Je savais Joann Sfar branché sur le fantastique, mais pas à ce point là. Aspirine est le dernier album né de la plume de l’auteur / dessinateur qui y met en scène la non-vie du personnage éponyme. Personnage que l’on avait déjà croisé dans Vampire, et que l’on retrouve donc en 2018 dans une nouvelle situation, avec sa sœur Josacine. L’adolescente à pris de l’âge, mais n’a pas vieilli. Elle a vécu sans grandir, drame de l’immortalité. Mais Aspirine n’est pas de ses vampires coincés aux siècles qui les ont vus naître, c’est une jeune femme moderne et hyperviolente dans ses passions comme dans la non-vie, qui erre entre absence de sens à son existence, cours de philo à la Sorbonne et meurtres spontanés tentant d’apporter un brin de frisson au grand vide qui la hante.
Aspirine est un conte obscur de fantastique contemporain qui, au delà de l’image du vampire (très cool) qu’il donne à imaginer, assume totalement la culture rôliste et warhammer-iste de son auteur. Tel Maxime Chattam et Alexandre Astier avant lui, Sfar déclare au grand jour sa flamme de rôliste à travers le personnage de Yidgor (qui remplit à peu près tous les clichés de l’étudiant rôleux, fauché, célibataire, métalleux, asocial et dépressif). Ce même Yidgor qui se réfugie dans des univers imaginaires pour trouver de la magie dans un monde désespérant de réalisme terre à terre. (Comme nous tous, non ?) Sa rencontre avec Aspirine, adolescente vampire fantasmatique à Dr Martens et blouson rouge, en crise d’ado depuis trois-cent ans, pourvoira à son besoin de supranaturel sans jamais sombrer dans la mièvrerie d’un Twilight puisque leur relation ne peut être qu’asymétrique et donc injuste pour le jeune homme. Quitte à donner dans la référence, on serait plus proche de Morse pour la fascination d’Yidgor pour cette jeune femme dangereuse et paumée.
Je me sens chez moi à la lecture d’Aspirine ; moi qui ne suis pourtant pas très familier des ouvrages de M. Sfar. Entre le contexte parisien (qu’on aperçoit en filigrane à chaque page, toujours de nuit), le type de vampire qu’Aspirine et Josacine représentent (ceux qui tuent pour de vrai) et la culture geek qui tapisse le tout, je me sens comme à la maison. Et le « dérapage » vers une ambiance à la Cthulhu de la fin ne gâche évidemment rien, bien au contraire. Très humblement, Aspirine me rappelle mes propres histoires de vampires parisiens que j’écrivais fut un temps (ici et là) : des vampires qui assassinent les gens sans remord, des hommes en proie à une bestialité intérieure et que rien, sexe, drogues et meurtres gratuits ne fait plus frissonner. Le genre qu’Aspirine représente donc avec beaucoup de classe et une mélancolie éternelle à la Only Lovers Left Alive, référence absolue du genre et autre exemple par la fiction de la mélancolie éternelle qui accompagne l’idée même d’immortalité.
C’est sans doute ça, le thème principal de ce bel album one-shot : la place laissée à l’ombre, à cette « magie » qui est surtout un contraire du prosaïque qui dévore le monde. Une forme de rêve, fut-il un cauchemar. Un regard via la figure indémodable du vampire, pour questionner les aspirations au réalisme autoproclamé et à la lumière crue d’une époque qui renie trop ses zones d’ombre pour être totalement honnête. Aspirine donne à ses personnages adolescents le moyen de tracer leur route en dehors d’un monde sclérosé qui rappelle la phrase d’Orelsan : « Si tu crois qu’personne te comprends, c’est parce que personne te comprends ». Souhaitons leur de ne jamais être rattrapés.
~ Antoine St. Epondyle
J’étais passé complètement à côté, il a l’air vraiment cool!
Ouep, il l’est !