« Notre destin, c’était de gagner la guerre,
quitte à détruire ce que nous croyions défendre. »
Cela peut paraître paradoxal pour un vil geek dans mon genre, mais j’ai une réticence quasiment physique à l’idée de lire de la littérature de fantasy et de science-fiction. Trop souvent dénués d’imagination et écrits avec les pieds, beaucoup de ces bouquins se reposent sur les poncifs surexploités initiés -pour faire court- par Tolkien, Howard, Dick et Orwell.
Or, parce que j’ai justement du mal à croire et à aimer des univers basés sur des clichés, j’ai été très agréablement surpris par mes dernières lectures de ce genre. Après avoir dévoré La Zone du Dehors, roman de SF subversif magistral d’Alain Damasio, je me suis tourné sur les bons conseils de mon amie Marmotte vers Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski.
« Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon… »
– Quatrième de couverture
Gagner la Guerre donc est un roman de fantasy qui fait indirectement suite au recueil de nouvelles Janua Vera du même auteur, et qui compose avec lui le Récit du Vieux Royaume. Le roman a reçu le prix Imaginales du meilleur roman français de fantasy en 2009. Incroyablement riche dans tous les aspects de son histoire, ce pavé de près de mille pages associe un univers très cohérent et franchement original à une histoire complexe pleine de personnages passionnants, le tout dans un style littéraire très riche. Autant le dire tout net : Jean-Philippe Jaworski atteint dans Gagner la guerre une forme évidente de perfection.
L’univers du roman s’inspire des républiques italiennes de la Renaissance telles que Venise et Florence, ainsi que de l’empire Ottoman qui s’étendait de l’autre côté de la méditerranée. La ville de Ciudalia est une cité indépendante très puissante, dont l’influence militaire, économique et culturelle rayonne sur ses voisins. Après la victoire face aux armées du royaume de Ressine, les familles nobles s’entre-déchirent pour tirer profit de la paix nouvelle. Le narrateur Don Benvenuto Gesufal, est l’un des sbires du podestat Leonide Ducatore et maître assassin de la Guilde des Chuchoteurs. En qualité d’homme de main, il accomplit les basses oeuvres de son patron tout en tentant de tirer jouer au maximum pour son propre bénéfice.
Les nombreux personnages très hauts en couleurs -à commencer par le narrateur- sont l’une des forces incontestable du roman. Benvenuto raconte son l’histoire de son point de vue, avec ses propres sentiments et points de vue sur le sujet. Très loin d’en être le spectateur, il est le personnage principal du roman et agit donc en conséquence. A la fois complexe et torturé, Benvenuto raconte son histoire telle qu’il s’en souvient, ponctuant par un langage fleuri et plein de bagou les épreuves par lesquelles il est passé. Au fur et à mesure de son histoire, celui qui aurait tout pour déplaire devient de plus en plus sympathique, et on finit par s’attacher diablement à son charisme brut.
Non content de proposer un univers et des personnages passionnants, l’auteur construit tout au long de l’histoire un scénario extrêmement bien écrit entre coups fourrés et fourberies à tous les étages. Les intrigues entre familles nobles, les règlements de comptes dans les bas-fonds et les vendettas le disputent aux propres réflexions du narrateur sur sa position et la meilleure manière pour lui de tirer son épingle du jeu. Comme je le disais précédemment, le personnage principal lui-même agit dans l’histoire ; pour son patron certes mais avant tout pour lui-même. Très loin d’être manichéen, le roman met un point d’honneur à développer les relations entre les personnages, qu’elles soient politiques, amicales ou de franche détestation. Il en résulte une intrigue extrêmement riche, bourrée de rebondissements du premier chapitre à la dernière ligne, mais néanmoins facile à suivre grâce au talent de l’auteur pour mener son récit là ou il le souhaite.
Le style littéraire de Jean-Philippe Jaworski est une alchimie parfaite entre le langage châtié des nobliaux et l’argot de la rue cidualienne, entre le discours diplomatique tenu par les personnages et la façon dont Benvenuto les comprend, et bien entendu entre la description de l’action et le point de vue du narrateur. Celui-ci d’ailleurs prend de temps en temps le lecteur à parti, pour préciser certains points ou simplement pour donner sa façon de penser sur certaines situations ou personnages. Excessivement riche, la langue utilisée par l’auteur épouse toujours parfaitement le contexte avec une précision littéraire incroyable y compris dans l’argot et l’injure ordurière.
Il y a des bouquins qu’on lit un peu par hasard et qui nous font l’effet d’une claque reçue par surprise. Après avoir découvert Alain Damasio, puis Jean-Philippe Jaworski ces derniers mois, ma joue est encore un peu rouge et me fait dire que les auteurs français ont visiblement beaucoup à dire dans le domaine SFFF. Gagner la guerre est le genre de roman qu’on referme avec regret après la dernière page. Regret de ne pas voir continuer une histoire passionnante, regret de laisser les personnages magnifiques continuer leurs vies sans nous, regret de quitter la sublime ville de Ciudalia aussi belle que terriblement dangereuse, et regret surtout de ne plus avoir à découvrir un chef-d’œuvre de la littérature française contemporaine.
~ Antoine St. Epondyle
Je suis en train de lire ce roman, et c’est dur de décrocher ! L’écriture est très agréable et riche (on est loin du « je prendus mon épée. Les gardes moururent. ») Je n’ai pas fini le bouquin mais je ne suis pour l’instant pas déçue ! Intrigues, rebondissements, personnages de caractère, ambiance sont au rendez-vous.
Merci à Saint Epondyle de m’avoie suggéré ce bouquin, et donc indirectement à Marmotte!
Peut-être un nouveau commentaire une fois le livre fini (mais j’ai pas envie de le finir trop vite ! ) Pour l’instant je le conseille vivement!
J’en ai parlé tout récemment sur mon blog et je suis un peu plus réservé que toi, mais juste un peu. Mon principal (OK: seul) reproche, c’est que la langue, quoique magnifique, a tendance à rallonger des bouts qui n’en ont pas besoin.
Ce n’est pas tragique, mais sans ces quelques pointes d’agacements, ce bouquin aurait été parfait. Là, il est seulement très bon.
@BloodyMerry > De rien. Vivement que tu nous fasses un retour une fois le bouquin fini ! ;)
@Alias > C’est vrai que la langue alourdit un peu. Mais je trouve que l’auteur évite quand même les longueurs de manière générale, en provoquant un retournement de situation assez imprévisible à chaque fois que Benvenuto semble commencer à stagner.
C’est pas toujours le cas, notamment dans les romans de Robin Hobb par exemple.
Merci de vos commentaires !
[…] Jean-Philippe Jaworski est avant tout un créateur d’univers passionné. Son premier roman, Gagner la Guerre est un bijou d’aventure romanesque et d’écriture stylistique ; qui fut récompensé […]
Selon moi, un vrai chef d’œuvre ou tout du moins ce qui s’en approche le plus.
Tout y est le style, l’intrigue, les personnages haut en couleurs, l’ambiance vénitienne, un zeste de fantastique.
Bref merci pour le conseil avisé, et à mon tour je ne peux que recommander ce livre.
De rien ! C’est un plaisir de faire découvrir des bouquins de cette trempe. De telles perles sont rares, mais les bons livres sont quand même légion. Je ne puis que te conseiller de te précipiter sur les tomes déjà parus de Rois du Monde, la nouvelle trilogie celtique de JPJ.
[…] un genre classique et des figures à la limite du cliché à une grosse exigence littéraire. Gagner la Guerre est un chef-d’oeuvre parce qu’il emprunte aux canons du genre tout en les fondant sur […]