We were the world
But we’ve got no future— Marilyn Manson
Si j’ai toujours été fasciné par Fight Club et Matrix, c’est que ces œuvres plus que d’autres mettent en scène des personnages du commun, qui vont au boulot, se font sermonner par des petits chefs minables, vivent des vies sans envergure autant qu’ils cultivent une identité secrète émancipatoire. Allez savoir, c’est un truc qui m’a toujours parlé.
Je me suis toujours su privilégié, trentenaire névrosé certes mais éduqué, guère à plaindre, sans justification réelle à la révolte, sans autre heurt que la confuse certitude de profiter d’un monde qu’on a toujours su confiscatoire, inégalitaire – dans la multidimensionnelle vérité crue de ces qualificatifs éculés.
Spleen de la classe moyenne ni vraiment coupable ni vraiment innocente, enjambant le clochard d’en bas pour rentrer chez soi. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde et autres doses quotidiennes d’immoralité nécessaire à la survie mentale. Spleen de la classe moyenne rêvant d’un Into the Wild en Ryanair, d’un club de boxe clandé où se faire défoncer la gueule pour endurcir une bonne fois sa peau de bébé et devenir le Captain America de soi-même. Spleen d’une classe moyenne au pouvoir d’achat suffisant pour qu’on lui promette tout, à qui l’on jura inscrite dans la course des astres la signification et l’horizon de son existence ; et qui cherche dès lors dans ses infinies addictions les shoots dopaminergiques permettant de continuer, année après année, sa quête vers on ne sait où. Ne suis-je pas si particulier que je ne puisse rêver des vérités millénaires gravées sur mes os qu’on dit en poussière d’étoile ?
La décennie fut indéniablement passionnante. Tout concorde au mix cyberpunk, association anxiogène de prophéties apocalyptiques, de tensions sociales hardcore et d’optimisme politicopublicitaire béat ; « une pulvérisation invisible d’Ubik et vous bannirez la crainte obsédante, irrésistible, de voir le monde entier se transformer en lait tourné. » La fin des utopies se consacre tweet après tweet. Le collapse fait bander à mesure qu’augmente le volume du vacarme et que semble se réduire le champ des possibles collectifs. L’entrée dans la suite fut fracassante, fracassante aussi la capacité du futur à ne pas nous décevoir dans sa capacité permanente à le faire. Il n’y a rien à attendre de l’avenir, l’avenir est une idée périmée. Et pourtant, tout continue.
Bonne année à toi qui passe par ici. L’heure est venue de nous serrer les coudes.
~ Antoine St. Epondyle