
Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit : ma table historique et moi avons du mal à nous réunir souvent pour jouer au jeu de rôle. Ce n’est certainement pas l’intention ni la volonté qui nous manquent, mais le temps à consacrer à des parties comme autrefois. Et si les campagnes longues de notre jeunesse nous laissent d’impérissables souvenirs et un parfum de regret évident, nous préférerons depuis plusieurs années nous consacrer à des séances en one-shot plus compatibles avec nos emplois du temps estudiantins. Maudite soit cette vie qui happe notre temps libre comme autant de délicieux nectar.
Bref, c’est dans ce contexte que nous avons eu l’idée (bien qu’elle ne vienne pas de moi) de tester un type de jeu un peu différent de nos habitudes. L’idée : aucune préparation préalable, le Meujeu dispose d’une heure au début pour concevoir un monde et un scénario à partir de contraintes imposés, tirés au sorts. Pendant ce temps, les joueurs conçoivent leurs personnages, eux aussi à partir de concepts mélangés et tirés au hasard. Par mesure de simplicité, et aussi un peu pour des raisons sentimentales, nous avons décidé de jouer sur Donjons & Dragons 3.5.
Concept de JdR d’improvisation
Là ou le concept est intéressant, c’est qu’en plus d’être réalisable en très peu de temps et sans aucun travail préalable, il impose à tous un vrai exercice de création en temps record. Bien sûr, les contraintes tirées par le Meujeu se doivent d’être créatives et intéressantes pour donner tout son sel à la partie ; et ce sans nuire au plaisir de jeu. Dans notre cas, nous avons décidé de ne pas dépasser deux ou trois mots sur chaque bulletin du tirage au sort. En outre, le Meujeu devait piocher un papier de chacun des chapeaux suivants.
- Univers, la contrainte doit concerner le monde ou le contexte de la partie.
Exemples : ville assiégée, préhistoire, espace… - Scénarios, on impose un type de scénario ou une structure narrative.
Exemples : porte-montre-trésor, intrigues à la cour, « la conquête de la liberté »… - Evènements, la contrainte cible un événement qui devra être mentionné ou utilisé pendant la partie.
Exemples : mascarade, empoisonnement, « des nazis ! »… - Monstres, concerne le type de monstres qui devra être rencontré à un moment ou un autre.
Exemples : jouets, lycanthropes, nuisibles… - Fun-facts, sans doute le point le plus délicat, doit concerner un point de règle qui sera modifié pour le temps de la partie.
Exemples pour D&D : Les coups critiques passent à 17+ et les échecs à 4-, les joueurs tirent leur classe aléatoirement, suppression de l’écran pour le Meujeu…
En plus de l’exercice de JdR sous contraintes, très intéressant en soi, cette nouvelle organisation a eu l’avantage de nous forcer à la rapidité. Ce qui, disons-le, n’est pas du tout notre habitude. Au lieu des dizaines d’heures de préparation habituelles destinés à tenir une histoire one-shot d’une bonne grosse journée de jeu (13h – 3h du matin en général), nous avons joué deux parties distinctes sur le même laps de temps.
Comme on pouvait s’y attendre, nos deux parties n’ont pas permis l’écriture de scénarios très sophistiqués. Pourtant, les personnages comme les univers de jeu ont été assez créatifs étant donné les contraintes que nous avons tirées. Plus encore, si tous nos papiers ne sont bien sûr pas sortis au départ, nous avons profité de l’émulation collective pour imaginer une pluie d’idées en tous genres, utilisables une prochaine fois.
La première partie a été orchestrée par le créateur du concept (nom de code Zz). Avec nos contraintes, nous avons joué une partie dans un contexte préhistorique, combattant les meutes de loups-garous et de vermines qui attaquaient notre espace de vie. Tant pis pour moi, j’écopais d’un grosbill sans cervelle en piochant la contrainte « débile à la massue ». Un très bon moment de jeu, très drôle, malheureusement terminé en jus de boudin sanglant à cause du trépas de notre groupe trop peu soudé.
La seconde partie s’est déroulée dans un théâtre franchement inattendu. Prisonniers d’un fortin nazi (!) en plein coeur de la forêt, nous avons profité des attaques de fées (!!) sur nos geoliers pour nous faire la malle, non sans avoir au préalable passés par les armes les « médecins » auxquels nous devions quelques séances de torture. Avec mon concept de « grand brûlé », je décidais de jouer un ensorceleur bon compagnon mais instable psychologiquement et sujet à d’occasionnels délires psychotiques. La routine.
Finalement, je garde de cette double-partie un très bon souvenir agrémenté de plusieurs réflexions. D’abord, ce type de jeu ne prend vraiment d’intérêt que lorsqu’il est joué avec des joueurs confirmés sur un jeu soit très simple d’accès, soit maîtrisé par tous. D’autre part, les idées de contraintes doivent être mûrement débattues au départ pour éviter de pourrir la partie en changeant radicalement l’équilibre des règles ou en imposant des contraintes d’univers trop restrictives. Dans notre cas, la liberté d’action et de second degré de D&D étaient vraiment parfaits. Personnellement, je regrette quand même les papiers de type « traître » comme contraintes de PJ, qui ont dessoudé le groupe et accessoirement quelques joueurs.
Je ne sais pas si ce genre de parties porte un nom, ou s’il est un mode de jeu habituel de certaines tables. Vu la part d’improvisation inhérent à chaque JdR, je doute que nous ayons été les premiers à essayer de jouer de cette manière. Toujours est-il que je le conseille pour les tables confirmées, ne serait-ce que pour chambouler un peu des habitudes en sortant de la zone de confort de tout un chacun, et de la routine du même coup. Quand à moi, je m’essaierai volontiers à l’exercice de l’autre côté de l’écran.
~ Antoine St. Epondyle
[…] See on saint-epondyle.net […]
Mais quelle bonne idée ! Fabuleuse ! Moi qui déteste les one-shot ou les jeux dit « apéros », alors là ça m’intrigue, car j’adore l’improvisation. En effet, aussi étonnant que ça puisse paraître pour les néophytes ou les débutants, improviser en jeu de rôle constitue bien la majeure partie de cette activité, je dirais même tout son sel. Je ne sais pas si ce mode de jdr porte un nom mais je dirais qu’il est inspiré des matchs d’improvisation ou de jeu tel que « Il était une fois » avec toutefois le cadre précis d’un vrai jdr. Du coup vous m’avez donné l’envie de tenter le coup car je trouve qu’en plus des parties entre copains, ça se prête particulièrement bien aux conventions, contexte dans lequel on a rarement beaucoup de temps et où on rencontre et joue avec d’autres joueurs que son groupe habituel. Dans ce cadre là ça doit être très stimulant et risque bien d’intriguer pas mal de gens. Je ne sais pas si vous connaissez le jeu de carte IMAGIA édité par les XII singes et illustré par le Grümph, mais ça peut bien coller avec votre idée. Il s’agit d’un jeu de carte multi-usage spécialement conçu pour le jdr, avec des illustrations évocatrice de tout un tas de choses. Il y a plein d’utilisations possibles lors d’une session, comme Tarot de prédiction par exemple. Mais il peut également servir en tant qu’outil de méta-jeu, afin d’introduire et d’imposer des éléments aléatoires dans la narration, soit par les joueurs soit par le MJ. Du coup je compte peut être l’utiliser pour simuler ce que vous faites avec vos bulletins, en tirant les cartes au hasard. En tout cas merci d’avoir rapporter cette très belle idée sur ton blog et je vous souhaite de passer d’innombrables bonnes heures de jeu avec ce mode bien particulier. Bravo !
Belle expérience en effet. Le côté émulation collective dans la mini-phase de préparation donne un pouvoir inhabituel au joueur, c’est agréable, et ça permet de faire chauffer l’ambiance. Le résultat est toujours inattendu et déjanté c’est fun. Par contre, le scénario ne peut qu’être du genre « oublie la finesse ».
Intéressant. En fait, c’est du jeu de rôles agrémenté de concepts piochés dans les compétitions d’improvisations, en quelque sorte.
Ce sont des concepts qui mériteraient d’être posé sur papier. Qui sait? On pourrait même les utiliser pour renouveler les « tournois » de jeu de rôles qui hantent encore les conventions (encore que, dans ce cas, j’aime bien les « défis » d’Octogônes).
Ca me rappelle un peu une expérience personnelle bien qu’un peu différente, en tant que meneur j’avais créé un scénario pour La Légende des Cinq Anneaux (1ère édition à l’époque, comme quoi ça date !) mais j’avais fait tirer au sort à mes joueurs aussi bien leur clan de base que leur classe de personnage ainsi que leurs avantages/désavantages, ne leur laissant que les points de personnages à répartir.
A la fin, on avait un groupe assez étrange mais on s’est énormément amusé. Depuis ces personnages là ont vécu de grandes aventures :)
Merci à tous de vos commentaires !
Tenez-nous au courant de vos expériences sur le sujet si vous mettez en place des parties inspirées de ce concept. :)
Très intéressant, surtout ton analyse de conclusion. Pour mes parties d’initiation en club, je préfère rester sur des jeux trad, mais avec mes joueurs réguliers je me caserai bien un petit test de ce genre.
J’ai déjà fait ce genre de chose (impro de dernière minute en tirant au hasard des sujets) mais pas sur un JdR, sur la création de Murder. Il est vrai que c’est alors très stimulant de travailler à plusieurs sous de telles « contraintes ».
La cerise sur le gâteau aurait été une petite vidéo, ou du moins un extrait mp3 de vos échanges durant la partie. Histoire de se faire une idée encore plus précise.
Merci pour ton partage.
malheureusement ça nécessite une équipe de vétérans. avec un niveau de maturité minimum et une volonté d’immersion
@ Le Prince Noir > En initiation, ça peut être intéressant de rester dans un domaine connu et sous contrôle. Personnellement j’ai souvent initié sur Cthulhu, le scénar du livre de base de la sixième édition. Parfait dans son genre.
Par contre, désolé, je ne fais pas encore de podcast. Un jour peut-être.
@ Robertleberserker > Pas nécessairement, mais disons que ça doit aider pour jouer à un niveau ou les règles et le principe du JDR ne posent aucun problème en plus.
Je te conseille de jeter un oeil à Oltréé! commis par le Grümph, si tu ne connaît pas déjà, c’est du jeu de role bac à sable, il y a quand même une phase initiale de préparation de la part du MJ s’il veut faire autre chose que le scénario inclus. Ensuite c’est freestyle, une carte à explorer, des cartes à tirer qui entretiennent le rythme, des joueurs qui peuvent proposer leurs propres idées dans le déroulement de la partie, des tables de tirage aléatoire pour le MJ. Ou comment démarrer une partie de jeu de rôle sur le pouce…
Je vais regarder, merci du tuyau !
Et bienvenue par ici Roksid. :)
[…] J’ai testé le jeu de rôles d’improvisation, un compte-rendu intéressant de la pratique […]
Cela me rappel un peu le principe d’un jeu de rôle français, Monostathos. Bien sûrs, ce jeu reste quand même assez cadré et on est loin du phénomène de total impro. En revanche ce type d’exercice me semble très intéressant surtout pour faire de l’initiation jdr à des enfants.
Je pense réutiliser l’idée et essayer de la simplifier un peu pour les gamins. Après tout, les enfants font tous les jours du jeu de rôle, les dés et les règles en moins.
ça ressemble un peu à Prosopopée, mais apparemment avec un cadre plus strict. Quand je mène à Everway, on se laisse tous guider par des tirages de cartes, qui appellent toujours pas mal d’impro. En tout cas c’est clair que c’est une bonne idée. Je mène encore beaucoup, mais pour des sessions découvertes des classiques du jdr, mon public n’est donc pas à l’aise avec nos fondamentaux, mais l’idée pourrait être développée pour des publics plus jeunes, moins « coincés ».
Oh mais les débutants ne sont pas toujours si coincés. :D au contraire, on peut avoir parfois des cocktails assez inattendus.