Le plan et le territoire imaginaire commun (2/2)

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carte jdr
Dungeon map practice, par billiambabble

Trouver n’est rien, c’est le plan qui est difficile.
– Fiodor Dostoïevski

 Cet article est la suite de La carte et le territoire imaginaire commun (1/2).

Tout aussi classique de la carte d’univers, le plan précis est pourtant assez différent dans son utilisation. En général, il sert pour le combat et les séquences mouvementées, ou pour décrire un lieu spécialement étrange, souvent à la demande des joueurs.

Depuis dix ans que nous jouons à notre table, nous avons assez vite troqué les feuilles volantes pour le tableau blanc. Il n’empêche, s’il est très pratique le plan de détail n’a pas que des avantages lors d’une partie de jeu de rôles. Contrairement à la carte, il comporte souvent des pièges que le Meujeu sagace à tout intérêt à savoir déjouer.

Faites donc un jet de Fouille, je passe devant !

Des joueurs et des donjons

Le plan de détail est un plateau de jeu. Il permet essentiellement de poser le décor lors des combats et de permettre à chacun de se situer dans l’action. Son rôle est de fixer l’imagination des joueurs sur une représentation claire au profit de la technique du jeu. Il rompt la libre interprétation du cadre au profit d’un territoire imaginaire commun clair, net, et aussi précis que possible. On évite les risques de cafouillage. Le plan est un outil tactique, plus pratique et flexible que le quadrillage avec figurines cher à Donjons & Dragons.

Mais utiliser un plan n’est pourtant pas la panacée ! Car il prend du temps, beaucoup de temps, et casse le rythme de la partie. D’un point de vue dramatique, les scènes d’action devraient être les moments où tout s’accélère, et où de bons réflexes peuvent sauver la vie. Dans le JdR c’est souvent l’inverse, à cause de systèmes trop procéduriers, de jets d’initiatives, de prises de décision à rallonge… et bien sûr des dessins tactiques. Un échange de tirs soudain, une passe d’arme éclair deviennent alors de longues phases de jeux poussives au tour par tour, assassines pour l’immersion de vos joueurs.

D’autre part, dessiner un plan y réduit souvent l’espace imaginaire commun : il devient le territoire ! Les joueurs n’imaginent plus leur personnage bondissant, deux sabres en main, face au tyrannœil déchaîné, ils voient leur petit pion avancer sur un fond blanc. Toute la richesse du décor et l’ambiance de la scène sont mis de côté au profit des seules informations utilitaires. Même en tant que Meujeu, j’ai souvent remarqué qu’en préparant mes parties, le fait de dessiner les plans de lieux m’incitait à réfléchir à plat, et en 2D. Or ceci n’est pas toujours logique, par exemple si l’on cherche à décrire une cathédrale, un chemin de montagne sinueux, une cascade… des décors bien plus verticaux qu’horizontaux ! Un plan classique ne permet pas de visualiser la hauteur, ni de jouer avec les différents niveaux. Impossible de suggérer le vertige avec un bête dessin au feutre velleda.

Enfin, il n’est pas toujours logique que les joueurs aient une bonne vision d’ensemble des couloirs obscurs de la cité abandonnée qu’ils arpentent, ni du nombre exact de leurs ennemis (qu’ils peuvent alors estimer avec un jet adéquat). Le fait de chercher à s’orienter est une composante essentielle de l’aventure, tout comme repérer un plan d’évacuation-incendie dans un lieu public, tracer à la main la carte de la Moria pour ne pas s’y perdre, où découvrir une Carte du Maraudeur à la Harry Potter, peuvent devenir des leviers passionnants de l’histoire. De même que pour la carte, à vous de vous demander si le plan doit-être un élément intra-diégétique (interne à la fiction) où extra-diégétique (externe à la fiction).

Du bon usage du plan dans le JdR

Une fois de plus, il faut trouver l’équilibre entre une approche narrative (on raconte une histoire) et une approche ludique (on joue à un jeu). Et je ne vous apprends rien si je vous dis que je suis plus sensible au roleplay et l’ambiance, plutôt qu’à une application exhaustive des règles.

  • Tactique ou pas tactique ?
    • En fonction du jeu et du type de partie, on pourra souvent se passer de plan. Un combat contre un adversaire unique (un gros dragon), ou l’exploration d’un sombre lieu hanté par le Mythe peuvent très bien s’en passer pour privilégier l’ambiance épique ou angoissante de la scène. Pour accentuer leur côté nerveux (et spécialement dans les jeux où l’action est rapide et violente), laissez tomber les plans -et l’initiative- lors des combats courts. Tout le monde parle en même temps, personne ne sait d’où viennent les tirs, ambiance !
    • Attention quand  même à ne pas pourrir la partie technique des systèmes qui lui font la part belle, et dans lesquels les distances précises, l’emplacement du Cône de Froid et de la Zone de Ténèbres peuvent relever de la vie ou de la mort ! Pour les combats longs et les batailles rangées, les joueurs voudront utiliser leurs personnages à plein, et un plan des lieux est alors nécessaire.
  • En tant que Meujeu, faites toujours des petits croquis de votre côté, avec toutes les indications sur les lieux d’aventures (indices, pièges, monstres, PNJs…), mais sans les donner à vos joueurs. Préparez plutôt une fiche de vocabulaire architectural ou naturel suffisamment riche pour décrire les subtilités de votre décor (mezzanine, corniche, belvédère…). Dessinez éventuellement des petits schémas et pensez en 3D, avec les richesses narratives, aventureuses et tactiques que cela suppose.
  • Faire dessiner un plan à la volée par les joueurs ne donne jamais de bon résultat sur le plan cartographique. Ils n’ont pas le compas dans l’œil et feront des dessins bancal, voire foireux. C’est un moyen idéal pour les perdre et les désorienter. Ne corrigez pas leur dessin, et si vous êtes sadique décrivez des choses incohérentes, en changeant d’avis s’ils retournent sur leurs pas pour les désorienter totalement (dans un labyrinthe par exemple).

J’ai trop souvent utilisé les plans et les cartes comme la réalité de l’univers du jeu. En l’absence d’un plateau, on a tendance à trop s’y appuyer et à confondre le territoire imaginaire et sa représentation. Pourtant, un des gros intérêts du JdR réside dans ses descriptions orales, à la fois riches et sujettes à interprétation. Même équipé de vos meilleurs feutres, vos dessins à la volée ne pourront pas bénéficier de la même richesse que votre parole.

Vos joueurs considéreront toujours vos cartes et plans comme la réalité de l’univers, l’occasion est bonne de les surprendre en leur prouvant le contraire. Ils comprendront alors que la vraie aventure se vit au grand air, dans l’incertitude et l’obscurité, plutôt qu’entre les quatre coins rassurants d’un tableau blanc, effaçable à sec.

-Saint Epondyle-

Auteur et journaliste SF, fondateur de Cosmo Orbüs

Fondateur de Cosmo Orbüs depuis 2010, auteur de L’étoffe dont sont tissés les vents en 2019, co-auteur de Planète B sur Blast depuis 2022 et de Futurs No Future à paraitre en 2025.

9 Commentaires

  1. super article une fois de plus…
    j’ai souvent eu ce probleme de la carte, d’autant plus que je n’ai pas de tableau blanc et avec du papier c’est un moins pratique

  2. Je ne sais pas si c’est juste mon groupe, mais j’ai l’impression que l’utilisation des plans et cartes dépend du jeu. Si mes joueurs n’en ont quasiment pas besoin avec L’Appel de Cthulhu ou Changeling : the lost, ils semblent incapables d’aborder un Donjon & Dragon sans.
    De plus, dans le cas des plans utilisés en combat, les joueurs ne voient plus qu’une surface où déplacer leurs personnages pour optimiser leurs attaques. Ils en oublient toutes les options tactiques et narratives offertes par la pièce. Ainsi, qu’ils se déroulent sur le pont d’un bateau ou dans une cuisine, tous les combats sont interchangeables.

    • C’est vrai, et c’est un peu regrettable. Tu as eu des idées pour éviter que les combats ne soient interchangeables ? La musique est déjà un bon moyen d’influer sur l’ambiance, mais en termes purement ludique, peut-être les règles optionnelles (qu’on ne sort jamais) mériteraient d’être utilisées pour les noyades, ou le déclenchement d’incendies respectivement dans un bateau où une cuisine. :)

      • En tant que MJ, je tente au maximum de prévoir des lieux étendus comme théâtre de l’action (une villa et son jardin, une cage d’escalier avec ascenseur,…). Je m’arrange aussi pour que les adversaires des joueurs improvisent des armes ou détournent des objets (draps pour aveugler, coup de pied dans une porte, mitrailler des fenêtres pour créer une pluie de débris de verre,…). Pour finir je ne fais plus de plan (ce qui demande une bonne vision dans l’espace et le temps et implique que les joueurs soient concentrés).
        En tant que joueur, je tente de faire la même chose, de trouver des actions qui utilisent les accessoires potentiels du décor en vue d’obtenir un éventuel bonus. Dans ce cas, je suis confronter au jeu (ou MJ, c’est selon). Avec Donjon & Dragon dont les règles de combat sont millimétrées, prendre des rideaux pour les lancer sur un adversaire demande trop de temps pour être intéressant et, de toute manière, les autres joueurs cherchent plus à optimiser leurs habilités qu’à faire des choses fun. Avec l’Appel de Cthulhu, la dynamique est déjà plus intéressante. Les personnages généralement sont inapte au combat et pas ou peu armés, ce qui oblige les joueurs à improviser et donc exploiter le décor (d’où une mémorable tentative d’ébouillanter un adversaire avec une soupe de poisson).
        En fait, il faudrait désarmer les personnages pour les pousser à saisir les opportunités liées au lieu du combat. Conclusion qui en fin de compte n’a que peu de lien avec le sujet de base, j’en conviens.
        Au sujet de la musique, je suis convaincu qu’elle peut apporter un grand plus, ne serait-ce que pour inscrire l’ambiance d’une campagne. Mais après une première tentative catastrophique, je n’ai pas eu la force de recommencer, mais j’y songe.

        • C’est vrai que la soupe de poisson dans D&D, c’est un peu sous-optimisé. :p
          Il n’empêche, les idées sont bonnes pour pousser la créativité des joueurs. De mon côté je trouve qu’il peut être marrant de -au contraire- les armes. Dans Cthulhu par exemple, j’ajoute toujours un fusil au scénar officiel lorsque je fais jouer le dernier chapitre du Ressac de Bryn Celli Ddu (v6 scénar officiel), ne serait-ce que pour voir comment ils s’en servent alors que leurs persos ne savent généralement pas l’utiliser.

          Sinon concernant la musique, je ne m’en passe plus. Et honnêtement, ça apporte énormément.

          • pour ce qui est du plan dans les combats de D&D j’avais pris l’habitude, après le papier, d’utiliser un échiquier et ses pions, à moitié par flemme et à moitié pour les aider à visualiser les positions tout en faisant appel à leur imagination :
            « -alors le gnoll passe entre le guerrier et le paladin pour attaquer l’ensorceleur par derrière
            -attends, le voleur qui lui bloquait la route puisqu’il est engagé contre le troll ?
            – heu… tiens regarde le cavalier c’est le gnoll, toi t’es la tour et le guerrier la reine, vous êtes placés comme ça »

            malheureusement à mon avis ça contribue encore plus à voir la salle comme un plateau de jeu (d’échecs, du coup) et à étouffer leur imagination roleplayistique.

            J’ai commencé à m’inquiéter de ça quand un de mes joueurs a dessiné un pion dans la case « portrait » de sa feuille de perso…
            (du coup je suis revenu au papier sauf dans les cas compliqués)

            • En effet le côté pratique est destructeur pour l’immersion ! Dans mon jeune temps (Ô rage, ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !) nous faisions a peu près pareil, avec des Lego médiévaux en guise de pions. Ici encore, le risque est de limiter énormément l’imagination des PJs, et vaut mieux des petites croix sur une feuille volante…

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