Exodus: Gods and Kings | Les américains jouent à la Bible

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« Je suis celui qui est. »
– Dieu, Livre de L’Exode

Autant être clair, on n’avait pas vraiment besoin d’un énième film sur Moïse. Et j’ajouterais, surtout pas de la part de Ridley Scott, dont le trip biblique parait d’emblée un peu suspect après son escapade créationniste. Mais puisqu’il est là, autant juger sur pièce cette version de « Prophète vs Pharaon ».

Évacuons d’emblée la polémique autour de la censure du film en Egypte et au Maroc. Car s’il est un peu ridicule d’interdire une fiction pour ses libertés par rapport au Texte, il ne l’est pas moins de vouloir dicter l’Ancien Testament à des pays non seulement assez sensibles sur la religion, mais pas très américanophiles à priori. Je crains que la censure d’Exodus n’ait pas grand chose à voir avec le film lui-même. Bref, parlons cinéma.

Exodus: Gods and Kings est un film généreux et je dois dire pas aussi raté que je l’aurais cru de prime abord. La force incontestable dont il fait preuve, c’est son étalage sans fausse modestie du talent de Ridley Scott pour produire une réalisation solide, des images sublimes, un rythme parfait et une belle vision de l’Egypte antique (pas si souvent vue à l’écran). Les nombreuses séquences épiques du film sont bien foutues, le passage de la Mer Rouge notamment, et assoient la légitimité d’Exodus dans la case « péplum à grand spectacle », un genre largement classique à Hollywood.

Oui, mais…

Que ce soit par son réalisateur, par le genre auquel il appartient, et même par son sous-titre (« Il va défier un empire »), le film force obligatoirement la comparaison avec Gladiator. Sauf qu’il a bien du mal à assumer cette belle promesse. Car si Russell Crowe en Maximus fonctionnait bien, Christian Bale en Moïse badass, est une paire de manches. D’ailleurs, le choix de Bale comme tête d’affiche résume à lui seul mon reproche principal.

Même avec de la bonne volonté, je n’ai pas cru une seconde à ces acteurs blancs comme des culs linges, censés incarner les protagonistes de l’Ancien Testament, ni à leur diction en américain parfait, ni aux apparitions de Sigourney Weaver et Ben Kingsley, complètement hors-sujet. Seul Joel Edgerton est curieusement crédible en Ramsès (sans que je m’explique pourquoi). C’est dommage car si la reconstitution est grandiose (exception faite de la ridicule présentation Powerpoint sur papyrus), j’ai eu du mal à voir dans Exodus autre chose que des américains jouant à la Bible.

On me répondra bankabilité, habitudes hollywoodiennes… bon. A la limite, j’accepte que les américains mettent en première ligne leurs acteurs maison dans les films qu’il produisent et réalisent à destination (entre autre) de leur public national. Le problème, c’est que les défauts ne s’arrêtent pas là. Le second est plus profond, et concerne comme trop souvent la cohérence interne du film. Et ça, surtout avec une trame mythologique aussi connue, ça ne pardonne pas.

Comme toute mythologie, l’histoire de Moïse porte une morale. Le prophète, qui ignore sa filiation hébreuse, croit être la personne la moins capable d’accomplir la volonté de Yahvé. Frère adoptif de Ramsès, et élevé comme tel, il est destiné à devenir son âme damnée pour régner sur l’un des plus grands empires de l’histoire. Il n’a aucune raison de se rebeller contre Pharaon, ni de faire la moindre sensiblerie dans le traitement des milliers d’esclaves tués à la tâche de bâtir l’empire. Lorsque Dieu fait son apparition, Moïse est en exil, seul et impuissant… et tout au long de sa quête, il ne cessera de douter. Il n’appartient ni à un peuple, ni à l’autre, il est condamné à porter son fardeau seul. L’Exode ne parle que de ça : le doute.

En personnifiant Yahvé, Ridley Scott a une bonne idée pour donner un visage au buisson ardent, pas franchement charismatique. Sous la forme d’un jeune garçon, le dieu des hébreux donne ses directives à Moïse pour guider le peuple hors d’Egypte. Son regard sait se faire dur lorsqu’il commande au prophète de graver les Tables de la Loi, où annonce qu’il frappera le pays d’Egypte de ses plaies pour le forcer à obtempérer. Dans l’idée, cette personnification fonctionne bien.

Là où le bat blesse, c’est que le jeune enfant apparaît bien trop souvent à Moïse, jusqu’à devenir un personnage comme un autre, avec lequel on peut négocier et contre lequel on peut s’élever. Le prophète devient alors plus un chef de guerre (sorte de Robin-des-Bois antique badass) aux ordres du mouflet qu’un prophète en son nom. Toute la difficulté de la position de messager et d’interprète de la parole de Dieu, l’écrasante responsabilité et son impact sur la personnalité de Moïse sont effacés, et Yahvé vient lui-même lancer ses sorts dignes d’Age of Mythology sans le truchement de son messager. Le paroxysme de cette idée survient lorsque la Mer Rouge se retire d’elle-même sans intervention de Moïse. Il me semblait pourtant que c’était lui qui, porteur du message de Yahvé, accomplissant des miracles en son nom. Dans Exodus, il se contente de suivre le mouvement.

De même à la toute fin, lorsque Ramsès survit à la fermeture de la Mer Rouge sur lui, sans aucun raison. Dans le Texte, l’eau se referme sur les égyptiens (pharaon compris) qui périssent pour la trahison de leur parole. Pourquoi le faire survivre ? Autant je n’ai rien contre la prise de liberté par rapport à l’Ancien Testament, autant les changements doivent être un peu réfléchis et se justifier en termes narratifs.

Finalement, Exodus: Gods and Kings aura été un bon divertissement. Vous savez, c’est ce qu’on dit des films médiocres. Une nouvelle preuve que le père d’Alien, Blade Runner et Gladiator sait encore réaliser de belles images. Exodus est un péplum correct, qu’on aurait peut-être tort de bouder tant l’ami Ridley à su prouver que s’il fut capable du meilleur, il a déjà fait bien pire.

-Saint Epondyle-

2 Commentaires

  1. Je trouve ça plutôt bien moi que la Mer Rouge se soit retirée de manière « naturelle », et si tu veux vraiment y voir une intervention de Moïse, il y jette son épée. Moïse aurait planté son bâton dans l’eau, non seulement ça aurait été attendu comme la pluie après le beau temps, et en plus ça n’aurait eu aucune originalité. Quand au fait que la Mer se referme sur Moïse, le choix est tout réfléchi : faire la scène la plus épique et bad ass du film ! Le réalisateur aurait eu tort de se priver juste pour respecter à la lettre la Bible, ce qui n’est pas du tout son intention, et heureusement.

    Pour le coup de Dieu représenté en enfant, j’aurais préféré que Dieu ne soit pas représenté, juste avec des scènes où Moïse parle tout seul, car d’un point de vue extérieur au personnage, c’est exactement ce qui se passe et le film n’insiste pas assez sur ce point. Chose que j’ai apprécié, comme dans Noah, c’est que le prophète passe immanquablement pour un illuminé auprès des « PNJs », et ça c’est cool.

    • Si la mer se retire naturellement, point de miracle. Passer à marée basse, c’est vachement moins biblique. Je ne suis pas contre une interprétation, mais le passage de la Mer c’est LE moment qu’on attendais. Donc là l’effet est un peu à côté de la plaque.

      J’ai aussi été un peu déçu que le côté « Moïse parle tout seul » ne soit pas exploité, même si on nous montre qu’il est épié lorsqu’il parle à Dieu. J’aurai apprécié de voir l’incarnation en enfant une fois, au buisson ardent, et plus ensuite.

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