Créez du lien : la communication au service du jeu de rôles

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[Vivre sans ami, mourir sans témoin.
– Publié sur 6mots]

Contrairement aux autres jeux de société, il y a autant de façons de jouer au jeu de rôles qu’il y a de groupes de joueurs. C’est d’ailleurs pourquoi on parle de « tables » de jeu, comme des cercles spécifiques regroupant des joueurs qui partagent un style de jeu particulier. Pourtant, si la partie dépend largement de ses participants, motiver ses joueurs, les intégrer à l’univers et les inciter à l’interprétation sont les problèmes récurrents pour tous les meneurs de jeu. Le moyen pour répondre à ces problématiques primordiales, impliquer les joueurs et créer une histoire vivante, motivante et dramatique, lui, ne change pas.

Ce moyen, c’est le lien.

En littérature et au cinéma on peut vous dépeindre le plus bel univers, la plus riche fournée de personnage, le scénario le plus passionnant, tout cela risque de vous paraître insuffisant sans un minimum (un maximum ?) d’attachement aux enjeux, aux personnages et à leur univers. C’est cet attachement qui remporte l’adhésion du public, et explique le succès des sagas littéraires, des licences au cinéma et des séries télévisées. A force de vivre aux côtés des héros, nous nous lions à eux, et nous nous mobilisons à leurs côtés. Leurs péripéties ne nous laissent plus indifférents. En JdR comme ailleurs, ce lien est primordial.

Les trois types de lien

La plupart des objectifs du Meujeu dans une partie peuvent être atteints par la création de liens forts entre les personnages et leur environnement. Attention : l’idée n’est surtout pas de leur lier les pieds et les poings pour limiter leur liberté. Au contraire il s’agit de les impliquer dans l’univers du jeu afin de leur permettre d’y agir. Interpréter le rôle de leur personnage deviendra alors tout à fait naturel.

En JdR, le lien peut prendre trois formes d’égale importance. Chacun de ces éléments vous permettra de créer un attachement réel des joueurs à leurs personnages, entre eux et envers l’univers du jeu.

  • La connaissance, « Le baron est mal-aimé de ses sujets. »
  • Le vécu, « Le baron nous a trahis. »
  • L’affect, « Le baron est un connard. »

En théorie de la communication, on dit qu’un message peut avoir trois types d’objectifs : les objectifs cognitifs (je sais), les objectifs conatifs (je fais) et les objectifs affectifs (j’aime). Dans la mesure où le JdR est une transmission d’informations destinée à sculpter « un espace imaginaire commun », on peut réutiliser ces concepts en les adaptant.

La connaissance

Rien ne peut se faire sans informer vos joueurs sur l’univers, les PNJs, les lieux et l’histoire. Les jeux historiques où contemporains demandent de contextualiser l’époque, tout en appuyant sur les spécificités de votre partie (comme la présence du Mythe de Cthulhu, au hasard). Dans les jeux à l’univers original, vous devez donner toutes les clefs à vos joueurs pour leur permettre d’agir de manière éclairée et cohérente dans la partie. Savoir, c’est pouvoir.

Dans Le Trône de Fer, George RR Martin donne un luxe de détails sur l’histoire passée, la géographie et les protagonistes. La carte de Westeros, la kyrielle de personnages et leurs liens familiaux très approfondis sont autant de liens qui nous attachent à l’intrigue. Passé le premier contact un peu indigeste, on se retrouve complètement impliqué dans l’histoire, parce qu’on en connaît le contexte en détails.

  • Utilisez les PNJ pour faire découvrir l’univers à vos joueurs. Dédiez quelques scènes à cette fin, par exemple à l’aide de dialogues déconnectés de l’intrigue principale lors de l’introduction et des phases de repos.
  • Appelez les choses par leur nom. A commencer par les PNJ et les lieux, mais aussi les objets et coutumes locales. Même (surtout ?) les choses les plus anodines étofferont votre univers, comme l’origine du surnom de tel PNJ, la légende d’un tel héros local, ou la provenance géographique de tel produit vendu sur le marché.
  • Décrivez votre univers du plus petit au plus grand, surtout à bas niveau. Inutile de commencer par façonner des continents et des empires si vos joueurs ne les verront pas. Commencez donc par imaginer l’univers à hauteur des yeux de vos joueurs, et détaillez-le au maximum en imaginant une carte régionale, les individus notables et les derniers événements.

Bref, créez de la matière qui incitera vos joueurs à la réutiliser.

Le vécu

On le dit souvent : rien ne remplace l’expérience. En JdR comme partout, vos joueurs garderont un bon souvenir des moments forts de vos parties passées. C’est même l’une des raisons de jouer. Ces expériences partagées sont le levier idéal pour souder un groupe hétéroclite. Exactement comme dans la vraie vie, les personnages de JdR forgent des liens en passant du temps ensemble et en accumulant des souvenirs communs.

Dans Harry Potter, l’intérêt de l’histoire et des personnages est limité. Ce qui donne son sel à l’histoire, c’est de suivre les protagonistes sur plusieurs années, de les voir grandir et tisser des liens avec leur entourage. On lit la suite non pas pour avoir si Harry triomphera de Voldemort (à moins d’être un brin naïf) mais parce que depuis ses onze ans, on s’est attaché à lui et à ses amis.

  • Alimentez la machine à souvenirs. En général il n’y a pas a pousser beaucoup pour faire parler les joueurs de leurs souvenirs de jeu. Ménagez donc des moments de « revival » pendant les phases de repos, lors desquels vous reviendrez sur les hauts-faits et l’histoire des personnages afin de forger le sentiment d’appartenance et l’amitié entre les membres du groupe.
  • Identifiez le groupe des personnages, idéalement par un nom, ou un trait distinctif. Cette identification vous permettra de récompenser les joueurs par une notoriété au diapason de leurs exploits (ou de leurs crimes). La célébrité renforcera de fait les liens entre les personnages, qui deviendront alors les membres d’un tout.
  • Ecrivez l’histoire commune. Où plutôt, demandez à vos joueurs de le faire en leur demandant de tenir un petit journal des avancées du scénario, des personnes rencontrées et des lieux visités lors de chaque séance. On trouve de tout petits calepins dans le commerce, idéaux pour tenir à jour un petit pense-bête collectif de l’histoire du groupe.

Bien sûr, les souvenirs sont d’autant plus faciles à faire vivre si vos joueurs sont amis hors du jeu. Proposez donc d’aller boire un verre après la partie, et vous verrez que les souvenirs communs feront surface d’eux-mêmes.

L’affect

Le lien affectif est peut-être le plus difficile à obtenir dans un JdR. Le but est ici de créer de l’émotion entre les joueurs et l’univers de la partie. L’affect se nourrit des deux liens précédents, car pour aimer où détester sincèrement quelque-chose, je dois le connaître (lien cognitif) et l’avoir éprouvé (lien conatif).

Dans Inglorious Basterds, Quentin Tarantino et Christoph Waltz campent l’un des méchants les plus inoubliables de l’histoire du cinéma : un officier SS particulièrement sympathique, jovial et bon vivant, dont les exactions nous semblent d’autant plus terrifiantes. Le fait que l’on accepterait volontiers de déjeuner avec lui renforce l’horreur que l’on ressent devant la brutalité de ses actes. « Attendez la crème ! »

  • Développez la personnalité de vos PNJ. Ne les réduisez pas à des maillons d’une chaîne scénaristique où à des listes de compétences sur une feuille. Faites-en des individus pensant et agissant selon leurs propres souhaits, espoirs et émotions.
  • Dramatisez les enjeux. Même à petit échelle ou à bas niveau, insistez sur les conséquences des actes de chacun. La mort entraîne le deuil, l’injustice la colère, l’exil le mal du pays… Bref, faites sentir à vos joueurs que leurs actions ont des répercussions émotionnelles sur leurs semblables, qui sont autant de liens affectifs positifs ou négatifs.
  • Suggérez les sentiments des personnages. Sans être trop insistant ou dirigiste, rien ne vous empêche de guider les joueurs sur les émotions de leurs personnages. Certains ne réagiront sans doute pas, mais d’autres y verront à coup sûr le moyen de développer leur rôle. Ils deviendront alors des relais pour mettre en scène des histoires poignantes de haine, de vengeance, de trahison, mais aussi pour lier des amitiés indéfectibles, et pourquoi pas pour tomber amoureux.

Tous les jeux ne se prêtent pas aux mêmes types d’émotions. Dans certains cas, n’hésitez pas à utiliser le second degré pour transmettre le ton de la partie. Après une bonne tranche de rigolade, vos joueurs ne seront que plus réceptifs lors des phases plus sérieuses.

Conclusion

A priori, une campagne suivie est plus propice qu’une séance isolée pour créer des liens forts. Mais pourtant un one-shot peut s’y prêter parfaitement à condition de cibler des liens bien précis pour éviter de disperser ses efforts. S’il est impossible d’accumuler le vécu de plusieurs mois ou années de jeu lors d’une partie unique, on peut ruser en donnant aux joueurs des éléments préparés à l’avance, et en particulier des liens préexistants entre leurs personnages et avec l’univers.

C’est la méthode qu’avait employée mon ami Funky, qui conçut un jour un groupe de personnages prétirés pour D&D sous la forme d’une famille de forains nomades. La séance -qui ne dura qu’une journée- s’ouvrit sur une présentation de la famille et de son arbre généalogique (le savoir), ainsi que de son histoire passée (le vécu). Sans même avoir commencé à jouer, notre groupe était soudé par l’amour filial suggéré au départ (l’affect). La présence complémentaire des trois types de liens, quoique un peu artificielle, eu le mérite de nous mettre le pied à l’étrier dès le départ sans de poussives scènes de rencontres. Sans hésitation, la famille Bombabrique fut le groupe de personnages prétirés le plus réussi que j’ai joué de ma vie de rôliste.

-Saint Epondyle- 

7 Commentaires

  1. Bien vu, même si le vécu et l’affect au sens où ils sont définis ici vont de pair. L’exemple de Harry Potter est parlant : on aime suivre son histoire parce qu’on s’est attaché aux héros. L’élément d’action qui crée du lien serait peut-être davantage à rechercher dans ce que les joueurs peuvent attendre d’une partie : des combats, des intrigues, des énigmes, une enquête, des rencontres à faire, etc.

    • C’est vrai, comme je le disais plus haut les trois types de lien vont ensemble. Ca n’aurait aucun sens de dire « je ne fais que dans le vécu » ou « que dans l’affect », l’un et l’autre vont de pair, et à la rigueur c’est aussi bien. Ca prouve qu’en fondant un lien réaliste et complet, on arrive à un bon résultat en termes de cohésion de groupe, de mobilisation commune vers les objectifs de la partie.

      Ce que tu proposes relève à mon avis d’autre chose. C’est en recherchant (et discutant) de ce que les joueurs attendent de la partie qu’on peut adapter le scénario à leurs attentes. Mais le lien in game lui, ne dépend pas de ça. On ne peut fonder un lien de roleplay entre personnages et univers qu’au travers du jeu lui-même.

      Merci de ton commentaire !

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