Dirty MJ, John Wick

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« En tuer un pour en terrifier un millier. »
– Sun Tzu, L’art de la guerre

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Forcément, la couverture va en rendre certains nerveux…

Voilà un bouquin qui ne fait pas l’unanimité. Oh que non ! J’entends déjà les couinements revendicateurs de nos joueurs préférés. Car en vérité je vous le dis : ça va se pisser dessus dans les chaumières. Dirty MJ est un recueil de conseils pour Meujeux écrit par John Wick (notamment auteur de La Légende des 5 anneaux). Objectif assumé : pousser les personnages dans leurs retranchements ultimes, les essorer pour en extraire la créativité et la rage, miner les zones de confort, forcer le drama à grands coups de hache dans la routine. Bref, intensifier le rapport au jeu en passant en mode bâtard.

Malgré son décorum à têtes de mort et une écriture provocante, Dirty MJ rappelle quand même un point essentiel : personne ne veut jouer avec un tueur de PJ. Massacrer ses joueurs n’a aucun intérêt, sinon pourrir définitivement l’ambiance pour toute la tablée. Mais sans être un manuel de massacre, Dirty MJ est pourtant un authentique recueil de saloperies bien scandaleuses à destination des personnages et donc des joueurs. Et ceci pour atteindre ce que l’auteur nomme « L’effet Piège de Cristal ».

« En bref, tous les joueurs veulent que leur personnage soit un John McClane. […] Ils veulent qu’on les bouscule, qu’on les tabasse, et ils veulent se retrouver les pieds en sang, en marcel crasseux, pleins de bleus, à ramper dans un conduit d’aération.
Mais (et c’est ce « mais » qui fait toute la différence, chers amis), chaque fois qu’on les jette à terre ils veulent être capables de se relever. […] Les joueurs veulent se retrouver battus comme plâtre à la fin de l’aventure mais ils veulent quand même gagner. Et ils veulent avoir l’impression qu’il s’en est fallu d’un cheveu qu’ils n’échouent. Ils veulent penser que ce dernier jet de dé a été le plus gros coup de chance de toute leur carrière. Ils veulent avoir l’impression que la vie de leur personnage est vraiment en péril, qu’ils ont un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane.
Voilà ce que veulent les joueurs.
Et voilà ce que le MJ tordu leur donne.
Parce qu’il les confronte aux calamités les plus inattendues. Il utilise des techniques qui sont si peu communes qu’elles viennent cueillir les joueurs comme un crochet du gauche en pleine mâchoire. Il utilise tout ce dont il dispose pour les mettre à terre… afin qu’ils puissent se relever juste à temps pour esquiver le prochain coup. Tout ceci découle d’un postulat : le MJ est là pour que les joueurs s’amusent et il leur donne ce qu’ils veulent. C’est son boulot. Si on oublie tout le reste, le plaisir que retire le MJ du jeu de rôle c’est d’aider ses amis à s’amuser. Du moins, c’est toujours comme ça que j’ai vu les choses. »

Moi aussi. Ce qui n’implique pas de le faire comme ils s’y attendent.

A partir de là, on ne va plus faire semblant. On va taper dur, sans prévenir, là ou ça fait le plus mal possible. On va leur donner de bonnes occasions d’être vraiment héroïques. Avec des méchants très méchants, parce que le meilleur moyen de donner l’impression que quelque-chose est hardcore, c’est qu’il le soit vraiment.

Les joueurs apprendront à composer avec une maîtrise vicieuse, ils deviendront paranoïdes, et passeront à la contre-attaque avec un peu plus de tripes ; tout en sachant qu’un pas de travers leur coûtera plus que des plumes. Honnêtement, c’est tout le mal que je nous souhaite à tous.

La plupart des techniques de Dirty MJ demanderont un peu d’adaptation (c’est notre boulot non ?). Car il faut reconnaître que John Wick à fait ses armes sur un campus étudiant, avec des joueurs très nombreux et – il faut avouer – sacrifiables. Ce n’est pas mon cas, et comme je ne suis pas aussi vicieux que lui je laisserai au placard les méthodes vraiment dégueulasses. Je ne banderai pas les yeux d’un joueur pour lui réclamer de tout connaître par cœur, je n’en tuerai pas trois pour apprendre au quatrième à la jouer moins perso, ni ne leur infligerai six séances de prison pour leur donner de bonnes raisons de se venger. Par contre, j’applique déjà des petites choses assez sympathiques.

Sans trop en dire (les murs ont des oreilles), quelques idées.

  • La délégation de PNJ, y compris les antagonistes principaux. Franchement la meilleure idée que j’ai eu en un millénaire de JdR. Les joueurs se les approprient vraiment bien, et ils lâchent les chiens ! Les résultats sont géniaux et les perspectives d’utilisation illimitées, alors j’écrirai spécifiquement là dessus.
  • La « ville en boîte » pour créer un environnement dynamique et persistant, co-créé par les joueurs. Je vais tester prochainement sur COPS et on en reparle.
  • Se débarrasser des points de vie, et y préférer un système de blessures (ça existait dans Cthulhu 6). Cette technique a le mérite de recentrer l’attention des combats sur l’interprétation. A réserver toutefois aux jeux d’ambiance, où la tactique est secondaire.
  • Se battre bien salement, en s’inspirant de Sun Tzu et de Musashi pour faire mal avec des méthodes très vicieuses. Corollaire : il faut inciter les joueurs à se battre avec leurs tripes, en précisant leurs techniques et leurs objectifs pour dynamiser l’ensemble ; et les récompenser lorsqu’ils le font. Les règles suivront.
  • Appuyer les conséquences de chaque acte (voir le point suivant), et réfléchir comment les actions du groupe peuvent se répercuter dans le scénario. Laissons tomber les feuilles de route en couloir, et construisons des réactions en chaîne au fil de l’eau. J’ai commencé à le faire (de manière très embryonnaire), par exemple pour « suggérer » de reprendre une quête secondaire laissée à l’abandon.

Pour moi, l’enseignement principal de Dirty MJ pourrait être celui ci : Il faut préparer chaque séance comme un tout. Même en deux lignes, sur un post-it. Y trouver des temps forts, des épreuves et des enjeux, pour ne jamais subir une situation stagnante, et prendre en compte les actions des joueurs. Chaque séance doit apporter un lot d’épreuves et de contentements, même au sein d’une campagne suivie !

Si ce petit livre noir ne donne pas que du nouveau, il a le mérite de démontrer l’efficacité de certaine recettes lorsqu’elles sont placées au cœur de notre façon de jouer. Chacune de ces techniques poursuit un objectif bien précis, qui permet d’insuffler une vraie dramatisation à nos parties. Un scénario digne des oscars, un respect religieux des règles, rien de tout ça n’a d’importance comparé au fait que chacun joue avec ses tripes, immergé dans l’instant où l’histoire s’écrit. Dirty MJ est la boîte à outils ultime pour sortir les joueurs de leur attitude de consommateurs. Le bouquin remet le projecteur sur la règle essentielle et non négociable de tout JdR : le Meujeu est Dieu à sa table, il conçoit sa partie comme il l’entend pour donner à sa tablée un orgasme dramatique. John Wick synthétise ses conseils en deux règles d’or.

  1. Il n’y a pas de règle.
  2. Trichez quand même.

-Saint Epondyle-

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