« Tout savant sait que la plus grande partie de notre savoir repose sur certains postulats fondamentaux qui, confrontés à une intelligence non terrestre, sont indémontrables. »
– HP Lovecraft
Ils sont enfin là, autour de la table, vos débutants. Le silence s’installe, un peu tendu, seulement rompu par la mastication inquiète des chips au paprika. Chacun tourne vers vous des yeux pleins d’appréhension…
Il est l’heure d’entrer en scène.
Débuter la partie
Ils ont leurs personnages, vous avez votre scénar. Pour les faire venir, vous avez forcément dû expliquer un minimum le principe du jeu. Il n’empêche, vos poussins sont loin de savoir jouer à L’Appel de Cthulhu. A moins d’avoir su expliquer toutes les règles pendant la création des personnages, vous n’y couperez plus à présent. Pour expliquer le jeu à des néophytes, deux écoles s’affrontent.
L’explication en amont
Potentiellement longue et abstraite, elle confine – dans mon cas – au monologue interminable sur la partie, les règles, le type de scénario, mes attentes envers les joueurs, quelques anecdotes… Pour le Meujeu, c’est rassurant. C’est l’occasion de tout dire en détails, en se basant pour sa prise de notes préparatoire. Mais du point de vue des joueurs ça peut vite tourner au supplice.
J’essaie v(r)ai(ne)ment d’abandonner cette méthode, tant elle massacre d’ennui l’enthousiasme du début. Et même si ce n’est pas encore naturel pour mes tendances logorrhéique, je lui préfère de plus en plus…
L’apprentissage au fil de l’eau
Si vous le sentez, vous pouvez carrément lancer le scénario in media res, c’est-à-dire en plein cœur de l’action et sans préambule. D’ailleurs, pourquoi ne pas commencer sans même donner les feuilles de perso ?
« Liverpool, janvier 1924. La pluie tombe à grosses gouttes dans le froid polaire du mois de janvier, alors que se pressent quelques silhouettes furtives sur les quais désertés du port de commerce… »
Vous voyez le tableau.
L’un des avantages de L’Appel de Cthulhu est de jouer dans le monde réel (au moins au début), et donc d’offrir aux joueurs des prises de roleplay faciles à saisir. Vos débutants seront tout de suite dans le bain, mais ils auront tendance à se comporter comme des spectateurs. Non seulement ils n’interviendront jamais sans une sollicitation directe, mais souvent même pas avec ! Le risque est de tomber face à un mur d’incrédulité dès la fin de la scène d’intro, surtout si vous distribuez à ce moment les terrifiantes feuilles de persos pleines de chiffres imbitables.
Cette seconde option à l’avantage de faire jouer immédiatement. Et tant pis si la feuille leur semble obscure, ça serait le cas même après trois heures d’explications. Ne leur expliquez rien en avance. Puis, à chaque fois qu’une scène justifie l’usage de règles particulières (jets de compétences, combats, poursuites, magie, santé et santé mentale), faites une petite parenthèse dans le jeu pour expliquer comment ça fonctionne. A mon avis, la partie ne peut que mieux s’en porter.
Si vous avez au moins un joueur confirmé à la table, appuyez-vous sur lui pour lancer la partie. Balancez-le sans feuille ni préavis au milieu des embrouilles et faites-lui confiance pour embrayer. Injectez les autres personnages au fur et à mesure, en demandant aux débutants de réagir à des situations urgentes, et qui les concernent directement (le bateau coule, la tempête se lève, un PNJ les prend à partie : « Et vous gentleman, qu’en pensez-vous ? »…). A moins d’être spécialement empotés, ils devraient prendre le relais.
Dura lex, dura dura lex
Pour la première scène, évitez les combats. Ils demandent une volée de règles spécifiques, à mon avis trop compliquées pour le tout premier contact. De la même manière, mettez en veilleuse toutes les règles trop compliquées pour la première séance. Vous aurez l’occasion d’y revenir plus tard.
En particulier, à vous de voir si vous souhaitez utiliser la Santé Mentale. Si elle est un pilier du système de L’Appel de Cthulhu depuis toujours, et un élément de règle très intelligent, elle posera inévitablement problème à des débutants. Si vous ne savez pas décider, pourquoi ne pas laisser le scénario décider en fonction de sa longueur, et surtout de la place qu’il laisse à la folie ?
A mon avis, vous gagnerez plus à soigner une vraie ambiance horrifique qu’à ajouter un seau de règles abstraites en plus. Surtout dans un one-shot. Rien ne vous empêchera, une fois vos joueurs convertis, de complexifier par la suite.
A partir de là, ne les épargnez plus. Dussiez-vous n’utilisez qu’un dixième des règles du jeu, il faudrait les utiliser intelligemment. Je m’explique. Comme je le disais dans le chapitre Scénario et personnages, les débutants croient souvent « adorer l’enquête » a priori. Dans les faits, ils n’ont aucune idée de comment mener une investigation efficace, dénicher des indices, cuisiner des suspects. En parallèle de cet apprentissage, ils doivent s’approprier un jeu, un personnage et des règles qu’ils ne connaissent pas. Par un réflexe malheureux, ils risquent donc de faire… n’importe-quoi. Les règles du jeu et l’improvisation narrative pourront alors vous servir à les rediriger plus ou moins discrètement dans le droit-chemin de l’intrigue. Et accessoirement loin des comportements débiles, incohérents, anti-roleplay et suicidaires (barrez les mentions inutiles).
Sinon, le moindre agent de recouvrement bancaire ou immobilier sera prêt à torturer ses créanciers au tisonnier et forcer toutes les portes venues. Ne riez pas, c’est du vécu.
N’oubliez pas que votre application des règles doit servir le récit. Ne massacrez pas vos joueurs pour le principe d’un respect psychopathe de la Lettre, vous tueriez avec leur envie de jouer en même temps. Rebondissez sur les échecs et les réussites à l’intérieur du jeu : tel PNJ changera son comportement, telle action déclenchera une péripétie imprévue… Dans la version 7 des règles du jeu, utilisez à plein la règle qui permet de redoubler les jets ratés. Au lieu de rester bloqué sur un échec, elle permet de faire avancer le jeu quoi qu’il arrive, soit en donnant une chance supplémentaire de réussir, soit en entraînant des conséquences négatives.
Bref, utilisez les règles du jeu pour pousser vos joueurs à l’action, les inciter à prendre quelques risques, et les sortir de leur état naturel de spectateur. Puis, commencez tranquillement à faire monter la pression.
-Saint Epondyle-
Merci beaucoup pour cet article! Étant un néophyte moi même je me demandais (et me demande toujours tout de même) comment j’allais 1) finir par apprendre par cœur toutes ces règles qui n’en finissent plus et 2) comment intéresser les pauvres âmes que j’aurai convaincu de venir jouer a un jeu qui se passe uniquement dans leur tête et qui, mà foi, est très complexe! Donc je crois avoir compris du aller avec le strict minimum requis par un scénario donné et bâtir sur ces basses par la suite si les joueurs ont aimé leur expérience.
Salut Max !
Regarde les autres articles de cette série, ça te donnera du grain à moudre ! :)
Tu as tout à fait pigé mon propos. Ceci dit il faut bien comprendre et connaître toi-même les règles pour espérer les faire comprendre à tes joueurs. Si ça te paraît trop touffu (tu m’étonnes) vires-en ! Concentre-toi sur l’essentiel : la narration. Quitte à ne donner que 2 – 3 compétences à tes joueurs sur un post-it.
S’ils accrochent, tu auras bien le temps de complexifier plus tard. :)
Tu nous diras ce que ça a donné ?
Apres plus de 30 ans de JDR sur table en club puis avec un groupe d’amis (table que je continue les vendredi soir). JE suis passé également sur table virtuelle (micro casque et logciel gratuit roll20 pour les images et Teamspeak pour l’audio).
j’anime une campagne en France 1920 les dimanche soir et des soirées découverte épouvante 1 semaine sur deux en one shot.
Pour concentrer les joueurs sur l’aventure et l’enquête, la feuille de perso ne comporte que 14 compétences et un métier et se crée en 7 mn ..j’ai proposé X fois de passer à la feuille officielle et mes joueurs ont refusé.
et en partie découverte je ne fais choisir qu’un nom, un métier et 12 point de vie.. 2 scénarios ont déja été joué une quinzaine de fois : Les couleurs du ciel de denis Gerfaut (auteur par ailleurs du JDR reve de dragon) et une aventure GORE dans un cinéma type massacre à la tronconneuse.
Les joueurs sont me^me parfois compéltement néophyte à l’univers du jdr et pourtant Je ne fais aucune présentation ni du jdr ni de cthullhu…et chaque fois ça marche avec 3 questions: qu’observez vous ? Que faites vous ? que dites vous ? ..et surtout j’alterne les phases lentes propice aux discussions et les phases rapides ou je les limite aux phrases de 4/5 mots sinon ils passent leur tour .
Bien sur je ne cherche pas à piéger les joueurs et je préfére 100 fois un joueur qui me dit , c’est vrai tu nous l’a dit 10 fois et on est passé à coté qu’un joueur qui pourrrait dire : j’avais pas entendu ^^
Une enquête c’est un puzzle et une ambiance …au départ, les joueurs doivent être paumé et se défendre puis peu à peu commencer à assembler les pièces du puzzle et devenir les acteurs et ceux qui « maitrise » vers la solution.
Vais faire jouer la protituée de Pigalle dimanche je crois ..donc si ça t’interesse d’être spectateur en ligne lol ….d’avance merci et suis preneur d’autres scénarios.
Merci pour ton retour d’XP. :)
Tu pourrais me dire ce qu’à donné mon scénar à ta table ? Je risque de ne pas pouvoir suivre en direct. :x