Rencontre avec Pierre Rosenthal : Les années Casus Belli

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Pierre Rosenthal par Enki Bilal, la classe ultime.

« On se retrouvait à côté des mots-croisés ou de la BD,
mais on était là ! »

Pierre Rosenthal est un nom qu’on entend assez vite lorsqu’on orbite dans le petit monde du jeu de rôle. (Pourtant mon orbite à moi est plus que restreinte, car en dehors de mes articles de blog je ne parle et pratique le JdR qu’avec mes amis.) Mais lorsque j’ai croisé Pierre au salon Geekopolis, l’occasion était trop belle pour la laisser passer. Je lui proposais donc de nous retrouver au Dernier Bar Avant la Fin du Monde (à Paris), pour parler JdR.

Avec la simplicité décontractée du passionné qui n’a plus rien à prouver, il a accepté de m’accorder deux heures de son temps. Vu la richesse de notre échange, je vous le propose à présent en pièces détachées. 

Discussion avec Pierre Rosenthal

Saint Epondyle « Je joue avec mes potes depuis une douzaine d’années, mais je ne connais rien du « milieu rôliste ». En fait je ne connais même pas ta contribution à cet univers. Et si on reprenait depuis le début ?

PIerre Rosenthal A l’origine, je suis un fan de BD et de science-fiction. A la fin des années 70 je lisais le magazine Métal Hurlant, la bible dans ces domaines. Après avoir lu Les Seigneurs de l’Instrumentalité, je suis allé leur demander sur un stand s’ils comptaient en parler. Leur chroniqueur SF venant de se barrer, et ils m’ont proposé d’écrire un article sur le sujet. A part des rédacs au lycée je n’avais jamais rien écrit, mais j’ai passé le week-end entier à écrire une vingtaine de lignes, au moins trente fois ! Le lundi suivant, ils me répondaient « C’est pas si mal, est-ce que ça t’intéresse de continuer bosser pour nous ? » Et voilà.

C’était un job de rêve : je recevais tous les bouquins de SF, je devais les lire et chroniquer ceux qui me plaisaient. J’ai du faire une seule critique négative, et je m’en suis voulu après parce quand tu as 30 bouquins dont tu peux parler, c’est pas la peine de descendre ceux que tu n’aimes pas. Une anecdote rigolote : Trois ou quatre mois après que je commence, Philippe Manœuvre (qui dirigeait le magazine) me propose le recueil d’un auteur encore pas très connu, et me dit « Je sens que ça va être un type d’enfer, ses nouvelles sont fabuleuses ». Effectivement, j’ai trouvé ça bien. Manœuvre avait vraiment du flair : c’était le premier recueil de nouvelles de Stephen King.

J’étais super content d’écrire des chroniques SF (j’en lisais depuis que j’avais onze ans, j’étais fan de Mœbius, Bilal, Druillet…). J’étais en math-sup et math-spé quand j’ai commencé à écrire puis, pendant deux ans d’école, je n’ai pas pu continuer pour Métal Hurlant. Alors j’ai travaillé dans des petits magazines locaux, Le Bonhomme Libre à Caen qui avait besoin de quelqu’un pour écrire sur la SF. C’était aussi la période de la Radio Libre, sympa parce qu’on faisait ce qu’on voulait. Je parlais BD et SF, une heure de chaque. Le principe était simple : on passait de la musique et je parlais de ce que je voulais, j’allais à Paris faire des interviews de dessinateurs et je parlais des bouquins que j’avais lus.

Si ça avait existé, tu aurais sans-doute fait un blog ou un webzine, non ?

Oui mais j’aimais bien l’oral, c’est plus sympa. L’écriture c’est un autre exercice.

Comment es-tu arrivé aux jeux-de-rôle ?

Dans mon école d’ingénieur un club s’était créé et je me suis inscrit. C’est là que j’ai joué pour la première fois à Donjons & Dragons. J’avais bien essayé avant mais je m’étais fait jeter d’un club parce que j’étais venu avec une boîte de Donjons & Dragons en 1981, et qu’on m’avait répondu « T’es trop nul on joue à Advanced Donjons & Dragons ! » Comme quoi les querelles de chapelles ne datent pas d’hier, alors qu’il n’y avait pas grosse différence.

Au début je n’écrivais pas trop de scénarios. J’ai retranscris celui d’un copain qui m’avait beaucoup plu et je suis allé voir Casus Belli, qui recherchait des gens, pour voir s’ils voudraient le publier. Comme je leur ai dit que j’avais bossé pour Métal Hurlant, Didier Guiserix [rédacteur en chef NdStEp] m’a proposé d’écrire des petits articles et de faire de la relecture pour eux. J’ai commencé en tant que pigiste tout en travaillant à côté et en faisant toujours quelques critiques pour Métal Hurlant. Puis ils m’ont proposé de passer à mi-temps, abandonnant mon ancien job et divisant mon salaire d’ingénieur par deux ou trois. Par contre je bossais dans un truc qui me plaisait vraiment !

Dans un magazine, le rédacteur en chef donne le ton et la direction générale ; le secrétaire de rédaction relit tout, valide la structure et la langue des articles ; le maquettiste s’occupe de la mise-en-page. Je suis devenu rédacteur en chef adjoint, je relisais tous les scénarios que nous envoyaient les lecteurs, une centaine par mois, qui s’accumulaient dans un coin. Avec Didier Guiserix et la secrétaire de rédaction on décidait de quoi on allait parler chaque mois, on choisissait les trois scénarios mensuels et on y ajoutait les articles sur lesquels ont voulait écrire. En général je préférais qu’on donne les articles à écrire à des gens extérieurs, pour avoir des avis différents, de nouvelles plumes, et constituer un vivier d’auteurs. Mais chaque fois qu’il y avait un truc à faire nous-même, un article de trois pages, une ligne, une colonne, je faisais un peu le bouche-trou. Le principe c’est qu’on touchait à tout et qu’on faisait ce qu’on voulait.

Il n’y avait pas encore de logiciels de mise en page, même si par la suite on a découvert le Macintosh qui nous a fait gagner du temps en maquette. On imprimait des bandes de papier qu’on découpait pour les recoller en planches plus grandes. Ensuite on photocopiait. J’ai participé à la mise-en-page, mais lorsqu’on avait déjà le premier logiciel de maquette.

Tu as été rédacteur en chef de Casus ?

Jamais, mais j’ai eu l’idée de faire un jeu qui soit propre au magazine. J’avais déjà eu l’idée de SimulacreS, alors c’est devenu notre premier hors-série. Quand on l’a proposé à notre directeur financier, on n’était pas encore en kiosques je crois (on ne vendait qu’en boutiques et par abonnement). Il nous a répondu « Si vous arrivez à sortir votre hors-série en temps et en heure, on verra pour les autres. Mais si vous n’y arrivez pas, vous n’aurez plus jamais le droit de me demander d’en faire ! » Je crois que c’est la fois où j’ai le plus travaillé dans ma vie, trois jours de suite en dormant une heure et demie. Et on est sorti quatre heures avant la deadline !

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Premier hors-série de Casus, consacré au jeu SimulacreS de Pierre Rosenthal.

Le hors-série SimulacreS contenait le jeu, des scénarios et des univers. Le principe c’était un système générique sur lequel greffer un univers au choix. On en proposait quatre : médiéval fantastique, science-fiction… on les présentait succinctement, avec un même système pour jouer à tout et un scénario de trois ou quatre pages pour démarrer tout de suite. Ça permettait de proposer dans les numéros suivants des scénarios de jeux peu connus, tout en donnant les quelques éléments qui permettaient de l’adapter pour SimulacreS. Ça limitait le gâchis pour les gens qui n’auraient pas eu le jeu concerné.

Ensuite je suis devenu rédacteur en chef des hors-séries (même si on s’adaptait au sujet, comme pour le numéro spécial wargames que je n’ai pas dirigé). Sur les vingt-sept hors-série de Casus j’ai du en faire vingt-deux ou vingt-trois. Didier restait rédacteur en chef des numéros normaux (et je l’aidais toujours). De toute façon, on avait un budget tellement réduit qu’il fallait faire avec. Celui-ci étant fixe pour chaque hors-série, je faisais moi-même la maquette pour dégager un budget pour les dessins où les plans supplémentaires lorsque je voulais en ajouter. C’était vraiment un truc de passionnés.

Ça a quand même duré un certain temps !

A l’origine Casus c’était La Lettre de la Fédération du JdR, un fanzine créé par François Marcella-Froideval [qui devint notamment l’auteur des Chroniques de la Lune Noire NdStEp], avec Didier Guiserix qui faisait les dessins et les maquettes. François a eu l’opportunité d’aller aux États-Unis pour travailler sur Donjons & Dragons, il a revendu le titre à Excelsior Publications, qui s’y intéressait parce qu’ils possédaient les relais Descartes. C’est pour ça qu’on était, au début, distribués uniquement en boutiques. Pour faire de la pub aux jeux Descartes. Comme c’était un gros groupe de presse, on avait accès aux services généraux, on avait des locaux, pas besoin d’organiser les abonnements qui étaient gérés par le groupe, ni les imprimeries qui tiraient déjà les autres titres d’Excelsior. Et plus important encore, on profitait de la diffusion ! Essaie de diffuser un magazine en kiosque, l’argent ne revient que quatre mois plus tard donc il faut de la trésorerie. Beaucoup de magazines ont coulé à cause de ça, et parce qu’ils n’étaient pas bien placés dans les kiosques à journaux. Dans notre cas, les représentants du groupe faisaient la tournée des points de vente pour contrôler la diffusion des autres titres, et en profitaient pour faire de la pub pour Casus. On se retrouvait à côté des mots-croisés ou de la BD, mais on était là ! On était rentables, mais si tu ne pouvais pas vivre pendant six mois en attendant le retour de tes ventes, tu coulais.

Si nous avons coulé c’est parce qu’avec l’arrivée d’Internet on n’avait moins besoin d’un magazine de news, et les ventes baissaient. Sans doute qu’on n’a pas évolué comme on aurait dû, c’était le début de ce qu’on a appelé « la crise du JdR ».

Es-tu encore actif dans le milieu du JdR ?

Pas vraiment, même si je joue encore avec mes copains. Par exemple je ne vais plus en boutiques toutes les semaines. Ça faisait deux ans que je n’étais pas allé à L’Œuf Cube [magasin de JdR le plus ancien de Paris, NdStEp] tu vois. Maintenant je vois les news sur Internet mais je n’achète plus grand chose, je joue avec ce que j’ai. »

-Propos recueillis par Saint Epondyle-
Un énorme merci à Pierre pour m’avoir accordé un interview-fleuve dont vous venez de lire le premier extrait thématique. 

12 Commentaires

  1. très intéressant pour les gens qui comme moi n’ont pas eu l’occasion de connaître tout ça ; une sorte de fenêtre sur le passé (méconnu dans mon cas) !

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