Retour à Saint-Régent

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Retour à Saint-Régent. Photo de moi.

La pluie

Il pleut sur la Normandie. Pléonasme. Je suis arrivé en fin d’après-midi et comme toujours, je suis passé voir la mer. J’aime la mer, je l’ai toujours aimée. La mer de ma région est grise et froide comme ses pluies. Les vagues inlassables roulent les galets et battent la falaise. Les ondées font le lien entre le ciel et l’eau alors que les bourrasques aléatoires soulèvent des paquets d’écume blanche au loin. Sur la petite plage, il n’y avait personne. Sauf moi. Mains dans les poches, cheveux anarchiques, j’ai fumé quelques cigarettes avant de retourner vers la voiture. Et de prendre la direction du village.

Je viens ici depuis tout petit. Comme tous les enfants de la famille, j’ai passé de nombreuses semaines à Saint-Régent. Pour les vacances. Le temps passant, je suis plutôt venu pour les week-ends, voir les grands-parents et assister aux réunions de famille. Ça faisait longtemps que je n’étais pas venu. Aujourd’hui je suis seul. Les autres arriveront demain. Même casting : les deux générations au-dessus plus tous les enfants de la famille. Finalement, rien n’a changé. Nous avons simplement pris quelques années. Insensiblement. Minute après minute. Et tout est différent.

Je suis frappé de voir à quel point la végétation envahit tout. Dans le village, chaque jardin semble débordé par les feuillages et les lierres. Notre maison plus que toute autre. Depuis qu’on n’y vit plus toute l’année, la nature y a repris ses droits. Une nature en vert foncé, arrosée abondamment. Paradoxalement, cette vie débordante accentue le vide et le silence de la rue qui remonte de la plage à la mairie. J’arrive à la maison. Je me gare sous les pommiers détrempés, j’attrape mon sac et me dirige vers la porte. Dans la pénombre de la cuisine, une légère odeur de renfermé. Et cette humidité tenace qui enveloppe tout. Je me débarrasse de mon blouson et me dirige vers la cheminée que je décide d’allumer immédiatement. En une dizaines de minutes, une belle flambée réchauffe mon cœur et l’atmosphère de la salle à manger.

Je prends un dîner succinct sur le coin de la table, d’un sandwich compact et triangulaire acheté sur le trajet. L’emballage dit « poulet », mais je suis incapable de différencier son goût -ou son absence de goût- de n’importe quel autre. Je termine par une pomme d’un vert criard, brillante et sans le moindre défaut. Son apparence, son odeur, son goûts sont exactement comme d’habitude. Standardisés. Comparée à celles qui poussent dans le jardin, cette pomme semble venir d’une autre planète.

Les ombres

C’est étrange de se retrouver dans un lieu si familier, dans une situation si peu ordinaire. Ici le temps semble s’être arrêté à une époque incertaine. Sur la commode sont encadrées les éternelles photos jaunies de mes arrière-grands-parents. Il n’est pourtant pas tard, huit heures à peine, mais l’obscurité s’insinue partout. Et ni les deux ampoules à filament, ni mon glorieux feu de bois ne suffisent à éclairer totalement les lieux. Ces ténèbres m’invitent à la réflexion, et me rappellent que je ne suis qu’un maillon de la chaîne. Que mon jeune âge m’interdit de connaître totalement cette maison, son histoire et ses habitants. Chaque pièce, chaque armoire et chaque tiroir est trop plein des souvenirs d’autrefois. Au plafond, une grande araignée aux longues pattes fait sa toile. J’entends la pluie qui tombe inlassablement sur le toit, dans le jardin, et détrempe le sol.

J’allume une cigarette. Dans le vieux fauteuil à côté de la cheminée, je m’abandonne à mes souvenirs. Les volutes lents prennent leur envol dans un silence seulement rompu par les craquements de l’âtre. Hasard du calendrier, c’est moi qui suis arrivé en premier pour ouvrir la maison. Moi dont le souvenir des vacances insouciantes d’autrefois est à la fois très précis, et semble appartenir à une vie lointaine.

Sur la table de la salle à manger, mon téléphone portable paraît soudain étrangement déplacé. Une incarnation de plastique et de pixels au milieu de ce lieu si plein des ombres d’avant. Le feu de bois se reflète dans l’écran éteint. Heureusement, comme un ultime rempart à l’intrusion de l’aujourd’hui dans l’hier, l’appareil ne capte pas.

Me voilà coupé de ma vie, de Paris, des e-mails, de la ronde incessante des textos, du bruit et de l’heure. L’heure qui file, l’heure qui préside à toutes choses. C’est tout à coup ma présence elle-même qui me semble anachronique. Anormale. Moi l’étudiant plus si jeune, le parisien malgré lui. Moi qui vit dans dix-huit mètres carrés à côté des Buttes-Chaumont, et qui trouve ça suffisant. Moi, mon blouson de cuir, mon paquet de clopes et mes chaussures montantes. Moi, mon téléphone et mon ordinateur. Moi, la créature artificielle d’un monde de frénésie et d’apparences, perdu là où le temps n’existe plus et ou personne, absolument personne ne me regarde.

~ Antoine St. Epondyle

15 Commentaires

  1. Un écrit très personnel si je ne m’abuse… Typique de l’ambiance epondylesque, entre nostalgie mélancolique, et retour aux sources en quête de simplification de l’existence et de la pensée. La cigarette, une lueur d’espoir dans l’obscurité ? Trêve de capillotractations, continue comme ça ! En termes de « poseur d’ambiance », tes qualités ne sont plus à prouver !

    • Merci Funk’ !
      C’est vrai que pour le coup, ce texte est assez typique de mon style habituel. Il faut dire, j’ai commencé à l’écrire il y a longtemps et il a beaucoup muté avant d’arriver à cette forme.

      Prochain défi dans l’écriture : passer à plus de narration, il faut qu’il se passe plus de choses dans mes histoires. Avec personnages multiples et dialogues. J’ai les idées, mais la mise en place c’est autre chose.

  2. Et bien écoute, j’adore. Et j’en veux plus !

    Je t’avoue avoir buté sur 2-3 endroits, comme le « Pléonasme. » de la première phrase et la ‘la nature y a repris ses droits. », car je trouve cela trop facile, ça sonne comme des expressions dites à l’oral. Mais c’est vraiment des détails, j’ai vraiment beaucoup apprécié ton texte. :)

    Sinon je ne suis pas d’accords avec ton commentaire, on n’a pas toujours besoin qu’il se passe « beaucoup de choses » dans un texte, au contraire ! Et puis entre nous, il se passe pour moi bien plus de choses dans cette nouvelle que bien des textes que j’ai pu lire ..

    • Merci beaucoup ! Ton commentaire me va droit au coeur, surtout que comme le disait Funky ce texte est assez personnel et donc basé sur un ressenti réel.

      Merci également pour tes critiques, je vais les prendre en compte pour la suite, et peut-être proposer une version corrigée de ce Retour à Saint-Régent un de ces jours ?

      Malgré tout je garde mon idée pour les textes futurs : ils seront plus fictionnels et romancés, moins autobiographiques. Et il devrait s’y passer plus de choses. Mais globalement mes idées actuelles restent a peu près dans le même style. Un peu comme mes fictions précédentes.

    • Si tu regardes mes autres nouvelles dans la rubrique Cosmo Fictions tu notera qu’en général je suis assez avare d’événements. Dans mes textes, j’écris pas mal à partir de ressentis réels, et donc de circonvolutions et prises de tête plus ou moins vécues.
      Ceci dit, je comprend ton commentaire, et j’essaierai de le prendre en compte pour le mois prochain. :)

      Merci de ton commentaire, et pour ta sympathique citation dans ton article ! :D

      « Saint-Epondyle s’était immiscé, excusez du peu, entre Proust, Pratchett et Jean Ray ! » La claaaasse !

  3. C’est bien écrit et sympathique à lire, mais je suis un peu déçu, car ça n’est jamais qu’un décor sans action. Je m’attends à davantage d’une nouvelle qu’un simple constat introspectif sur le décalage d’existence entre une vieille maison dans un vieux village et son visiteur moderne. Pas d’accroche, pas de montée en puissance, pas de chute… Bref, ça manque furieusement de contenu.

    Petite erreur de temps dans le premier paragraphe, emploi de l’imparfait « il n’y avait personne » au lieu du présent qui est le temps de ta narration.

    • C’est noté ! C’est vrai que je suis quelqu’un d’assez introspectif, et j’aime bien analyser les pensées et placer des atmosphères. En JdR par exemple je place beaucoup plus d’importance dans l’ambiance que dans le scénario, que je reprend souvent dans les publications officielles.
      Serais-je influencé par mon rôle récurrent de Meujeu ? Sans doute.

      Merci de ton retour.

      • Influencé par ton rôle récurrent de MJ, oui sans doute (je le suis moi-même), cela dit, même dans ce cas, produire une histoire est aisé, il te suffit de jouer les personnages au lieu d’attendre que des joueurs le fasse et ton histoire se fera. La conception initiale de l’univers, de l’ambiance et des personnages restent la même, mais la mise en scène n’est plus soumise à une interaction entre plusieurs joueurs, c’est tout ce qui change. Au final, en tant que MJ, tu sais aussi restituer les situations et les interactions, donc faire ce qui manque à ton récit.

        Après, je ne dis pas qu’une nouvelle doit obligatoirement raconter une histoire, mais ne lire que de description, c’est vite rébarbatif. Je te raconte pas l’enfer quand tu attaques « Le bonheur des dames » de Zola…

        • J’ai un peu réfléchi à ce que tu disais à ce propos. Mon avis reste un peu mitigé car d’un côté j’aime vraiment écrire du contemplatif. Et la découverte de films comme Only Lovers Left Alive me donne plutôt envie de poursuivre cette voie.
          Ensuite, il faut aussi savoir sortir de sa zone de confort pour s’améliorer. C’est ce que j’ai tenté dans Christo les crocs, mais j’ai eu du mal à créer de l’action dans mon récit, des événements.

          En tous cas ce genre de retours aident à progresser. C’est toujours utile. :)

            • Je suis plus ou moins d’accord. Nous sommes aujourd’hui détachés de la pression de l’éditeur, et nous publions en ligne sans demander de caution extérieure.
              Ca a du bon et du moins bon, mais concrètement je ne m’intéresse pas (pour les fictions et le blog) à ce que le lecteur a « envie de lire ». Maintenant, je comprend quand même que de remarques comme les tiennes sont dues à ce que tu attendais d’autre dans tes lectures, je le prend en compte pour m’améliorer, mais je travaille avant tout à ce que moi, j’ai envie d’écrire. :)

              En tant qu’auteur plus sérieux que moi, tu dois sans doute te trouver sur la corde raide entre les deux visions : écrire ce que je veux / écrire ce qu’ils veulent. Difficile !

              • Ben finalement, pas tant que ça. Ce que j’ai envie d’écrire est souvent apprécié tel quel. Mais je suis formé par des lectures semblables. Tout auteur a son public. Le rencontrer n’est pas toujours à la portée de tout le monde. Tu sais de moi que si tu écris dans le registre ici mentionné, je n’en fais pas partie. Et je ne saurai te dire s’il est une bonne chose que cela change.

              • Pas sur qu’il y ait du public pour tout le monde. Ou alors nous écrivons inconsciemment des choses qui plaisent parce reliées à un terreau de culture existante et appréciées. Pour faire simple : Hollywood & co. :)

                Si j’apprends de toi les raisons qui peuvent couper l’envie de me lire, c’est intéressant. J’ai jamais trop apprécié les commentaires unilatéralement positifs.

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