Ça va peut-être vous surprendre, mais j’ai toujours eu du mal avec la littérature de genre trop typée. Phobique du cliché, je crains à la moindre mention d’un elfe dans un roman de fantasy (ou d’un vaisseau spatial en science-fiction), de tomber sur une fanfic World of Warcraft à peine déguisée. Malgré une sensibilité ancienne, je ne suis venu à la littérature de genre que tardivement et il faut croire que certains a priori ont la vie dure.
J’aime beaucoup Jean-Philippe Jaworski pour sa capacité à marier un genre classique et des figures à la limite du cliché à une grosse exigence littéraire. Gagner la Guerre est un chef-d’oeuvre parce qu’il emprunte aux canons du genre tout en les fondant sur un univers riche, extrêmement cohérent et donc crédible ; le côté « déjà vu » est alors rattrapé par la profondeur de la mise en situation. C’est cet exercice périlleux que Le sentiment du fer se propose de réitérer. Second recueil de nouvelles dans l’univers du Vieux Royaume après Janua Vera (et donc dans le même monde que le roman sus-cité), il regroupe cinq histoires assez différentes dans leurs thèmes, personnages et décors, à la qualité inégale.
Ce qui est bien avec les recueils de nouvelles, c’est qu’ils permettent d’éclairer sous plusieurs angles un même propos, sujet, ou univers. Dans le cas présent chaque histoire apporte une brique supplémentaire à notre connaissance du Vieux Royaume, cet univers passionnant que nous connaissons par les autres chroniques que Jean-Philippe Jaworski lui a consacrées. Je suis pourtant moins conquis par Le sentiment du fer que par les autres fresques de l’auteur, à la fin de ma lecture.
En plus du déroulement chronologique des événements qui bouleversèrent le Vieux Royaume au septième siècle du comput royal, les récits du Sentiment du fer opèrent un glissement assumé dans le style de l’auteur. De l’histoire presque réaliste on passe à de l’heroic-fantasy pur jus (et forcément je lâche un peu en route). On ne lit pas Jaworski pour l’originalité de ses idées ; la guilde d’assassins, les troubadours elfiques, les inquisiteurs nécromanciens sont autant d’idées rabâchées jusqu’à la corde. Sa maestria réside surtout dans sa capacité à donner de la substance aux idées classiques et à les mettre en scène dans des histoires haletantes, surprenantes et impeccablement rythmées. Les vieilles recettes sont sublimées parce que crédibilisées dans un univers riche et servies par un style irréprochable.
Ce « style Jaworski » est incomparable lorsqu’il relate les prouesses du Chuchoteur Cuervo Moera ou les circonvolutions rhétoriques d’un détrousseur de cadavres cherchant à saveur sa peau du gibet (le dialogue est à mourir de rire) ! Par sensibilité personnelle, j’ai moins aimé les récits plus kitsch de la fin ; histoires de nains, d’elfes, de gnomes et de gobelins (inextricablement liées, dans mon esprit, au Seigneur des Anneaux, à Donjons et Dragons et à Warcraft, héritages indépassables aux extrémités du genre, et qui ne devraient pas être adaptés en romans dans le cas des deux derniers, si vous voulez mon avis). Dévastation, la dernière histoire du bouquin, tempère quand même mes réticences en proposant une variation sympathique sur le pitch initial du Hobbit. La richesse du style, le dénouement inattendu et l’hommage amusant à Tolkien font plaisir à lire, comme du reste l’ensemble du recueil qui permettra d’approfondir sa connaissance du Vieux Royaume. Une lecture que je recommande plutôt aux amateurs de l’auteur et à laquelle les néophytes préféreront Janua Vera.
-Saint Epondyle-