelle (allez demander à la presse écrite). Le marché du JdR est déjà structurellement non viable, et le voilà en proie à une « uberisation » qui redéfinit des équilibres stables jusqu’ici.
Comme le remarque Guillaume, ce n’est pas une raison pour zapper le circuit des boutiques. Et même si ma boutique à moi fait largement plus de beurre sur les t-shirts Game Of Thrones et les mangas que sur le JdR, Sans-Détour aurait dû les associer au projet avec des paliers spécifiques. Nous sommes d’accord.
Il serait tentant de tirer à boulets rouges sur ceux qui épousent les nouvelles tendances, et gagnent de l’argent avec. Avec son marketing (très) bien orchestré, Sans-Detour détonne dans l’ambiance bouts-de-papier-et-photocopies-maison des jeux à l’ancienne (quand on est habitués à des bouquins gaulés comme des tracts du parti communiste, ça surprend). Mais c’est parce qu’ils utilisent Ulule comme une plateforme de marketing et de prévente qu’ils peuvent viser un tel niveau de qualité.
Ces préventes collectors n’enlèvent rien aux projets de financements participatifs de titres plus confidentiels. L’Appel de Cthulhu ne leur fait pas plus ombrage sur Ulule qu’en boutique ! D’ailleurs Pitch le dit lui-même : les projets de ce genre n’ont jamais été aussi nombreux. Alors, réjouissons nous ! :)
-Saint Epondyle-
M’en fout, j’ai pris le forfait sacoche ombre… et il y a des offres revendeurs… et tu as tout résumé…
« Le jeu de rôle est mort, Hô mon Dieu ! »
« Le jeu de rôle fait un carton, Hô mon Dieu², où va l’argent ? »
L’argent permet à Sans-détour d’envisager l’avenir, ce qui n’est déjà pas mal dans ce monde. Quand ils existeront toujours dans cinq ans, on sera bien contents. Si Casus Belli avait relancé la machine avec un financement participatif avec des abonnements de 1 ou 2 ans avec des super trucs, on les aurait fait chier aussi ?
Sérieux, c’est des éditions de luxe, bichonnées, on est sûr d’avoir mieux que ce qu’ils auraient sorti sans ça, et chaque équipe de jeu de rôle peut mettre 20 ou 30 balles chacun pour le payer au groupe, alors merde.
On en rêve depuis qu’on est ados, et on est heureux de faire découvrir et perdurer cet enthousiasme aux jeunes ? Est-ce qu’on s’est bougé le cul pour négocier les droits ? le traduire ? refaire des scenars ? des dessins ? monter une structure ? Non, alors on se tait et on achète en disant merci de pouvoir profiter de notre hobby dans des conditions d’une telle superbitude. ça valait le coup d’inventer un mot !
Pour le reste, que les aigris se battent.
PS : J’ajoute que ces succès doivent plutôt booster les projets plus confidentiels. Perso, j’y vais plus depuis la V7.
Voilà.
Vous avez raison, les éditions Sans-détours tractent l’ensemble de la communauté et propose du contenu de qualité et vraiment magnifique. J’ai moi-même remis le pied à l’étrier grâce à eux puisque l’appel de Cthulhu et mon JDR de coeur, de mon enfance. Le Jeu de rôle leur doit beaucoup.
Cependant, ce qui m’a gonflé, c’est ce pseudo financement de 10000euros de départ (somme basée sur quoi d’ailleurs?) pour crier à tue-tête ensuite que le Crowfunding a été atteint en moins de 10 minutes. Quelle surprise quand on voit le financement précédent et sa population! À cela s’ajoute le fait que la somme énorme récoltée pour la V7 ( dont j’étais un des heureux contributeur) devait aider d’autres projets. Ah bon? Lesquels? La communication est opaque sur ce point. J’ai donné mon argent avec plaisir pour un matériel Hors-norme, croyant vraiment avoir participé à un financement qui lancerait d’autres projets. Et là, on repart pour un tour comme si de rien n’était? Je suis déçu, voilà tout.
Ne vous en déplaise, je ne trouve pas ce financement honnête tel qu’il est géré, par principe. Ce n’est pas être aigri, c’est juste trouver ça ridicule.
Tant mieux si ça marche, tant mieux si l’argent va dans les bonnes poches. J’aime bien quand des entreprises réussissent. Une fois que j’aurais explorer mes 8 kilos de matos, il y a même de très forte chances que je passe dans ma boutiques pour acheter les « 5 supplices » l’année prochaine. :)
Mais j’aime pas que l’on m’infantilise trop. Je suis déjà assez immature comme ça ;)
Bisous les « rôlistes ».
Perso si on peu skiper la case boutiques, offrirent un produit de qualité en diminuant les coup en retirant des intermédiaire, c est uniquement a l aventage de l acheteur qui débourse moins.
Pourquoi s entêtée a défendre des modèle d affaire qui s épuisés et ne sont plus adapter au 21e siècle.
Parce que ces magasins sont tenus par des passionnés qui peuvent donner des conseils, transmettre leur savoir et leur expérience, organiser des parties pour initier, parce que c’est convivial, parce qu’on peut discuter, rencontrer d’autres rôlistes, connaître les clubs des alentours.
Je pense qu’il faut s’adapter, tu as raison, mais on peut très bien conserver les deux méthodes, qui sont complémentaires. Entre deux financements, tu seras tenté d’aller en boutique pour renifler d’autres choses, les toucher avant de les acheter, demander des avis.
As-tu regardé le Catalogue 2016 des Produits à Venir de Sans-Détour, je crois que non. As-tu remarqué que plusieurs livres ont été offert gratuitement à ceux qui ont participer au ULULE et qui ne sont pas disponible gratuitement en Boutique, etc. Sans-Détour ne fait pas uniquement que du Cthulhu, mais aussi d’autres produits.
Voici le Catalogue 2016 de SANS-DÉTOUR : http://sans-detour.com/index.php/News/les-chroniques-de-sans-detour-3-disponibles-en-pdf.html
Bonne analyse, et tant pis pour les rageux. C’est une technique de vente comme une autre, et si elle fonctionne, ils auraient bien tort de s’en priver. Pour les boutiques, il faut juste se rappeler qu’aucune aujourd’hui ne vit grâce au JDR. C’est toujours un à-coté. Peut-être que moins de débutants découvriront le JDR s’il n’est plus en boutique, mais en même temps, SD a visiblement touché au dela du strict public roliste avec la V7 et donc déjà agit pour élargir le monde des rolistes.
Hello !
Merci pour la citation :) (et pour ne pas avoir écorché mon nom x) )
Je trouve ton avis intéressant, comme toujours, tu apporte une nuance bienvenue. Quelque part le souci que l’on relève n’est pas le fond (c’est à dire lever des sous pour des projets) mais le fait que cela passe par du financement participatif, ce qu’on peut trouver de mauvaise foi. Pourquoi dans ce cas, ne pas proposer le CF directement sur leur site ? Comme à pu le faire Black Book ou d’autres, dans ce cas, je pense que je serais moins irrité par la démarche :)
Hey salut !
Honnêtement je ne vois pas trop ce que ça change. Est-ce juste une question de vocabulaire ? Ça ne fait pas d’ombre, même si effectivement c’est de la présente. Tu m’explique ?
A+
En effet, c’est surtout un problème de vocabulaire ou tout du moins de forme, c’est compliqué à expliquer, mais je pense qu’ils auraient pu passer par une plate-forme interne. Le recours à Ulule ne se justifie pas directement à part pour profiter du levier marketing (et ils prennent une marge n’oublions pas)
C’est un peu comme si on Renault se servait d’une initiative dédiée aux nouvelles marques innovantes pour promouvoir la nouvelle Clio, alors qu’ils ont les moyens de le faire de leur coté. Je trouve ça pas super honnête en fait ^^
Oui enfin développer une plateforme interne c’et un sacré boulot, surtout si d’autres existent moyennant petite commission…
Enfin ! Ton avis me semble plus clair. On n’est juste pas d’accord sur le recours au financement qui pour moi se justifie dans la qualité de l’édition proposée. Et Sans-Détour n’est pas Renault ! Si le principe est le même, l’échelle n’a rien à voir du tout. :x
Effectivement, l’analogie est un peu bancale à froid ^^
Le développement en interne à un coût c’est sûr, mais je crois savoir qu’ils ont débloqué pas mal d’argent avec la dernière campagne pour justement ce genre de projets :)
Mais discussion intéressante =)
Allez, en guise de conclusion (?) je dirais que je préfère qu’ils utilisent mon fric à sortir d’autres bouquins qu’à réinventer Ulule avec leur logo dessus. ;)
Oui discussion intéressante. J’ai vraiment essayé de tourner mon article en quelque-chose de constructif pour éviter de déraper en pugilat : sur le net ça peut aller vite. Je suis content qu’on puisse parler tranquillou.
Le % d’Ulule est en moyenne de 5.39 % (ca dépends du mode de paiement), soit 410 000 * 5.39% = 22.000, soit un bon départ pour financer une plate-forme interne, qui pourrait être rentabiliser dans le temps, car j’imagine que vu le succès des deux premières campagnes, Sans-Détour va surement relancer des campagnes.
Je suis d’accord avec gcoeymans sur le sens apporté à un financement participatif sur Ulule, qui donne l’impression de créer une projet grâce aux sommes récoltés, alors qu’on est plus dans une participation collective à l’amélioration de bonus d’éditions spéciales, et non pas d’aide à la création d’un projet. La différence peut sembler fine, j’en conviens, mais elle est quand même présente.
Et je comprends l’argument de « l’argent récolté sert à la création de contenu français exclusifs », mais Sans-Détour reste trop flou sur les détails pour qu’on puisse réellement ériger ce point comme argument précis. Le coût des ouvrages offerts et des bonus (hors du prix marginal, mais aussi le prix humain de la gestion de projet, de création, de l’empaquetage, etc …) existe bel et bien, mais comme il nous est impossible de savoir en quelle mesure, difficile d’imaginer quel part précise du budget récolté permet réellement d’aider d’autres projets.
Merci en tout cas pour cet article, à l’avis éclairé :)
Oui mais non, car d’une sans Détour n’avait pas les 22000€ empochés par Ulule avant le financement participatif, et n’aurait donc pas pu les investir, et deuxièmement ce n’est ps leur métier d’éditeur ! Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’ils auraient absolument dû créer un site boutique pour vendre l’Appel alors que diverses solutions existent déjà.
Par contre je te rejoins sur le manque de transparence, le fait que cette « polémique » existe prouve bien la lacune à ce sujet.
Merci pour ton éclaircissement sur la marge d’Ulule en tous cas. Ça explique aussi pourquoi la plateforme n’a aucune envie d’envoyer Sans-Détour voir ailleurs.
De mon point de vue de technicien, la ligne est déjà franchie par la présence même d’une boutique sur le site de Sans-Détour, qui est donc déjà un marchand grand public par la présence de cette boutique, et plus seulement un éditeur (même si la logistique est assurée ailleurs, la gestion boutique quotidienne est bien déjà en interne). Le développement par la société qui a déjà créé leur boutique, d’un module devrait pas être si couteux, de la même manière ou presque que l’a fait BBE, comme le disait déjà un lecteur un peu plus haut.
Ensuite, le travail de modération fait sur la campagne Ulule (bien ou mal, à chacun de voir son ressenti), serait le même que celui de gestion des campagnes sur leur propre boutique.
Pour moi, la barrière du seul métier d’éditeur est déjà franchi, reste l’argument de la visibilité qu’offre Ulule.
Mais je te rejoins sur le fait que beaucoup de polémique qui court actuellement sur les CF et les éditeurs de JDR pourraient rapidement être désamorcées grâce à un poil plus de transparence :).
(Je crois que j’ai un souci, quand je clique sur répondre, cela ne s’imbrique pas dans les fils comme les autres, désolé pour cette erreur de manip :( )
(Oui le bouton de réponse est buggué, ça m’énerve !)
Je pense qu’on a une divergence de point de vue, mais pas irrémédiable. Personnellement l’usage d’Ulule ne me gène pas, toi et Guillaume n’êtes pas d’accord. J’ai quand même un peu de mal à voir où est le mal, justement. :x