
Je n’avais jamais entendu parler de Rue des Maléfices avant de lancer ma campagne parisienne pour L’Appel de Cthulhu. C’est alors que j’en parlais dans ces colonnes que Zok me conseilla ce bouquin que j’achetais illico.
Rue des Maléfices donc, est un livre extraordinaire qui rassemble plus de dix ans de « chroniques secrètes » de la ville de Paris (entre 1940 et 1950). Et si l’on parle de « chroniques secrètes », c’est à défaut d’un meilleur terme pour définir les dizaines de rumeurs, légendes urbaines et histoires vécues qui y sont relatées. Jacques Yonnet (qui fut poète, sculpteur, dessinateur, peintre, et accessoirement officier dans la Résistance), y dépeint la vie parisienne sous l’Occupation telle que vécue, mais surtout fantasmée par ses habitants.
« Il n’est pas de Paris, il ne sait pas sa ville, celui qui n’a pas fait l’expérience de ses fantômes. Se pétrir de grisaille, faire corps avec l’ombre indécise et fade des angles morts, s’intégrer à la foule moite qui jaillit ou qui suinte, aux mêmes heures, des métros, des gares, des cinémas ou des églises, être aussi bien le frère silencieux et distant du promeneur esseulé, du rêveur à la solitude ombrageuse, de l’illuminé, du mendiant, du pochard même : ceci nécessite un long et difficile apprentissage, une connaissance des gens et des lieux que seules peuvent conférer des années d’observation patiente. »
La Rue des Maléfices est un petit joyau d’écriture littéraire, quasiment poétique. Tout en maniant une très belle plume, élégante et riche, Yonnet s’amuse à reprendre l’argot des faubourgs propre à la plupart de ses personnages. L’accent titi-parigot résonne à chaque paragraphe et tinte l’ensemble d’une atmosphère bien particulière, comme l’âme d’un Paris en noir et blanc qui rappelle ici les Tableaux Parisiens de Baudelaire, là les photos de Robert Doisneau.

Volontairement entremêlées, les intrigues de la Rue des Maléfices font aller et venir quantité de personnages sur plus d’une décennie. On y visite l’angle mort des villages du Paris de l’époque : la « Mouffe », les Halles, les bords de Bièvre… Tour à tour narrateur, personnage ou simple témoin des événements, Yonnet évoque sa ville par ses légendes et ses croyances populaires, passant sous silence l’essentiel de la guerre, de l’occupation, et de ses hauts-faits de résistant. A la « Grande Histoire » il préfère les portraits en ombres chinoises – à la limite du fantastique – de quelques figures atypiques : le « vieux d’après minuit », des griots africains, « Danse-Toujours », « Betty Longue-a-Jouir » et certains gitans de sinistre réputation.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt du roman (mais est-ce un roman ?) que de rester strictement au niveau de ses personnages et de leurs histoires abracadabrantesques sans jamais trancher entre superstitions et faits véridiques. Les protagonistes rapportent leurs récits tels qu’ils y croient dur comme fer, et enveloppent ce Paris d’une atmosphère surannée et mystérieuse. Effectivement, comme inspiration pour L’Appel de Cthulhu, c’est de l’or en barre.
N’allons pourtant pas prendre Rue des Maléfices pour un énième recueil de nouvelles fantastiques, car les légendes urbaines qui y sont transcrites sont parfaitement réelles. Si Jacques Yonnet ne verse pas dans la fiction, ni dans l’épouvante (pourtant constitutive du fantastique en littérature), il n’en propose pas moins le meilleur témoignage dont on puisse rêver pour prendre le pouls d’une ville qui fut toujours propice à nourrir l’imaginaire collectif.
-Saint Epondyle-
Alors il est toujours dans ma liste et c’est une chronique qui m’avait giflé à l’époque qui fait que ce livre est resté dans ma mémoire. Les quelques lignes que j’ai pu en lire m’ont giflé aussi et ta petite claquette de rappel est la bienvenue.
Rendons à Hugues ce qui appartient à Charybde, c’est lui qui a eu la main leste. Charybde, qui n’est jamais loin de Bifrost, dont je salue le hors série sur la science fiction en BD au passage. ça n’a strictement aucun rapport, mais je fais ce que je veux !
Quelqu’un reprendra des pâtes ?
Je te veux bien des pâtes stp. :)
Je l’avais aussi découvert via le site des corbaks asgardiens et je confirme que c’est une belle grosse baffe, tout à fait dans la lignée du « réalisme fantastique », façon Matin des Magiciens, avec une louche de San-Antonio en prime.