La Mythologie Arthurienne

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Le mieux est de faire de son mieux. Quand viendra le moment de ne plus rien faire je serai heureux d’être arrivé au bout de ma tâche.
– René Barjavel, L’Enchanteur

Certaines histoires séculaires accèdent à un tel niveau d’influence et de reconnaissance dans l’imaginaire collectif qu’elles en influencent de facto tous les auteurs, créateurs et spectateurs des mondes imaginaires. Parmi ces mythologies fondatrices, Le Cycle Arthurien occupe une place centrale dans la fantasy et dans une certaine vision populaire du moyen-âge entre amour courtois, chevalerie et croyances fantastiques.

Composé à l’origine d’un certain nombre de récits celtes anciens, les bases du Cycle Arthurien ont été largement posées par l’auteur médiéval Geoffroy de Monmouth dans les années 1130 au travers de son Historia Regum Brittaniae (L’Histoire des Rois de Bretagne). Inspiré des légendes et croyances celtiques transmises au travers des âges par voie orale, il introduisit pour la première fois des personnages mythiques comme Merlin et Uther Pendragon dans ce qu’on appelle « la matière de Bretagne », c’est à dire l’ensemble des récits médiévaux liés au monde celte. Le terme « Bretagne » désigne alors le regroupement de l’Angleterre, l’Ecosse, L’Irlande et la Bretagne armoricaine, et pas uniquement cette dernière bande de terre aujourd’hui peuplée de régionalistes fanatiques et de touristes parisiens.

Les personnages de de Monmouth et un certain nombre de leurs comparses furent repris et développés par Chrétien de Troyes dans ses cinq romans fondateurs, notamment sur Lancelot, Yvain et Perceval, écrits en vers aux alentours des années 1170. Ces récits de chevalerie peuvent à mon sens être considérés aujourd’hui comme le socle du Cycle, dont les évolutions, les apports et les variations n’eurent de cesse de se développer depuis au travers d’un nombre inchiffrable de livres, bandes dessinées, films, séries, jeux et autres, jusqu’a devenir une véritable mythologie populaire.

Si comme dans toute mythologie la plupart des rôles, des personnages (en particulier leurs noms variant du gaëlic à l’anglais et souvent francisés) et des évènements peuvent varier selon les versions, un certain nombre de constantes posent les bases du Cycle. En voici une petite présentation, des articles détaillés pourraient suivre pour développer les éléments qui le méritent.

Tout commence avec Uther Pendragon. Roi de Bretagne, il reconquiert son royaume des mains de l’usurpateur Vortigern, avec l’aide de Merlin. Abusant Igerne en se faisant passer pour le duc de Cornouailles son mari (toujours grâce à Merlin), il engendre Arthur et le confie au magicien. Il est finalement tué à la guerre quelques années plus tard, laissant le trône vacant sans héritier connu.

Arthur Pendragon, dit « le roi Arthur », est l’héritier légitime du trône de Bretagne. Élevé en secret par Merlin dans la forêt, celui-ci l’éduque selon les principes de bonté, de générosité, de loyauté et d’amour. Autant de principes qui serviront de base pour fonder l’Ordre de la Table Ronde. A sa majorité, il se révèle au monde comme l’héritier d’Uther et s’assied sur le trône aux côtés de la reine Guenièvre comme monarque incontesté pour longtemps. Armé d’Excalibur qu’il a soit reçu des mains de la Dame du lac, soit retiré d’une stèle de pierre ou elle était scellée, il est d’une certaine manière le lien entre Merlin et les hommes. Il fonde la ville de Camelot et initie la Quête du Graal.

Merlin est le second personnage principal du Cycle. Moitié homme, moitié dieu, il est un esprit pur et bienveillant, conseiller d’Arthur et tisseur des fils du destin de la Bretagne. Enfant d’une sorcière, du Diable ou d’ascendance inconnue, il décide de son propre chef d’utiliser ses pouvoirs magiques pour faire le bien et guider les hommes vers leur destin. On le dit alors magicien, druide ou enchanteur (mais surtout pas sorcier). Merlin est un personnage païen, qui ne relève pas de l’ordre du monde instauré par le christianisme mais des anciennes traditions celtes, des esprits de la nature et du monde. Pour permettre aux hommes de prendre en main leur destin, il les envoie sur les traces du Saint Graal avant de se retirer d’un monde qui n’a plus besoin de lui.

L’Ordre des Chevaliers de la Table Ronde est un des piliers de la Légende. Créé par le roi Arthur en vue d’accomplir la Quête du Graal, il regroupe des centaines de chevaliers au long des années. Basé à Camelot, il s’ordonne autour d’une immense table (ronde donc) autour de laquelle chacun possède une place égale, y compris le roi. Les chevaliers sont frères d’armes et sont liés par l’amitié et la Quête, du moins en théorie puisqu’un certain nombre d’entre eux trahissent ou s’entretuent à un moment ou à un autre. Parmi ces chevaliers mythiques on peut citer quelques noms remarquables, présents dans la quasi-totalité des oeuvres sur le sujet.

Parmi ces chevaliers qui s’illustrent spécialement, aucun n’est aussi important que Lancelot du lac « Le Chevalier Blanc ». Élevé dans l’amour par Viviane la dame du lac en vue d’accomplir la Quête, il est le meilleur chevalier du monde. Malheureusement, il tombera fou amoureux (au sens propre) de la reine Guenièvre avec laquelle il vivra une idylle courte mais intense. Dénoncé par Agravain l’orgueilleux, il est contraint à la fuite à cause de cette trahison envers le roi et l’Ordre de la Table Ronde. Il reviendra plus tard, enlèvera Guenièvre et fuira avec elle. Au cours de ces évènements, il tue Gauvain et Agravain ses anciens compagnons d’arme. Lancelot est l’incarnation de ce que la passion (sincère) comporte de destructeur. La confiance qu’il lui accordait est la plus grande erreur de Merlin, qui pensait -a tort- que par lui la Quête pourrait s’achever.

Gauvain (ou Gawain) est le plus loyal chevalier dont la puissance croit avec la course du soleil dans le ciel, il est aussi le plus fidèle frère d’arme d’Arthur. Tristan de Lyonesse est le second meilleur chevalier au monde, amant d’Iseult il est l’incarnation dans le mythe de Tristan et Iseult de l’amour courtois et chevaleresque. Kai (ou Key) est le demi-frère et sénéchal d’Arthur, indompté et peu courtois il n’en demeure pas moins d’une loyauté à toute épreuve. Yvain le chevalier au lion est le fils de la fée Morgane et donc le demi-frère d’Arthur, il échoue à trouver le Graal lors de sa Quête. Parmi les chevaliers de la génération suivante, Perceval (ou Parsifal) est le jeune champion de la forêt d’une naïveté d’enfant, et Galaad le preux est le fils non souhaité de Lancelot et d’Ellaine. Dans certaines versions, ils trouvent le Graal ensemble et mettent ainsi un terme à la Quête.

Parmi les chevaliers de l’Ordre on note un certain nombre de traîtres aux premiers rangs desquels se trouvent Méléagant et surtout Mordred. Fils bâtard d’Arthur avec sa soeur Morgane (ou la soeur de celle-ci selon les versions), il est fourbe, dépravé et d’une force surhumaine. Lors de la bataille de Calmann, il tue le roi Arthur avant de succomber à son tour à ses blessures, concluant ainsi le Cycle.

Comme toutes les mythologies, les Légendes Arthuriennes regorgent d’histoires entrecroisées et abordent une grande variété de thèmes différents. En général, chaque nouvelle version de l’histoire explore un ou deux thèmes principaux, rarement plus.

Le thème récurrent lié à la Quête du Graal est celui de l’accomplissement des hommes par une mission sainte qui leur est dévolue. Pour trouver le Graal, il s’agit d’en être digne plus que d’en connaitre l’emplacement. Les Chevaliers de la Table Ronde parcourent le monde en rivalisant d’exploits héroïques et de bravoure, mais seul celui qui s’en montrera parfaitement digne sera capable de trouver le Graal. Non seulement le héros (Galaad en général) s’accomplit lui-même pour trouver et en trouvant la relique, mais en plus il permet aux hommes de s’affranchir des anciennes traditions et de prendre en main leur destin en ouvrant un nouvel âge dont le christianisme est la clef de voûte. En ceci, le Graal est plus une idée abstraite qu’un véritable artéfact, et s’il est souvent vu en rêve par ceux qui le cherchent, il est très rarement représenté physiquement.

Le second thème prépondérant du Cycle découle de ce premier. Il s’agit de l’opposition entre les anciennes et les nouvelles croyances, les miracles chrétiens et la magie de l’ancien monde celte. Jusque là les dieux anciens, ceux qui résident en chaque chose comme des esprits primordiaux partageaient le monde avec les humains. Les druides, les magiciens, les sorcières, les fées et tous les esprits relèvent de cette ancienne magie. Avec la christianisation de la Bretagne, ces anciennes croyances se trouvent compromises et les esprits du monde s’effacent petit à petit. Les personnages comme Merlin, Morgane la fée, Viviane la dame du lac et la reine Mab sont les représentants des anciennes croyances et de la vieille magie. Ni tout à fait esprits, ni tout à fait humains, chacun d’eux doit se positionner face aux changements du monde. Morgane et Mab s’y opposent et cherchent à maintenir les hommes en leur pouvoir, alors que Merlin cherche à peser sur les évènements afin de permettre à l’humanité de s’affranchir. En tant que sage, il comprend que les temps anciens sont révolus et ne cherche pas à les retenir. Quand à Viviane la dame du lac, elle aide Merlin dans sa mission grâce à son don de voyance. Dans certaines versions du Cycle elle fait également don d’Excalibur à Arthur (éventuellement par l’intermédiaire de Merlin), et élève Lancelot (dit « du lac ») afin qu’il devienne celui qui trouvera le Graal.

Cette opposition primordiale entre l’ancienne et la nouvelle magie apporte aux croyances païennes celtiques une chape de mystère et de rareté qui influença de fait la représentation de la magie dans la fantasy en général. Alors que l’ancienne société plaçait le dialogue avec les esprits et la nature dans le quotidien, la nouvelle voit d’un oeil craintif ou admiratif (c’est selon) les quelques initiés aux anciennes traditions. Que l’on ajoute des histoires de sang de dragon et d’apprentissages complexes et on arrivera sans difficulté à l’image classique du magicien de Donjons & Dragons. Et si on cherche à associer les deux magies dans le même univers (en y ajoutant un volet technologique),  nous obtiendrons une opposition semblable à celle proposée dans l’univers du jeu de rôles Les Ombres d’Esteren (Tradition demorthèn / Temple / Magience).

Car en effet, l’influence du Cycle sur l’imaginaire en général et spécialement la fantasy (dont il pourrait être considéré comme la base) est essentielle. Monsieur JRR Tolkien s’inspira  en partie des personnages et des thèmes de la Mythologie Arthurienne pour concevoir l’univers de la Terre du Milieu. Le personnage de Gandalf (Olórin de son vrai nom) est une variante possible de Merlin ; magicien lié aux puissances fondamentales du monde (Ilúvatar, soit Dieu), il assiste et conseille les peuples libres en vue de vaincre le mal. Avec la chute de Sauron et la fin du Troisième Âge de la Terre du Milieu, son office s’achève et il se retire lui aussi du monde. Toutefois, l’apparence physique de Gandalf en vieil homme à chapeau voyageant sur les routes tient plus du dieu viking Odin que de Merlin dont l’apparence est différente dans quasiment toutes les versions du Cycle, et qui revêt parfois plusieurs apparences différentes au cours du même récit. De la même manière le thème de l’avènement de l’humanité est une composante essentielle de l’histoire du Seigneur des Anneaux, dont la libération du joug malfaisant de Sauron est la condition sine qua non comme la découverte du Graal dans le Cycle.

Par son influence sur la plus grande saga littéraire de fantasy, la Mythologie Arthurienne irradie littéralement sur l’ensemble du genre, du Trône de Fer (George RR Martin) à L’Épée de Vérité (Terry Goodkind) en passant par L’Assassin Royal (Robin Hobb) et tous les autres. A leur manière ces nouvelles sagas continuent de sculpter et d’enrichir l’imaginaire médiéval fantastique. Qu’on en connaisse toutes les variantes, les grandes lignes ou seulement les héritiers, chacun de nous est touché par cette Mythologie qui, encore aujourd’hui, demeure l’une des plus grandes histoires de tous les temps.

-Saint Epondyle-

Pour aller plus loin :

A lire
Historia regum Britanniae, Geoffroy de Monmouth
Lancelot ou le Chevalier à la charrette, Chrétien de Troyes
Yvain ou le Chevalier au lion, Chrétien de Troyes
Perceval ou le Conte du Graal, Chrétien de Troyes
L’Enchanteur, René Barjavel

A voir
Merlin l’Enchanteur, Walt Disney
Monty Python : Sacré Graal !, Monthy Python
Excalibur, John Boorman
Lancelot, premier chevalier, Jerry Zucker
Merlin, Steve Barron
Kaamelott, Alexandre Astier

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