Il fait froid. Il pleut. Vous et vos copaines, vous ennuyez comme des rats morts tandis que, dehors, le vent glacial fait hululer les ricanements sinistres des sirènes de l’averse. Mais où sont passés les enfants ? Se sont-ils aventurés dans les ruelles borgnes à la recherche d’un truc à becter ? Ont-ils croisé le croquemitaine qui leur aurait grignoté les orteils ? Aujourd’hui nous parlons d’Exploirateurs de bruines, le dernier né de l’esprit détrempé de Vivien Féasson et son monde de l’averse.

Exploirateurs de Bruines

Type : livre unique
Auteur : Vivien Féasson
Illustrateur : Willy Cabourdin
Éditeur : L’Averse
Disponibilité : en boutique et bientôt sur la Toile
Genre : postapocalyptique, enfantin, horrifique
Produit :
// Couverture souple, 135 pages
// Papier glacé couleur richement illustré
// 30 € en édition imprimée.

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Illustrations par Willy Cabourdin.

Perdus sous la pluie

Exploirateurs de Bruines est, donc, le dernier né du rainyverse, univers original de Vivien Féasson édité par sa micro-maison d’édition, L’Averse. Le jeu creuse et complète le sillon ouvert par ses prédécesseurs Perdus sous la pluie et Libreté, dans une ambiance de gaminots paumés à la croisée de Seuls, La cité des enfants perdus, Peter Pan, Pinocchio et autres contes trashs. Il développe de nouveaux aspects de cet univers mouillé par la pluie, où les villes sont laissées à l’abandon derrière les rideaux de drache, où les adultes ont disparu en laissant les enfants seuls, et où les sirènes de l’averse, monstres oniriques et terrifiants, rôdent et dévorent les enfants égarés. Ne vous approchez pas trop des flaques.

Perdus sous la pluie, jeu narratif sans meneur ni scénario, proposait de jouer des petit(e)s poucet(te)s égaré(e)s loin de la maison un jour d’orage et de chercher le chemin du retour tant bien que mal. Un jeu remarqué et remarquable, qui laissait la part belle à une poésie inquiétante et aux relations entre roleplayers faussement naïfs. Du narratif pur et dur, et un bon moyen de découvrir les grands principes tant du JdR que de l’univers, loin des canons d’un médium encore trop influencé par son héritage wargame. Venait ensuite Libreté, plus traditionnellement propulsé par le système Apocalypse (PBTA comme on dit), qui proposait de vivre plus ou moins la suite de Perdus sous la pluie. Arrivés dans la ville éponyme, Libreté, dernière forteresse des enfants des Terres Humides, les PJ se retrouvaient en proie à des relations complexes, des phénomènes bizarres et des choix moraux qu’ils regretteraient après les avoir faits. Un sacré bol de roleplay pour rentrer dans le dur de cet univers, dont Perdus était la porte d’entrée.

Exploirateurs de Bruines n’est pas la suite au sens propre (on peut jouer tout ou partie dans l’ordre qu’on veut), mais explore une autre dimension des Terres Humides : celle des enfants badass, héros et héroïnes capables de coiffer leur plus belle écumoire en guise de casque, fourbir leurs chamalows d’un côté et leur fusil à plomb de l’autre et de partir à l’aventure pour explorer les nids de sirènes, relier les enclaves de gaminots et collecter de quoi alimenter les villes enfantines en bouffe, objets et autres trésors… jusqu’à peut-être trouver la sortie de cet enfer. Ou a minima gagner en célébrité et devenir des zéros ! En fier représentant de la veine OSR (pour Old School Renaissance vieux pots, nouvelle soupe) le jeu propose donc un gameplay adapté à l’action / aventure, et au dungeon crawling faussement enfantin. L’horreur, en effet, reste toujours en embuscade.

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Illustrations par Willy Cabourdin.

Enfantillages

Après quelques parties (sur les deux scénarios intégrés au bouquin) se révèle l’un des défis d’Exploirateurs de Bruines : comment retranscrire autour de la table l’ambiance tellement particulière (et réussie) qui imprègne le livre entre jeux de mots perpétuels ; préoccupations et références d’enfants (les bonbons ou les nuggets rapportent plein de points de vie) ; et horreur bien réelle des sirènes, des scénarios parfois très rudes et de la mort qui rôde ? Vaste question, et pas la moindre des difficultés pour un MJ, même confirmé.

La première réponse vient du jeu lui-même, de son univers aux références toujours ambivalentes (mignon trash, innocent violent, etc.) et de ses règles tout sauf génériques. OSR oblige, de nombreuses tables aléatoires très bien faites permettent de densifier l’univers à la volée et les scénarios du livre, eux-aussi, sont des donjons imprégnés d’une ambiance moite très particulière malgré des enjeux classiques du genre (porte / sirène / trésor). Même pour ceux qui délaissent l’OSR et le D&D depuis des lustres, dont je fais totalement partie, il y a un grand plaisir à revenir à ce mode de jeu en maîtrisant les scénarios d’Exploirateurs, et particulièrement le scénario du cirque dont les décors flippantissimes et les occasions de jeu sont plus diversifiés que dans la maison hantée, scénar d’intro plus explicitement adapté aux débutants. De l’exploration horrifique et bastonnante comme on l’aime, donc, plus originale que tout ce qui comporte des gobelins, des elfes et des morts-vivants ; et tout aussi efficace et brutale qu’une bonne partie de Sombre.

Le défi roleplay reste néanmoins de taille pour les PJ. Il demande de jouer sur deux tableaux, à priori opposés, en incarnant des enfants tout en sachant qu’ils mangeront sans doute bientôt les pissenlits par la racine. Ce nouveau jeu exige ce grand écart perpétuel, qui fait la force de son style et la difficulté de sa proposition ludique. D’autant que le thème « violence sur enfants » fait partie des grands classiques des trigger warnings de pas mal de monde, la prudence reste de mise pour éviter les dérapages. Carte X de rigueur.

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Illustrations par Willy Cabourdin.

Beauté fatale

Reste qu’Exploirateurs de Bruines est une masterclass de cohérence, qui tranche radicalement avec les pavasses indigestes et mal écrites qui font crouler nos bibliothèques, en assumant son idée jusqu’au style d’écriture, aux mécaniques, aux scénarios et à la direction artistique. Celle-ci est assurée par Willy Cabourdin à la maquette et aux illustrations, illustrateur punk déjà connu de nos services pour sa belle mise en forme d’Inflorenza Minima, jeu apocalyptique dans l’univers du Millevaux de Thomas Munier. Il met ici son style inimitable à base de peinture sur photos, croquis naïfs et photomontages au service de l’univers des gaminots torturés du rainyverse, dans un bel exemple de collab’ réussie où le style de chacun enrichit l’ensemble. En l’occurence Willy sort du rôle de simple illustrateur pour proposer une âme au jeu qui, sans elle, perdrait énormément.

Exploirateurs de Bruines à de quoi donner une leçon de concision, de synthèse et d’originalité à quantité de publications plus ou moins souhaitables qui rythment les sorties du paysage rôliste. Et assurer des heures de jeu peut-être pas éternelles (la durée de vie est probablement assez courte, même si des mini-scénarios, écrits par des guests sont proposés sur le itch.io de l’auteur) mais assurément réussies pour les amateurs et amatrices qui voudraient renouer avec leurs cauchemars d’enfance.

~ Antoine Daer (St. Epondyle)

Initialement publié dans JdR Mag n°58, été 2022.

Illustrations de cet article par Willy Cabourdin, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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