Tuer ses PJ : la mort en JdR

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mort en jdr
Artiste inconnu.

Le JdR donne à la mort une place à la fois centrale et paradoxale, qui diffère beaucoup en fonction des jeux, des types de parties, du rôle des protagonistes et des habitudes de chaque table. Pour compliquer le tout, le sujet a également divisé les rôlistes depuis toujours à travers les continents et les époques. Chacun à sur le sujet un avis plus ou moins tranché, et croyez-le ou non, je m’apprête à vous donner le mien.

Quand je dis que la mort à une place centrale, c’est peu dire. Que l’on soit au cinéma, en BD, en littérature ou en JdR, l’aventure est quasi-obligatoirement liée au trépas d’au moins un protagoniste. Quand on passe à des histoires de guerre, de batailles et de bastons en tous genres, la mort devient vraiment omniprésente. C’est pourquoi le Meujeu bienveillant en quête d’une partie d’anthologie pour sa table de joueurs exigeants devra tôt ou tard se poser la question de la place de la mort dans sa partie.

De manière générale, la mort pourra avoir trois rôles différents dans une partie : le rôle de ressors scénaristique, le rôle d’adversaire, et le rôle de moyen d’action. Après une petite analyse de chacun de ces rôles, j’essaierai de considérer la place du Meujeu par rapport à ceux-ci.

La mort comme ressors dramatique

L’écriture d’un scénario est un exercice (très) difficile auquel la plupart des Meujeux se confrontent un jour. Et qu’ils soient fait maison, récupérés sur internet ou issus du commerce, les scenarii utilisent presque toujours la mort comme ressors dramatique. Par exemple, la mort d’un personnage peut-être le prétexte au démarrage du scénario, ou celui de la première rencontre entre les personnages. Inversement, c’est souvent pour éviter la mort d’un, ou plusieurs personnages (voire d’une population) que les PJ se jettent dans l’intrigue. On est alors dans un scénario classique de la course pour empêcher un drame de survenir (comme la fin du monde, au hasard). Attention toutefois à ne pas utiliser la mort comme un ressors obligatoire et quasiment unique à vos scénarii. Une surutilisation risquant de la galvauder, de la dédramatiser et donc de lui faire perdre toute sa puissance narrative.

Car justement, la mort d’un individu est un événement en théorie doté d’une forte dimension affective. (avec éventuellement des conséquences politiques, sociales, économiques…) Malheureusement, sa trop grande utilisation l’a totalement fait passer dans les habitudes de la fiction (cinéma aidant), à tel point que tout autre ressors parait insignifiant. D’ailleurs, certains groupes de joueurs n’y accordent plus aucune importance et effectuent leurs quêtes uniquement dans l’attente d’une récompense substantielle plutôt que mus par le désir sacré de sauvegarder la vie.

Pourtant le fait de mettre en scène des enjeux différents, plus courants et éventuellement plus personnels pour les joueurs peut-être tout aussi passionnant. De plus, c’est en faisant peu apparaitre l’enjeu vital que celui-ci prendra toute sa force lorsqu’il s’agira vraiment d’une question de vie ou de mort. Pour prendre un exemple, il vous sera difficile de motiver sincèrement vos joueurs de Donj à sauver le monde au niveau 20, lorsqu’ils auront déjà sauvés des millions de personnes dans leurs aventures précédentes. Ils le feront bien-sûr, mais sans dramatiser la situation, et au pire en produisant un anti-roleplay néfaste et anti-épique pour votre partie.

Enfin, la mort d’un personnage peut être le enjeu dramatique ultime lors d’une partie ; tellement dramatique qu’il peut facilement plomber votre partie. J’y reviendrais plus en détails dans la suite de l’article.

La mort comme adversaire en JdR

Que ce soit pour sauver quelqu’un, une communauté, ou pour leur propre vie, il arrive très souvent que les PJs aient la mort pour adversaire. Encore une fois, cette situation s’est tellement vulgarisée qu’elle a en général perdu beaucoup de sa puissance narrative. Toutefois, il est bien possible de retrouver un côté épique (ou stressant) dans la partie, lorsque les PJs savent bien que non seulement ils peuvent échouer dans leur mission (provoquant la mort de X personnes), et/ou carrément y périr eux-mêmes. Une telle situation nécessite quand même que le Meujeu ait prouvé sa capacité à trancher dans le vif au besoin. Personnellement, et j’y reviendrais après, je suis partisan de l’idée que les personnages aient de vrais risques de mourir.

Plus figurativement, les jeux fantastiques offrent à l’occasion la possibilité d’affronter la mort, au sens propre. C’est notamment le cas lors des combats contre des morts-vivants ou des nécromanciens. Ici, la mort est clairement personnifiée, et l’on peut la combattre à coups de masse dans les dents (qu’elle a pointues). Un jeu comme Donj par exemple permet à l’occasion de combattre la mort directement en son domaine, grâce au système des plans d’existence. A son décès, un personnage n’est pas basiquement « détruit », mais transporté vers le plan de la mort (celui de l’ombre, je crois). Là bas, il pourra éventuellement trouver le moyen de revenir parmi les vivants, avec un sortilège de changement de plan ou de résurrection par exemple.

D’autre part, certaines occasions permettent de combattre la faucheuse, l’arme au poing. Une victoire offre un retour chez les vivants, alors qu’un décès emporte le personnage à jamais dans les limbes de l’oubli. Dans ce genre d’approche, la mort d’un personnage est définitive à bas niveau, c’est un challenge à niveau intermédiaire, et devient carrément anecdotique dans les sphères épiques. Ceci pose problème, puisque finalement les personnages suffisamment puissants ne peuvent plus connaitre le trépas du tout. A très haut niveau, ils auront beau s’entretuer dans les duels les plus épiques qui soient, leur mort ne fera que les envoyer dans un plan dont leurs pouvoirs extraordinaires ouvriront bien aisément la porte. C’est une incohérence majeure dans la cosmologie donjesque.

Jouer avec la mort

Qu’on ne me dise pas le contraire : les joueurs ont beau être les plus bienveillants qui soient, ils finissent toujours par attenter à la vie d’autrui. La situation la plus fréquente, et qui justifie plus ou moins toutes les exactions des PJs, c’est la légitime défense.

La situation est extrêmement répandue, dans laquelle les joueurs font mine de vouloir capturer vivant un adversaire, tout en sachant pertinemment que sa riposte les autorisera moralement à le passer par les armes dans le feu de l’action. C’est surtout le cas dans les jeux d’héroïc-fantasy.

Dans ces mêmes jeux, les adversaires sont très souvent non humains. Et bien que parfois doués d’une intelligence supérieure, les « monstres » sont très moralement massacrables. On pourrait se poser la question de savoir si un dragon noir vieux de mille ans ne mérite pas plus de considération (et sa vie plus de respect) qu’un vulgaire sanglier, mais étant donné que le jeu définit la créature comme intrinsèquement maléfique, autant en profiter pour la zigouiller et ramasser son lot de Po et d’Xp. Personnellement, une approche pareille ne m’inspire pas, tout comme le système des alignements est à mon sens totalement inapplicable dès lors qu’on essaie de quitter le porte-monstre-trésor.

Dans les jeux réalistes comme COPS, les bastons sont fréquentes et les PJs sont parfois amenés à flinguer à tout va. Même si cette attitude est toujours, ou presque, dans un cas de légitime défense, il serait intéressant d’en sortir pour permettre une interprétation plus logique et réaliste. En plus, ceci pourrait donner de réelles opportunités de jeu assez rares en JdR. (- Comme la culpabilité. – La quoi ? – Non rien, laisse tomber.)

Enfin, certaines occasions de jeu permettent d’interpréter des nécromants ou carrément des morts-vivants (comme dans la série des jeux Vampire). En général les personnages qui en résultent sont assez peu regardants, et n’hésitent pas à laisser derrière eux un sillage de cadavres. (Je me rappelle un certain Ricky…)

Et le MJ ?

Le positionnement du Meujeu face à la mort est un peu compliqué à déterminer et à assumer. L’approche de chacun dépendra totalement de l’expérience de jeu que le Meujeu et les joueurs souhaitent vivre autour de leur table. Malgré tout, il s’agit de créer un équilibre entre la mort comme outil dramatique, comme adversaire et comme levier de jeu pour les PJs.

Du côté des joueurs, la mort est diversement appréhendée. Alors que parfois elle peut traumatiser un pauvre donjiste qui a passé les quinze dernières années de sa vie à faire évoluer son spadassin-mage demi-elfe, elle peut aussi être prise totalement à la légère dans un one-shot, ou dans certains jeux comme l’Appel de Cthulhu, dans lequel l’espérance de vie est réputée assez faible. En fait, plus les joueurs seront attachés à leurs personnages et seront concernés par sa survie, et plus la mort sera difficile à leur faire admettre. Il s’agit donc de procéder avec un peu de finesse.

Quand on écrit l’histoire d’un personnage de fiction, le fait de raconter sa mort (et donc d’y participer en lui donnant la dramatisation qui nous plait) me parait personnellement préférable au fait de laisser une page blanche, sans suite. La mort a le mérite de clore un chapitre, et donc de ne pas le laisser se finir en jus de boudin, si vous me passez l’expression. Et ceci n’enlève rien à la passion qu’on a pu avoir à jouer son personnage, je dirais même au contraire.

Or, tous les joueurs ne partagent pas ce point de vue. Il est donc nécessaire d’en discuter pour savoir à quoi s’en tenir, et si le trépas de l’un d’entre eux sera vécu comme une attaque personnelle ou bien au contraire comme un élément du jeu comme un autre. Dans tous les cas, les joueurs ne devraient jamais faire exprès de mourir en adoptant un comportement suicidaire et illogique. Même dans les jeux d’horreur les plus infâmes et sales, les PJ devraient toujours faire le maximum pour rester en vie, car c’est ce que feraient de vraies personnes. Quand tout est perdu toutefois, ils doivent aussi pouvoir l’accepter. Aucun acte de roleplay n’est plus beau que le personnage de haut niveau, que le joueur adore et bichonne depuis toujours, se sacrifiant pour une cause qu’il considère juste. « Allez-y, je vais les retenir. »

Le Meujeu quand à lui doit pouvoir sauver ses joueurs en fin de partie (ou certains d’entre eux en tous cas) s’il juge que leurs efforts pour rester en vie, et leur interprétation face au risque de mourir le méritent. Rien ne fausse plus le jeu que lorsque la fin est déjà connue.

~ Antoine St. Epondyle

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